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Mémoires de danse

Claudio Blanc : au cœur du tango genevois

Par Fabrice Hatem

clsallecas C’est au Club Alpin Suisse (CAS) que j’ai découvert, il y a déjà plusieurs années, le tango genevois à l’occasion de mes premiers séjours dans la ville. C’est une grande salle rectangulaire, très haute de plafond et au très beau parquet de bois, d’ailleurs actuellement en réfection. On y accède par un grand escalier décoré par des tableaux de montagne. En face de l’entrée, se trouve un bar où le maître de céans, Claudio, vous accueille toujours d’un petit mot gentil quand il n’est pas sur la piste avec l’une de ses invitées. Tout au fond, derrière les rayonnages d’une bibliothèque, de grandes fenêtres à double-battant s’ouvrent sur un long balcon qui domine l’immense place en forme de losange de Plainpalais.

claudioparquet Il s’agit sans doute là du lieu le plus central, le plus « incontournable », pour la pratique du tango à Genève. La milonga du dimanche soir et la pratique du mardi,en particulier, attirent de manière régulière le « noyau dur » des pratiquants les plus impliqués. De plus, Claudio, fondateur et animateur de l’association « Gens de tango Genève » qui gère ces activités, propose également une programmation de stages de grande qualité, avec la venue assez régulière de très grandes pointures, comme Lorena Ermocida ou Milena Plebs. Je lui ai demandé de nous parler un peu ici de ses « secrets de fabrication », mais aussi de son parcours personnel et de ses projets.

Quel est ton secret pour créer un lieu central, « incontournable » ?

La magie réside d’abord dans la salle. On n’a jamais fermé les portes un dimanche ou un mardi, y compris si cela tombait un jour de fête, depuis que la milonga existe. La fermeture actuelle (en Août 2010, NDLR) est une exception, un cas de force majeure lié à la réfection du parquet. Ainsi, les gens ne se sentent pas abandonnés et savent qu’ils peuvent compter totalement sur ce lieu de convivialité.

ancas2n L’ambiance de la milonga produit une possibilité de communication entre gens inconnus les uns des autres, qui s’est un peu perdue ailleurs. Avec le tango, tu peux te sentir en famille dans n’importe quelle ville du monde, et c’est sans doute une des raisons majeures de l’explosion actuelle de cette danse. Dans cet esprit, nous essayons de créer ici un groupe fondamentalement ouvert, pas élitiste, mais au sein duquel il faut aussi travailler pour trouver du plaisir.

clfernandez Mais en même temps, il y a l’attrait de l’inconnu, de la nouveauté. La milonga est un peu comme un film. Certes, on voit toujours un peu les mêmes personnes, on passe les mêmes musiques, mais chaque soirée a un goût un peu différent, et il s’y passe toujours quelque chose de nouveau. Et pour alimenter cette variété, nous organisons régulièrement de petits ou grands évènements : concerts, fêtes, stages, festivals, etc.

Comment fais-tu pour faire venir d’aussi grandes vedettes que Lorena Ermocida ou Milena Plebs ?

cllorena J’ai fait la connaissance de Lorena Ermocida et Osvaldo Zotto à l’occasion du festival que j’ai organisé en 2006. Nous avons noué une amitié très forte, entretenue par diverses rencontres, notamment au festival de Sitges. Quand Osvaldo et Lorena se sont séparés, celle-ci m’a dit qu’elle souhaitait revenir à Genève, qui faisait partie des quatre villes européennes où elle avait le plus envie de travailler. C’est ainsi que j’ai pu naturellement organiser un stage avec elle au printemps 2010. Il s’agit d’une personne de très grande valeur, sur les plans à la fois artistique, pédagogique et humaine, et avec laquelle il est très agréable de travailler.

Pour Milena Plebs, les choses sont encore plus simples : Milena devait se produire au festival de cinéma d’Annecy et m’a contacté sur Facebook pour me demander de lui organiser un stage en juin dernier (1).

Peux- tu quelques mots sur ton parcours personnel ?

claudio Il y a vingt ans, je dirigeais une entreprise spécialisée dans l’exportation de poisson, à Buenos-Aires. A 25 ans, j’avais 75 employés. Puis est venue la crise économique en Argentine, et j’ai dû fermer mon entreprise. Après la naissance de mon fils, j’ai divorcé. Ces difficultés personnelles et professionnelles m’ont amené à partir vers Genève, il y a treize ans, à l’invitation de ma sœur et de mon beau-frère. Puis, comme je me passionnais de plus en plus pour le tango, j’ai fondé une petite Milonga, la Kultural, rue Saint-Jean, et les gens ont également commencé à me demander de leur donner des cours. On n’était pas très nombreux alors, mais les tangueros étaient attachés à ce lieu et ont été très tristes lorsqu’il a fermé. Je ne suis alors associé avec Alejandro de Benedictis, et cette fructueuse collaboration dure toujours.

