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Discographie de La Orquesta Tipica Fernandez Fierro

ImageEditeur : La Salida n°44, juin à septembre 2005

Auteur : Gerry Kenny

Discographie de La Orquesta Tipica Fernandez Fierro

Si votre oreille est branchée tango, et que vous cherchez du nouveau à mélanger avec de l’ancien, la discographie de la Orquesta Tipica Fernandez Fierro, jeune formation de tango née à Buenos Aires un 23 juin 2001 mérite votre attention. A ce jour l’orchestre a réalisé deux enregistrements : Envasado en origen (2001) et Destruccion Masiva (2003). Chaque disque est composé d’un CD audio d’une douzaine de morceaux, accompagné d’un CD Rom interactif con fotos, videos y todo ese tipo de cosas. Une façon comme une autre de poursuivre l’histoire d’amour entre le tango et la technologie.

Envasado en origen, comme son nom l’indique, puise son inspiration aux sources du tango en proposant des morceaux de l’Age d’Or que tous les danseurs ont déjà entendus maintes fois dans leurs versions classiques : Di Sarli pour les versions de référence de Milonguero Viejo, El Engeniero, et Comme il faut ; De Caro, Piazzolla des années 40, ou Villasboas pour La Rayuela ; Gobbi pour La Viruta. Sauf que vous n’allez pas forcément les reconnaître, car la Fierro n’imite ni Di Sarli, ni les autres.

La pulsation qui anime les arrangements ici vient de l’esprit de Pugliese des années 70, déjà présent de façon plus classique depuis 1989 chez Color Tango. D’ailleurs, Roberto Alvarez, le célèbre premier bandonéon de Color Tango, confirme cette communauté d’influences par sa participation sur Envasado en tant que soliste sur El Engeniero. Et puis on soupçonne Julian Peralta, le pianiste de la Fierro, d’avoir composé Waldo en hommage au grand Os-Waldo Pugliese, et un autre instrumental original de cette collection, Punto y Branca, pour annoncer fermement son intention non pas d’imiter mais de poursuivre les pistes musicales ouvertes par Pugliese.

Une mention particulière revient à Walter « Chino » Laborde, chanteur de la Fernadez Fierro. Par son phrasé dans Te llaman malevo, et ses qualités expressives dans Maquillaje, il affirme un style aussi bien qu’une personnalité. Mais c’est surtout le magnifique Cuesta Abajo, qui termine Envasado, qui permet d’apprécier la puissance de la collaboration voix-orchestre : même porté par 4 bandonéons, 3 violons, alto, contrebasse, et piano, Chino réussit à respecter toute la finesse d’expression qui caractérise l’œuvre de Gardel et Le Pera, les compositeurs.

2 documents parmi tous ceux du CD Rom confirment la place essentielle du chant dans le répertoire de la Fierro. Le premier, Chino, est un clip construit autour d’une performance d’un tango chanté sur scène par Chino accompagné de l’orchestre. Ce clip donne un aperçu de l’effet des 12 musiciens en action, en attendant de les voir. A découvrir. Le deuxième document est le témoignage vidéo de Horacio Ferrer, grand poète du tango, né à Montevideo en 1933, toujours pétillant de vie, et connu pour ses nombreuses collaborations avec Piazzolla. Il raconte avec émerveillement la rencontre avec Pugliese et la composition de la letra de Yo Payador en 1976, enregistré ici pour la première fois. La présence de Ferrer établit un lien entre Pugliese et Piazzolla dans la vision musicale de la Fierro.

Destruccion Masiva est sorti 2 ans après Envasado. Cette fois-ci, le titre est plus ambigu. La photo de la pochette nous montre un piano figé au moment de sa chute d’une hauteur qui ne laisse aucun doute quant à sa destruccion masiva au moment de rencontrer le sol, sans bémol possible. Destruction physique d’un instrument de musique ? Peut-être. Mais le clip du CD Rom qui montre les musiciens en train de déplacer le piano dans les rues de Buenos Aires avec tant amour compromet une interprétation trop simple. Le titre fait également référence aux armes réelles ou rêvées de destruction massive d’actualité. Quel qu’en soit notre lecture, ce titre nous prépare à une œuvre plus complèxe que son prédécesseur, nous proposant des arrangements qui déconstruisent et reconstruisent des tangos connus du répertoire assortis de compositions originales de très bonne qualité.

