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Carnet de voyage 2010 à Cuba

A la découverte de la Trova moderne avec Yaima

Jeudi 17 septembre 2010, Santiago de Cuba

phtositeyailefinal (pour consulter la video et le diaporama associés à cet article, cliquez sur les liens suivants : diapo et video)

Chère Mireille,

Ceux qui ne sont pas allés à Cuba ne peuvent pas savoir à quel point ce pays peut constituer une source constante d’émotions artistiques et humaines, liées souvent à des rencontres de hasard.

Mais s‘agit-il vraiment de hasard, dans un pays où le talent musical semble fleurir littéralement à chaque coin de rue et sous chaque pierre des jardins ?

A midi, j’avais ainsi rencontré le merveilleux duo de Boléros traditionnel Los Cubanitos, deux musiciens âgés dont je t’ai parlé hier.

Et ce soir, j’ai rencontré la jeune Yaima et son trio de Trova moderne Eroshay.

En fait, je connaissais déjà Yaima. Je l’avais invité à danser le jour même de mon arrivée, sur la musique du sextet Sol y Son. Mais, ce jour-là, elle portait des talons aiguilles et paraissait grande et élancée.

Aussi, lorsqu’une petite femme mince vint me saluer, ce jeudi après-midi, pour me rappeler que nous avions dansé ensemble trois jours plus tôt et m’inviter au spectacle qu’elle devait donner le soir même à la Casa de la Trova, je ne reconnus pas Yaima.

Lorsque j’arrivais le soir pour l’écouter, vers 20 heures, le spectacle était sur le point d’être annulé faute de spectateurs. Cela aurait été bien dommage, car Yaime chante merveilleusement la Trova néo-traditionnelle, accompagnée par son mari violoncelliste Alexis et par un ami guitariste, Hermès Martinez.

Heureusement, ils ont décidé de donner leur concert pratiquement pour moi seul. Quel cadeau superbe !!

Leur trio, formé en 2003, s’appelle Eroshay, néologisme formé du nom du Dieu grec de l’amour, Eros, et des initiales des prénoms de ses trois membres. Sa démarche artistique consiste à reprendre des compositions traditionnelles cubaines – comme Santa Cecilia de Manuel Corona ou Mariposa de Pedro Romero – et à les ré-arranger dans un style plus contemporain aux accents de blues, né dans les années 1950, appelé Feeling. Leur répertoire intègre également des chansons venues d’autres pays d’Amérique Latine, comme Eu sei que vou te amar de Carlos Jobim ainsi que des compositions originales du guitariste Hermès Martinez.

Le résultat, comme tu peux en juger dans la vidéo et le diaporama ci-joints, est vraiment très beau et original. Yaima, de sa voix rêveuse et légèrement voilée, dit les textes autant qu’elle ne les chante et met ainsi merveilleusement en valeur la beauté de ces paroles. Les notes tranquillement égrenées par la guitare et les discrets contrechants de violoncelle très legato fournissent un écrin instrumental très ouvragé à cette poésie chantée. Cette musique est généralement interprétée sur des rythmes lents très rubato, qui m’ont agréablement reposé des pulsations frénétiquement métronomiques de certaines (excellents) orchestres de Son et Salsas que j’avais entendu les jours précédents. Ainsi ré-arrangées, des compositions anciennes comme Lágrimas Negras de Miguel Matamoros semblent avoir été écrites la veille par un jeune compositeur de Nueva Trova amoureux de Blues et de Bossa Nova.

J’ai applaudi tant que j’ai pu. Je n’étais pas le seul d’ailleurs, car à l’extérieur, plusieurs cubains visiblement très modestes (c’est un euphémisme) s’étaient agglutinés aux grilles de la Casa de la Trova pour écouter cette musique moderne avec un grand recueillement. La plus attentive et enthousiaste était la vieille mendiante à laquelle j’avais, quelques heures plus tôt, donné 25 centavos. Mais les serveurs de la Casa, eux aussi, applaudissaient avec moi…

Quel peuple d’artistes !!! Chez beaucoup de cubains, l’amour de la musique et de la poésie est si fort qu’il semble capable de survivre à n’importe quelle difficulte de l’existence.

Mais la générosité de Yaima à mon égard ne s’arrêta pas là. Sans doute touchée par l’intérêt bien légitime que je portais à son travail artistique, elle prit la peine de m’en expliquer longuement les principes. Voyant également à mes questions que je souhaitais mieux connaître l’histoire de la musique cubaine, elle se lança pour moi dans une très intéressante présentation des différents genres qui la composent : Punto Cubano, Son, Cancion, Rumba, Danzon, Cumparsas… Un exercice sans doute assez habituel pour elle, puisque la profession de Yaime consiste justement à enseigner la musicologie et la technique vocale.

Eroshay ne s’est jamais produit en Europe, C’est dommage pour eux, mais aussi pour le public européen, qui perd ainsi une occasion d’écouter une musique cubaine originale, à la fois très contemporaine et très enracinée dans la tradition, et explorant des chemins très différents de ceux auxquels les Salseros sont habitués. Esperons donc qu’un jour, un organisateur de festivals ou un producteur de spectacles s’interessera a eux…

Fabrice Hatem

 

 

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