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Autour d'un tango : poème commenté

Anclao en Paris

cadicamo1 Editeur : La salida n°29, juin septembre

Auteur : Fabrice Hatem

Anclao en Paris, de Enrique Cadicamo

Le tango est né dans un pays fasciné par la culture française, dans une ville qui prenait Paris pour modèle. Il n’est donc pas étonnant que la poésie tanguera ait beaucoup parlé de la France et de sa capitale, sous des formes d’ailleurs très diverses.

Les mots de la langue française, tout d’abord, apparaissent comme autant de signes du raffinement et du savoir-vivre. De nombreux cabarets du Buenos Aires des années 1920 et 1930 portaient des noms français, comme l’Armenonvil, le Chantecler, le Pigall’s, le Palais des Glaces. Et ce sont encore des mots français, comme «Champagne », « Maître d’Hôtel », « Cabaret », « Baccarat » qui furent utilisés pour décrire l’atmosphère de luxe qui y régnait : « Buvons ensemble, mon vieil ami, dis-tu en levant ta fine coupe de Champagne (..) Ta bouche rouge et tentatrice / buvait dans le fin Baccarat » (Cadicamo, Por la Vuelta, 1938).

La France, c’est aussi pour les Argentins le pays de la romance et de la séduction. Les femmes galantes d’origine française étaient d’ailleurs nombreuses à Buenos Aires, et plusieurs poèmes leur rendirent hommage, comme Griseta, ou encore Madame Yvonne : « Mad’moiselle Yvonne était une jolie fille / Dans le quartier du vieux Montmartre » (Madame Ivonne, Cadicamo, 1933).

Tout cela a nourri chez les Argentins du début du siècle une immense sympathie pour notre pays. Celle-ci se manifesta notamment, à l’occasion de la première guerre mondiale, par la composition de plusieurs tangos destinés à célébrer les victoires françaises, comme El Marne (Eduardo Arolas, 1918). D’autres rendirent hommage aux morts tombés au champ d’honneur : « Et au cri de « guerre » les hommes se tuent / couvrant de leur sang la terre de France (Silencio, Alfredo Le Pera, 1932).

Le voyage à Paris constitua donc pendant longtemps le rêve de tout argentin cultivé. Et nombreuses sont les chansons qui firent référence à ce voyage initiatique, comme par exemple le fameux « Canaro en Paris », composé en 1925 par Juan Caldarella pour célébrer le voyage de Francisco Canaro dans la ville-Lumière.

Mais c’est à partir de là que les choses se gâtent. Les Argentins venus tenter leur chance en France rencontrent en effet souvent la désillusion et la misère, comme nous le rappellent de trop nombreux poèmes de l’époque, comme La que murio en Paris (Bloomberg, 1930), Anclao en Paris, ou encore le délicieux Araca Paris (Carlos César Lenzi, vers 1925), qui évoque les désillusions d’un apprenti-gigolo : « Je m’suis tiré de Puente Alsina à Montmartre / Tout le monde me disait, pour me faire marcher : Avec ta tète d’argentin, tu vas faire un malheur / Chez les vieilles franchouilles qui vont au dancing (…) Fais gaffe à Paris / Salut Paris / Tire -toi de Montmartre, casse-toi, malheureux ! Si tu vas à Paris : T’auras rien à bouffer.. ». Et pour ces poètes argentins « échoués à Paris », l’évocation du Buenos Aires perdu , maternel et chaleureux, apparaît désormais comme une variation supplémentaire sur le thème du mal-être et de la nostalgie…

Faut-il s’étonner alors que l’engouement pour notre pays ait été parfois décrié pour ce qu’il avait d’excessif ou d’irréfléchi ? Dans certains cas, c’est naïveté des gogos qui attira la moquerie, comme dans « Madame Julie », de Edmundo Rivero, qui décrit l’histoire d’ »un malheureux imbécile trompé et escroquée par une femme qui se prétend « récemment revenue de Paris ». Mais c’est surtout le snobisme des cocottes « francisées » qui suscita une critique patriotique, comme dans Margot (Flores, 1919) : « Et même ton nom a changé comme a changé ton destin : Tu n’es plus ma Margarita… maintenant ils t’appellent Margot ! ! ! ». Ou encore dans Muneca Brava (Cadicamo, 1928) : « Toi, la madame, qui parle en français, qui tire le pognon à pleines mains, et qui dine avec du champagne bien frappé.. ».

Dans l’Argentine d’aujourd’hui, l’influence française, a certes beaucoup régressé, comme partout ailleurs, sous la poussée de la culture nord-américaine. Mais il subsiste un attachement sentimental à la France et à sa capitale qui vont droit au cœur du Français de passage…

Fabrice Hatem

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Pour en savoir plus sur la France et le tango : /2004/12/10/la-salida-n-29-le-tango-et-la-france/

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