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Carnet de voyage 2010 à Cuba

Une visite à Ochun, la Vierge de la Caritad del Cobre

Dimanche 19 septembre , Santiago de Cuba

photositeoshun (Pour consulter le diaporama et la vidéo associés à cet article, cliquez sur les liens suivants : diapo et vidéo).

Chère Mireille,

Cela faisait bien longtemps que je rêvais de faire ce pèlerinage – pardon, de visiter ce lieu. L’église de la Virgen de la Caritad del Cobre n’est en effet pas seulement l’une plus importantes églises catholiques de Cuba – Une basilique, excuse du peu. C’est aussi un lieu de dévotion important pour les pratiquants de la Santeria qui vouent un culte particulier à Ochun, déesse de l’amour et de la fertilité dans le panthéon Yoruba.

Or, il se trouve que j’aime beaucoup Ochun, pour des raisons que j’ai expliquées dans un autre article de ce site (1). Je souhaitais donc pouvoir lui témoigner mon respect, tout en m’instruisant sur les pratiques de ses véritables dévots. Si cette émouvante visite a répondu à mes attentes, c’est d’une façon assez différente de ce que j’avais imaginé.

J’étais en effet venu ici dans le cadre d’une démarche d’investigation intellectuelle et esthétisante, en espérant recueillir des éléments d’informations et des images sur les religions afro-cubaines. J’ai effectivement rencontré un peu de cela. Mais j’ai surtout trouvé une foi Catholique vivante et ouverte, un petit village perdu au bord de la forêt tropicale, et une sympathique famille habitant dans un joli jardin.

Le village d’El Cobre, où se trouve l’église éponyme, est situé à une vingtaine de kilomètres de Santiago, dans une région de collines boisées. Il tire son nom des mines de cuivre qui ont longtemps constitué son activité principale, et dont on voit encore les traces dans les carrières à ciel ouvert qui balafrent certains des collines alentour, ainsi que dans un lac bleu azur recouvrant les anciennes galeries, dont la belle couleur provient du sulfure de cuivre qui saturent ses eaux et les rendent impropres à la vie.

Ces mines fort anciennes, presque autant que la colonisation espagnole, ont longtemps exploité le travail d’une main d’œuvre servile, travaillant dans des conditions comme tu peux l’imaginer épouvantables. C’est pourquoi beaucoup d’esclaves Noirs préférèrent les hasards et les dangers d’une vie libre dans la forêt à l’abominable routine de l’esclavage. On appelait ces fugitifs les Cimarrones. Un grand monument d’art moderne a été érigé en leur honneur il y a une dizaine d’années, avec l’aide de l’Unesco, sur une petit butte surplombant le lac et les anciennes mines, et depuis lors appelée « la route du Cimarron ».

J’ai fait là une excursion intéressante, qui me permis en particulier de visiter une sorte de temple afro-cubain, vraisemblablement destiné au culte Palo : une petite grotte-hutte, creusée à flanc de colline et soutenue par d’épais étais de bois, où l’on trouve une très belle fresque représentant une tête de vache ou de taureau. En face, à l’air libre, se trouve une sculpture de bois et de métal, tenant à la fois de l’art primitif et du surréalisme, évoquant un sorte de minotaure. D’après mes accompagnateurs, ce lieu sert parfois de cadre à des cérémonies religieuses d’inspiration africaine. Ce fut, à vrai dire, le seul contact direct de la journée avec cette culture afro-cubaine que j’étais venu chercher ici.. Et encore, peut-etre ne s’agit-il que d une sorte de campement scout….

Mais alors Ochun et son église, me diras-tu ? J’y viens, mais laisse-moi encore un peu de temps. On y arrive par une sorte d’avenue poussiéreuse et non goudronnée, assailli par des dizaines de marchands de petites bimbeloteries religieuses. Cela fait immédiatement penser à Lourdes, mais en beaucoup plus pauvre : au lieu de boutiques cossues, des petits étals à ciel ouvert, des vendeurs aux visages émaciés qui s’accrochent à la porte de votre voiture et des gamins déguenillées qui vous demandent l’aumône d’une piécette. Il y aussi de nombreux marchands de fleurs – aux étals visiblement un peu plus prospères – qui vous proposent des centaines et de milliers de bouquets de tournesol et de roses jaunes – la couleur d’Ochun – pour les porter en offrande à la vierge de la Caritad del Cobre.

On accède à l’église par un escalier monumental de plusieurs dizaines de marches se succédant sur trois niveaux. On peut y voir de temps en temps une fidèle accomplissant un vœu de pèlerinage, par exemple en montant à genoux les marches pour remercier la déesse – ou la Sainte Vierge – d’avoir favorisé une grossesse, d’avoir permis une naissance heureuse, ou d’avoir sauvé la vie d’un petit enfant.

