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Fins de mondes – Episode 4 : Changer d’air

– On a gagné !! On a gagné !!

Trois semaines d’émeutes venaient d’avoir raison de la tentative du gouvernement d’augmenter l’impôt sur l’air. Après avoir d’abord affiché une détermination inflexible à porter la taxe à 3 euros par mètre cubes afin de mettre fin au gaspillage d’une ressource qui devenait chaque jour plus rare, le jeune président de la république, chef de la mouvance écolo-vegan, venait d’annoncer dans son discours télévisé l’ajournement pur et simple des mesures. Plus encore, il avait promis, dans le souci d’apaiser la fureur populaire, la mise en place d’une aide ciblée sur les foyers modestes : tous ceux touchant moins d’1,5 fois le SMIC se verraient attribuer un quota mensuel d’air pur supplémentaire d’1 M3 pour leurs déplacements à l’extérieur.

Heureux de ce recul du pouvoir, Paul et sa femme déchantèrent cependant rapidement en faisant leurs comptes. Avec des revenus supérieurs à 3 fois le SMIC, ils étaient en effet considérés comme des ménages riches et n’avaient droit à aucune aide d’Etat en matière d’accès à l’air. Ils devaient donc se procurer au marché noir les précieuses bonbonnes d’oxygène leur permettant de sortir hors de leur domicile pour vaquer à leurs occupations quotidiennes dans une atmosphère rendue irrespirable par la pollution et le réchauffement climatique.

Fort heureusement, Paul ne manquait pas de ressources pour résoudre ce problème. Son cousin, habitant à quelques dizaines de kilomètres de Paris, avant en effet monté un petit élevage clandestin de porcs et de volailles, bien à l’abri des réseaux de vidéosurveillance qui quadrillaient désormais les zone urbaines. En principe, ces activités étaient totalement prohibées par le gouvernement de salut public écolo-vegan qui avait pris le pouvoir depuis 15 ans, imposant des prohibitions massives sur toutes les activités à forte empreinte carbone. Mais, moyennant quelques prébendes bien placées, Il était encore possible de produire – à condition que ce soit en petites quantités – saucissons secs et jambons.

Et ce d’autant plus que les membres de la nouvelle élite écolo-vegan en raffolaient. Le pays bruissait de rumeurs sur les folles orgies de sandwiches au jambon cru et de côtelettes au barbecue qui se déroulaient dans les salons d’apparat du ministère de l’écologie, avec lâchers de ballons à l’oxygène pur, tandis que le pays, soumis à un strict régime végétarien, étouffait dans les miasmes d’une atmosphère fétide et saturée de CO2. Et Paul, jamais à court d’une débrouillardise, s’était fait une spécialité dans l’approvisionnement de ces fêtes clandestines en saucisson pur porc « haché gros » produits par son cousin. Bien sûr, il fallait mettre en œuvre des ruses de sioux pour échapper au contrôle du dense réseau de vidéo-surveillance qui quadrillait désormais la ville. Mais le jeu en valait la chandelle : pour chaque saucisson livré au ministère vegan, le chef du protocole lui donnait en échange 3 kits de de survie « oxy-plus » permettant de survivre pendant une heure aux redoutables tempêtes carbone qui s’abattaient de temps à autres, provoquant la mort de centaines de personnes par asphyxie.

Paul était d’autant plus heureux de ce trafic que le stock de kits de survie qu’il entreposait sans sa cave lui permettait d’avoir accès aux faveurs de sa voisine du 3ème étage. Celle-ci était la fille d’un opposant politique au régime écolo-vegan, qui en avait dénoncé les abus et les dérives. Accusé d’avoir répandu des nouvelles mensongères, il avait été sévèrement condamné à une réduction de son quota mensuel d’oxygène après avoir été livré à la vindicte populaire par les jeunes activistes « gardes verts » qui traquaient les opposants au régime. Avec désormais moins de 2M3 par mois, il ne pouvait pratiquement plus sortir et restait cloîtré chez lui, étendu sur son lit pour économiser l’oxygène, constamment menacé par l’emphysème et les idées brouillées par le manque d’air. Sa fille en était réduite à mendier l’aide des voisins. Une aide que Paul, le cœur généreux et la chair faible, lui accordait volontiers sur forme de kits de survie « oxy-plus »…

Il était illusoire, cependant, d’espérer que tous ces petits trafics pourraient se poursuivre bien longtemps dans la société d’hyper-surveillance qui s’était mise en place depuis quelques années. Bientôt, les aller-et-venues suspectes de Paul vers la maison de son cousin, ses rencontres discrètes avec sa voisine, ses descentes fréquentes à la cave de son appartement, furent repérées par les cyber-robots. La véritable nature de ses activités fut décryptée sans difficulté par le logiciel d’intelligence artificielle « Anacrim ». Et Paul fut bientôt traîné devant un tribunal d’assises sous des inculpations extrêmement graves : transport et vente de saucisson « haché gros » ; relations amoureuses tarifées avec sa voisine ; trafic d’air pur ; aide à des criminels anti-écologistes. Cela pouvait lui valoir de très lourdes condamnations.

Mais au moment du verdict, Paul n’imaginait tout de même pas une telle férocité de la part de ses juges. Il fut en effet condamné à demeurer pendant 3 jours et trois nuits consécutifs à l’air libre, sans aucun équipement de protection.

Trois jours dehors sans kit de survie « oxy-plus » !!! Mais c’était la mort assurée !!!

Une perspective qui, il est vrai, rassurait les membres de l’oligarchie écolo-vegan, peu désireux de voir éclater au grand jour l’épouvantable scandale d’orgies de cochonnailles dans lequel ils avaient trempé….

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