Il y a 4 compositions originales en tou: un dyptique, constituée de Prologo en ouverture du CD et Final en fermeture, de Julian Peralta aux couleurs de Piazzolla ; Mal Arreado, aux teintes de Pugliese, également de Peralta ; enfin, Sin Dudas y Con Firmeza du contrebassiste Yuri Venturin, qui démontre clairement que derrière l’allure « grunge » du compositeur (barbe, cheuveux longs, lunettes noires) se cache un musicien redoutable. Venturin est également très présent sur Si sos bujos de Emilio Balcarce (grand figure contemporain parmi les jeunes musiciens à Buenos Aires grâce à sa célèbre Orquesta Escuela de Tango) arrangé ici pour 6 instruments à cordes de l’orchestre. Pour apprécier les staccattos fatals de cette version, le comparer avec celle de la Escuela sortie chez Milan Sur en 2003.

Les documents multimédia confirment l’image de l’orchestre : un collectif coopératif (comme le fut l’orchestre de Pugliese en son temps) de musiciens de 25-30 ans, qui s’installe régulièrement dans la rue pour jouer devant son public très fidèle. Chaque membre est présenté par un court-métrage qui lui est dédié, et une impression de créativité assortie d’une obsession tango en ressort.

En ce qui concerne le travail sur la tradition du tango, la présence d’Anibal Troilo comme influence s’affirme de façon explicite. D’abord il y a des accents de Troilo introduits au bandoneon dans l’interprétation de Zita de Piazzolla. Ce morceau est suivi directement par un Che Bandoneon, composé par Troilo-Manzi, où le dévouement de l’orchestre en tant qu’ensemble d’accompagnement s’inscrit tout à fait dans la tradition de mise en valeur du chant défendue avec tant d’acharnement par Pichuco lui-même. Les dernières mailles du lien avec Troilo se tissent sur le CD Rom grâce aux photos archivées parmi les inspirations répertoriées de la Fierro : d’une part, Troilo tout sourire avec le jeune Piazzolla; d’autre part, Orlando Goni, introspectif, pianiste de légende de l’orchestre de Troilo dès 1937, pour qui Alfredo Gobbi a composé son Orlando Goni, joué dans un arrangement de la Fierro sur ce disque.

L’autre nouveauté se trouve dans les investigations rythmiques de la version de la milonga Taquito Militar. Cet arrangement, un peu isolé parmi les tangos, laisse présager d’autres aventures intéressantes à venir, car il est rare d’entendre autant d’idées sur le jeu des rythmes en si peu de temps tout en gardant un sens de la danse. Vous avez révé de milongas avec silences et suspensions ? La Fierro a travaillé pour vous.

Il est évident que le renouveau du tango des 20 dernières années du 20° siècle a commencé par la danse, et que cette danse a pu se reconstruire grâce aux disques et à l’avènement de la technologie du CD pour la plus grande diffusion du répertoire traditionnel. Ainsi nous avons pu bâtir du présent sur du passé. Il est tout aussi évident à l’écoute de ces 2 disques de la Orquesta Tipica Fernandez Fierro et avec un troisième en préparation pour 2005, que le renouveau se poursuivra par la musique. Avec Envasado en origen et Destruccion Masiva, la Fierro ose ouvrir le chemin d’un tango d’avenir, qui innove tout en respectant la tradition, qui joue la musique des maestros sans renier sa propre époque, en tirant bonne partie d’une intégration efficace du support multimédia. L’infini des possibles a décidément de beaux jours devant lui.

Visitez également le site de l’orchestre : www.fernandezfierro.com

Gerry Kenny, Toulouse
Remerciements à Sylvie, Claire et à Flavien.

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