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Souvenirs et Mémoires

Belleville, je t’aime – Hier comme aujourd’hui

ImageJean Rozental, militant juif communiste né à Belleville en 1935, y a vécu la plus grande partie de son existence. Il peut à ce titre être considéré comme un témoin privilégié de l’histoire de ce quartier et des transformations qui l’ont affecté au fil des années. Victime en 2010 d’un infarctus qui faillit l’emporter, il décida alors de rédiger un petit livre afin de transmettre aux jeunes générations, avant qu’il ne soit trop tard, la mémoire de ce faubourg populaire. Achevé en 2013, cet ouvrage nous emmène dans un émouvant voyage vers le passé de Belleville, vu à travers le prisme des souvenirs personnels de son auteur, regroupés en une dizaine de petits chapitres : Pourquoi ce livre, Mon village en France, Les loisirs, L’habitat, Le tissu industriel, Les commerces, L’école et les jeux, la reconquête, La petite ceinture, Ma vie de militant de proximité, Mon parcours…

Jean Rozental commence, en quelques pages très émouvantes, par évoquer la mémoire ses chers disparus : sa courageuse mère Zetta, humble ouvrière en confection d’origine polonaise, qui sut le protéger de la barbarie nazie ; ses voisins et ses amis envoyés dans les camps de la mort ; son fils Hervé, sculpteur, tragiquement décédé en 2005 dans l’incendie de son atelier de la rue de la Mare…  Il nous raconte les heures noires de l‘occupation, les cartes d’alimentation, l’étoile jaune, la rafle du Vel-d’hiv, la solidarité des habitants du quartier qui avertissaient les juifs des rafles imminentes…

Dans une rapide mais passionnante digression historique, il nous explique ensuite comment le Belleville encore campagnard du milieu du XIXème se transforma progressivement en lieu d’accueil de populations déshéritées et émigrées : ouvriers parisiens chassés par la rénovation haussmannienne, paysans bretons et auvergnats, réfugiés juifs et arméniens, italiens, espagnols, maghrébins, africains, plus récemment chinois…

Puis, revenant à ses propres souvenirs, l’auteur nous décrit de manière simple et vivante le Belleville populaire de son enfance. Les familles pauvres comme la sienne étaient alors entassées dans des logements minuscules sans aucun confort, où la même pièce servait à la fois de dortoir et d’atelier, où il fallait traverser la cour pour aller faire pipi, et où le seul robinet d’eau potable, commun à tous les habitants de l’immeuble, était fermé l’hiver par peur du gel… Pour survivre, les habitants pratiquaient d’humbles métiers souvent disparus aujourd’hui : vitriers, rémouleurs, ouvriers en maroquinerie ou en confection, artisans menuisiers, imprimeurs, bougnats, colporteurs, crieurs de journaux, sans oublier bien sur les chanteurs des rues… Pendant ce temps, leurs enfants, fuyant leurs taudis étroits et surpeuplés, se livraient à toutes sortes de jeux dans les rues du quartier : patinette, cocorico (un genre de saute-mouton), charriots dévalant à toute allure les pentes des rues Julien Lacroix ou du Sénégal…

Un chapitre particulièrement intéressant est consacré à la description des nombreux lieux de loisirs  qui, jusqu’à 1960, servaient de cadre à l’intense vie festive de Belleville : bals, fêtes foraines sur le boulevard, cafés souvent animés par de petits orchestres, cinémas … Quant aux music-halls alors nombreux, ils constituèrent à l’époque de hauts lieux de la chanson populaire française, accueillant les récitals de Maurice Chevalier ou Edif Piaf, eux-mêmes enfants du quartier. Ces établissements ont aujourd’hui presque tous été remplacés par des superettes ou des succursales de banque… A moins que le pâté de maison où ils se trouvaient n’ait été purement et simplement rasé à l’occasion d’une opération de rénovation immobilière.

L’auteur, ayant  vécu dans sa chair la misère des vieux immeubles insalubres, ne cultive pas d’ailleurs à cet égard la nostalgie passéiste. Il se félicite au contraire du confort jusque-là inimaginable apporté aux populations modestes du quartier par la construction des barres et tours HLM modernes, comme celle du 66, rue des Couronnes où il vint habiter en 1974… A condition bien sûr que les luttes populaires auxquelles il a constamment participé soient auparavant parvenues à défendre les intérêts des habitants contre les appétits des promoteurs !!! On sent d’ailleurs souffler tout au long du livre l’esprit militant de Jean Rozental, qui lutta toute sa vie, sur le terrain, pour améliorer les conditions de vie de la population bellevilloise, jouant par exemple un rôle important dans la création de la piscine Alfred Nakache, rue Désnoyer.

A travers mille anecdotes et souvenirs tirés de la vie de l’auteur, ce livre à la lecture très agréable permet de comprendre de l’intérieur, jusqu’à en éprouver une sensation presque physique, ce que fut ce quartier. Il donne du Belleville d’hier et d’aujourd’hui une image extrêmement attachante… Peut-être même trop attachante d’ailleurs, dans sa vision un peu trop idéalisée d’un peuple faubourien mythiquement paré de toutes les vertus morales, et dans son refus de voir les laideurs pourtant bien réelles qui parfois défigurent son âme : racisme, antisémitisme, violence, repli communautaire…

L’ouvrage est également illustré par de nombreuses photographies, qui restituent avec force la mémoire du Belleville d’hier tout en donnant la mesure des immenses transformations qui l’ont affecté jusqu’à aujourd’hui – par exemple à travers la mise en regard de deux images du même lieu, prises à plusieurs dizaines d’années d‘intervalle.

J’ai lu avec beaucoup d’émotion ce livre très accessible et imprégné d’une humanité chaleureuse. J’en suis ressorti avec le sentiment d’avoir appris, avec plaisir, plein de jolies choses sur ce quartier, que, moi aussi, j’aime avec passion…

Jean Rozental, Belleville je t’aime – hier comme aujourd’hui, 127 pages, autoédition, 2013

 

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