Le bâtiment actuel, entièrement recouvert de stuc blanc, a été construit au milieu du XIXème siècle. Son style pourrait se définir, je crois, comme « néo-baroque colonial » : une nef sans transept ; une façade à deux niveaux dont le rez-de-chaussée est orné de trois grandes arcades ; une tour carrée surmontée d’une dernier étage octogonal lui-même coiffé d’un toit en forme de bulbe.

Mais ce lieu vaut moins par son intérêt architectural, en fait assez limité, que par la ferveur joyeuse qui se dégage de la foule des fidèles. J’ai eu la chance de m’y rendre un dimanche, à l’heure de la messe. Ceci m’a permis de me rappeler que les églises sont d’abord des lieux de Foi partagée, et pas les simples objets d’étude historico-architecturaux auxquels nous les avons progressivement réduits dans notre Europe mécréante.

La nef de l’église était entièrement emplie de fidèles. L’officiant était l’archevêque de Santiago lui-même, un bel homme d’une soixantaine d’année en étole verte, qui au moment de mon arrivée professait les bienfaits de la famille devant la foule recueillie. Son office était entrecoupé de très beaux chants religieux au caractère aérien, mais où l’on pouvait aussi clairement percevoir le rythme de la clave. Cette association de la musique d’église et des rythmes tropicaux étaient véritablement magnifique, presque surnaturelle par moments. Associée au sentiment de ferveur qui se dégageait des fidèles, elle aurait pu entraîner la conversion de l’athée le plus endurci, pour autant qu’il soit un peu mélomane.

La couleur jaune était très présente, dans les habits des femmes, dans les bouquets de fleurs destinés à la Vierge. Mais cette couleur ne témoignait pas nécessairement d’une croyance d’origine africaine. Le syncrétisme religieux a en effet fonctionné ici dans les deux sens, et le catholicisme local a lui-même revêtu la vierge dorée de la Caritad Del Cobre de la couleur jaune de Ochun sans pour autant renier son Credo.

J’avais donc devant les yeux, non un quelconque rituel primitif, mais le témoignage d’une Foi catholique à la fois puissante, vivante et ouverte sur le monde – qu’il s’agisse d’autres croyances et ou de musique tropicale. Ce n’est pas du tout ce que j’étais venu chercher, mais cela n’en était que plus émouvant.

Et il fallait que j’aille dans l’un des derniers pays communistes du monde, à la recherche de croyances africaines primitives, pour voir cela !!!

Une anecdote à ce sujet : il y a quelques années, un voleur déroba le diamant qui orne le cou de la statue sacrée de la Vierge de la Caritad de Cobre. Fidel Castro donna 24 heures à la police pour retrouver le coupable. Au bout de 23 heures, il était sous les verrous et le diamant ornait de nouveau la statue. Tire de cette anecdote toutes les conclusions que tu voudras, mais de toutes manières, évite de mal te comporter envers Ochun – Caritad del Cobre quand tu viendras a Cuba : c’est très très mal vu ici.

Après avoir assisté à la communion, où l’archevèque prit la peine de bénir, un par un, plusieurs centaines de fidèles, je pénétrais à l’arrière de l’église dans l’endroit où se tient, au-dessus du chœur, la petite statue de la Caritad del Cobre.

Au rez-de chaussée, les fidèles défilaient d’abord devant une petite statue du Christ, allumant un cierge au passage. Les murs étaient couverts de toutes sortes d’objets évoquant la foi chrétienne : offrandes des fidèles ayant vu un vœu exaucé, décorations des militaires des deux camps tombés au cours de la guerre civile, … Puis ils montaient au premier étage pour s’incliner devant la petite statue de la Vierge, placée dans une niche en hauteur et vêtue d’une jolie robe dorée de poupée finement ouvragée. Des deux côtés de la niche, le sol était couvert d’un amoncellement de bouquets jaunes, parfois piqués de rouge, offerts à la vierge.

C’est depuis cet endroit que j’assistais, à travers une rangée de colonnes en marbre, à une scène à la fois drôle et émouvante qui se déroulait au même instant en contrebas, dans le contrebas de la nef. Juste à droite du chœur, un gamin jouait des bongos. Dans la rangée centrale, plusieurs dizaines de fidèles s’étaient mis à onduler au rythme des percussions, Oh !! C’était un danse très retenue, sans formation de couples ni mouvements impudiques. Mais enfin, c’était quand même une danse tropicale où les mouvements de bassin jouent un rôle important. Cela n’avait l’air de gêner personne, et surtout pas l’archevêque, qui écouta attentivement le gamin et participa avec enthousiasme aux applaudissements finals.

Et voilà comment, parti à la recherche des religions afro-cubaines, j’ai découvert la force et la vitalité du catholicisme a Cuba.

Mais j’ai aussi vécu d’autres expériences intéressantes dans ce petit village d’El Cobre, que je te raconterai demain.

Fabrice Hatem

(1) voir /2010/03/02/pourquoi-j-aime-beaucoup-ochun/

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