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La Turquie : Un nouveau tigre industriel ? (sept. 2004)

Editeur : Le nouvel économiste, n°1270, 10 septembre 2004

Auteur : Fabrice Hatem

La Turquie : Un nouveau tigre industriel ?

nouvelecocom Alors que sont relancées les négociations en vue d’une adhésion à l‘Union Européenne, il est temps de prendre la mesure du potentiel économique turc. Un pays sous-développé, sans base industrielle ? Pas si l’on en juge par le flux d’investissements étrangers : près de 40 projets recensés depuis le début de l’année, selon la base de données MIPO-ANIMA, avec une forte concentration dans l’agro-alimentaire et l’automobile. Et l’on est loin d’un simple mouvement de délocalisation lié aux coûts salariaux. Les projet à bon niveau technologique, en effet, se multiplient. Un exemple ? La création le 9 août dernier, par l’américain Hayes Lemmerz, l’Italien Cromodora Wheel et le Turc Inci Holding d’une joint venture destinée à la production de roues en aluminium à Manisa, sur la côte ouest du pays. On assiste ainsi, grâce à l’afflux d’investisseurs étrangers relayés par les entrepreneurs locaux, à la constitution de filières industrielles modernes, puissantes et diversifiés.

L’exemple de l’automobile a toutes les allures d’un cas d’école[1]. Au commencement des temps, c’est-à-dire au début des années 1960, la Turquie ne produit pas un seul véhicule. Puis quelques constructeurs implantent des chaînes d’assemblage pour monter des automobiles destinées au marché local, à partir de composants entièrement importés, comme Renault à Bursa en 1971. L’intégration locale s’accroît ensuite progressivement, avec l’arrivée d’équipementiers étrangers et le développement d’une industrie locale. L’Union douanière de janvier 1996, en ouvrant à la Turquie les portes du marché européen, permet à son industrie automobile de franchir une nouvelle étape en développant ses exportations.

Une mutation rapide lui permet alors de devenir un centre de production à vocation régionale voire mondiale. De nombreux constructeurs s’implantent pour réexporter à partir du pays : Oyak Renault (Clio Symbol, Megane Break), Fiat (Doblo), Ford (Transit Connect), Toyota (nouvelle Corolla), Hyundai (Starex). Il y trouvent, certes, une base « low costs », mais aussi les compétences de ces nombreux travailleurs turcs formés dans les usines allemandes et revenus au pays pour encadrer leurs jeunes compatriotes. Il trouvent également un tissus d’équipementiers, certes encore hétérogène mais qui se structure rapidement, grâce à l’afflux des firmes étrangères : cent équipementiers automobiles étrangers sont aujourd’hui installés dans le pays, et jouent un rôle majeur dans l’activité. Près de 200 autres ont noué un partenariat avec des entreprises locales. Celles-ci, de leur côté, ont réalisé un effort énormes de mise à niveau : plus de 300 d’entre elles possèdent des unités de production conformes aux meilleurs standards mondiaux, et peuvent donc, non seulement approvisionner les constructeurs locaux, mais également exporter directement.

Aujourd’hui, l’automobile constitue l’un des piliers de l’économie turque. Elle emploie environ 500 000 personnes, regroupe plus de 1 000 entreprises. On dénombre 19 constructeurs, dont trois spécialisés dans les tracteurs et cinq fabricants de véhicules particuliers (Renault, Fiat, Toyota, Honda, Hyundai). La production atteint 562 000 unités en 2003 soit 1 % du marché mondial. 359 000 véhicules ont été exportés, dont plus des deux tiers vers l’union européenne : le secteur automobile représente à lui seul près de 10 % des exportations turques. La croissance de la production est rapide : + 57 % en 2003 par rapport à 2002. Sur les six premiers mois 2004, la production a atteint 429 000 véhicules, soit une hausse de 76 % par rapport à la même période de 2003.

La zone de Bursa constitue l’une des principaux pôles d’activité. Oyak Renault et Tofas Fiat, les premiers producteurs de véhicules particuliers, y ont localisé leur site de production. Bursa est même l’unique site de production mondial de la Mégane Break et de la Mégane II Tricorps. Deuxième pôle : la grande région d’Istanbul, avec les sites de Koaceli et Gebze, où une grande zone industrielle dédiée à l’automobile (la TOSB) est en développement.

La perfection, bien sûr, n’est pas de ce monde. La concurrence par les coûts s’exerce aussi sur la Turquie, où les salaires sont aujourd’hui supérieurs à ceux de la Roumanie ou de la Bulgarie. Beaucoup d’équipementiers locaux restent de simples firmes quasi-artisanales produisant pour le marché local des pièces de rechange, et le pays manque encore de bons équipementiers de « second rang », ce qui oblige les grands ensembliers à importer de nombreux composants. La gestion macroéconomique et financière un peu chaotique du pays, les incertitudes concernant les relations avec l’union Européenne, constituent également des handicaps.

Mais le développement industriel est bien là, et il n’est pas limité à l’automobile : on pourrait pratiquement raconter la même histoire pour la filière textile-confection ou, dans une moindre mesure, pour les industries agro-alimentaires. Alors, de grâce, parmi toutes les mauvaises raisons s’opposant à l’adhésion turque à l’union, que l’on ne mentionne plus son retard industriel !!!

Pour une étude plus approfondie sur le secteur automobile dans la région euro-méditerrannéenne : /2005/01/03/la-filiere-automobile-dans-la-region-euromediterranee/

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[1] Voir la filière automobile dans la région Euroméditerranée, étude Anima réalisée par Anne-Claire Vu.

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