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Historias minimas

Je vais rejoindre Jean-Baptiste

Grignon, le 4 juin 1840

bes8 L’aube blanchit ma chambre. J’ai toujours entendu dire que c’était l’heure de la mort. Je viens de me confesser, et je comparaitrais bientôt, l’âme en paix, devant Notre Seigneur. Mais pour moi, il est toujours une heure moins cinq. C’est l’heure que marque la montre de mon mari, qui s’arrêta quant sa poitrine fut traversée par un boulet, le 1er mai 1813, près de Rippach, en Allemagne. Elle est là, sous mes yeux, sur ce lit qui bientôt sera celui de ma mort.

bes4 Ses campagnes, je ne les connais que de loin, par les récits toujours modestes, qu’il m’en faisait. Mais je me souviens bien de nos parties de cache-cache près du château de Bonaguil ou sur les bords du Lot, près du bac de Meynes. C’était en 1786. J’étais une petite fille, Il était revenu de Cahors, avec son camarade de collège, qui allait devenir le prince Murat, et qui n’était alors qu’un grand dadais de Joachim. Avec ses longues boucles noires et sa belle taille de cavalier, Murat faisait déjà soupirer toute les petites paysannes, depuis Niaudon jusqu’au Théron. Mais moi, j’aimais mieux mon cousin Jean-Baptiste, parce qu’il était élégant, bon catholique et gentil avec moi. Nous en avons fait, des promenades entre Albas et Puy-Levèque, avec Joachim, Jean-Pierre Ramel, et aussi Jean Jacques Ambert, qui allaient tous plus tard devenirs généraux sous l’Empire et la révolution

bes10 Et, puis, il a été pris dans la grande tourmente. La garde nationale, les chasseurs à cheval, l’armée d’Italie, la rencontre de Bonaparte, Rivoli, la Favorite, la charge d’Aboukir avec Murat, Marengo, une carrière fulgurante qui le conduit au grade de Général. A la fin 1800, il revint à Cahors, déjà couvert de lauriers, avec son ami Murat. Quel triomphe !!! Mais il avait aussi une autre idée en tête…

Je me souviens de notre premier baiser. J’avais alors 18 ans. C’était près de la maison de son père, derrière un buisson d’aubépines, dans le quartier du bout du pont, pendant la fête des Garabets, à Prayssac. Ce soit-là, il m’avait pris dans ses bras pour m’éviter de salir mes robes dans la boue, et nos lèvres se rencontrèrent presque par hasard. Deux jours plus tard, il demanda ma main à mon père. Elle lui fut accordée, non parce qu’il était un général déjà fameux de la Révolution, mais parce que c’était un bon catholique, qui avait sauvé la Reine et le petit Dauphin, lors des journées d’août 1792, quand il était dans la Garde Nationale, en criant à la populace déchaînée : « on ne tue pas les femmes ». Nous fûmes mariés en octobre par l’Abbé Pélissié, un prêtre non jureur.

bes3 Bonaparte aimait et appréciait beaucoup mon mari, qui commandait sa Garde. Il m’aimait bien aussi, et jouait parfois à colin-maillard avec nous, comme un vrai gamin, dans le parc de notre maison de Grignan. Il m’avait bien mise à l’écart un moment, quand il avait appris que j’avais assisté à une messe anniversaire pour l’âme du défunt Louis XVI, un 21 janvier. Mais je lui dis que j’avais toujours été bonne catholique et que la mort de ce pauvre roi avait été un crime inutile. Je lui dis aussi qu’en respectant la religion et le Pape, il ne ferait qu’accroître et consolider sa propre gloire. Ah ! s’il avait su mieux écouter mon conseil…

bes5 Entre 1805 et 1810, ce furent pour Jean-Baptiste cinq années de gloire, mais aussi pour moi un purgatoire de solitude dans notre maison de Grignan, toujours tremblante d’apprendre une terrible nouvelle, à peine rassurée par l’éclat de ses victoires, mais toujours fière de sa grandeur d’âme. Tous associent son nom aux victoires d’Austerlitz, de Iéna ou de Médina del Rio Seco. Moi, je me souviens des rangs de cavalerie ouverts par mon mari à Marengo pour éviter de piétiner un soldat autrichien blessé à terre, ou de la fillette sauvé par lui des eaux glacées à la Berezina, témoignages d’une âme noble et chrétienne.

bes2 1810 fut pour nous la seule année de vrai bonheur, entourés de nos enfants, dans la maison de Grignan. Mais l’apothéose de notre couple fut sans doute l’entrée dans Cahors, puis dans Prayssac, en décembre 1811, où il retrouva, une dernière fois sa nombreuse famille, entouré par une foule en liesse. Par piété, et aussi un peu je crois, pour ne faire plaisir, il fit des dons à plusieurs églises de la vallée du Lot : un retable de Bois espagnol à l’église de Bélaye, un cloche à Prayssac, une autre à Lagardelle…Puis ce fut la Russie, dont il ne revint que par miracle…

bes6 En partant pour l’Allemagne, en 1813, il savait qu’il allait mourir. Les recrues étaient trop jeunes, obligeant les officiers à s’exposer de manière excessive. Son aide de camp, Baudus, m’a raconté que le matin de sa mort, il fit chercher toutes mes lettres pour les brûler. Je me suis toujours demandé pourquoi il avait commis ce geste qui m’a privé d’un si tendre souvenir ? Le désespoir, peut-être… Mais alors, pourquoi n’a-t-il pas aussi brûlé les lettre de sa maîtresse, cette petite comédienne du Français, Virginie Oreille ? Ce fut pour moi une bien grande peine de les découvrir dans ses équipages, que l’on me ramena après sa mort. bes9

Le reste est dans tous les livres d’histoire. Mais dans mon cœur, je garde le souvenir d’un homme élégant et généreux, le père aimant de son enfant, mort pour sa Patrie sans avoir jamais trahi un serment. Bien sur il me fut un peu infidèle. Mais le pardon est venu avec le temps. Il est temps pour moi de le rejoindre au Ciel…

Remerciements à Monsieur Robert Soulie, Auteur, de "Bessieres, Maréchal d’Empire", disponible chez l’auteur robert.soulie@wanadoo.fr

 

 

 

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