J’ai découvert le CAS fin 2002 à l’occasion d’une soirée organisée par Eva Espoleta. Les propriétaires m’ont fait tout de suite confiance. Personne ne m’a demandé de garantie, ni même de pièce d’identité. Mes activités ont commencé ici en décembre 2002 et n’ont pas cessé jusqu’à aujourd’hui.

Comment les choses ont ensuite évolué ?

clalejandro Avec Alejandro, nous avons beaucoup travaillé pour ouvrir le tango vers des cercles de plus en plus large, en refusant l’élitisme. Nous avons ainsi pu ainsi attirer un public genevois de plus en plus nombreux.

Nous avons aussi eu pas mal de difficultés, qui, rétrospectivement, peuvent paraître un peu cocasse, tragi-comique, mais qui sur le moment ont été très stressantes. Par exemple, nous avons organisé en 2004 une croisière sur le lac Léman avec plusieurs orchestres (Los Reyes del Tango, un duo et un chanteur) et deux couples de danseurs que j’avais clbateau amené directement de Buenos Aires : Géraldine Rojas & Javier Rodriguez, Marcella Guevara & Stefano Giudice. Mais nous avions seulement une heure pour préparer le bateau, car celui-ci n’était libre qu’à 18h30 et les gens devaient arriver à 19h30. Et nous n’arrivions pas à faire marcher la sono. Cela a été un moment horriblement stressant. Mais tout s’est bien terminé, in extremis. José Luis Bettancour, alors membre du groupe Silencio, a joué pour faire un peu patienter les gens. Et Martin Colucci s’est rendu compte que la panne venait d’un fil cassé que l’on a pu changer au dernier moment.

clzotto2 La soirée de clôture de notre festival 2006 avait aussi très mal commencé, avec elle coïncidait avec la finale du Mundial de Football. Il y avait du monde et du bruit partout dans les rues, mais notre milonga, par contre, ne parvenait pas à vraiment démarrer. Alors Osvaldo Zotto et Lorena Ermocida ont proposé de faire une démonstration impromptue pour faire monter l’énergie de la salle. Au moment où ils saluaient le public, les voisins sont descendus en pyjama, tous décoiffés, et se sont directement dirigés vers Osvaldo en lui disant : «Ca suffit, partez immédiatement ». Tout le monde était mort de rire. Mais les voisins ont ensuite appelé la police, la régie, et, cela a été la fin du « paradis originel » de notre lieu, avec des milongas qui pouvaient durer jusqu’à trois ou quatre heures du matin.

clclaudio1 Sur le plan artistique, j’ai eu pendant plusieurs années une collaboration fructueuse avec Natalia Guevara. Dès les premiers cours qu’elle a pris avec moi, j’ai senti qu’elle avait un instinct du tango, qu’elle « arrangeait » spontanément les choses, avant même de savoir danser. Je lui ai proposé d’être ma partenaire, et nous nous sommes ensuite produits dans tous les théâtres de Genève. Il y avait une magie sauvage entre nous. Un jour, au théâtre de l’Orangerie, nous étions en train de nous disputer assez violement ; le journaliste a pris à ce moment-là une photo où nous avions l’air d’exprimer une passion amoureuse très forte. Et il a publié l’article en titrant là-dessus.

clagnesa Je veux ajouter que je n’aurais pas pu réussir sans l’aide de mes proches compagnons de route : Alejandro de Benedictis, Martin Colucci, et, bien sûr, ma femme Agnesa qui me soutient beaucoup, de manière inconditionnelle, sur les plans émotionnel et moral.

Quels sont tes principes pédagogiques ?

clsalleccas2 Je ne veux pas cloner mon propre style ou enseigner un tango stéréotypé. Je pense que les danseurs doivent faire des expériences très diverses pour prendre chez chaque enseignant ce qui peut leur être utile. Chacun doit exprimer sa propre personnalité à travers la danse. Dans mon site web, je parle des trois harmonies : entre les corps (mouvement, connexion), avec la musique, et avec les autres danseurs sur la piste.

Quels sont tes projets pour l’année prochaine ?

claudiiamis Je voudrais organiser une tournée un peu particulière pour montrer les immenses bienfaits potentiels de la tango-thérapie pour l’insertion sociale des trisomiques. J’ai vu les bienfaits du tango sur mon fils, dont je me charge entièrement depuis 2 ans. Je voudrais faire venir trois couples de danseurs trisomiques d’Argentine pour leur organiser une tournée et les faire participer au festival que nous allons organiser. Je suis très motivé pour ce projet, car je me mets un peu à la place des parents de ces enfants et je sais la joie que cela va leur faire. Mais nous allons avoir pour cela besoin de toutes les bonnes volontés.

Propos recueillis par Fabrice Hatem

(1) Pour voir un reportage sur ce stage, cliquez sur le lien suivant : rencontre avec Milena Plebs

Pour se tenir au courant des activités de Claudio et de son association; cliquez sur le llien suivant : http://gensdetangogeneve.ch/

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