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Tangueros et tangueras

Une Milonga traditionnelle, en Europe, est ce possible?

ImageEditeur : La Salida n°33, avril-mai 2003

Auteur : Nicole Oury

Une Milonga traditionnelle, en Europe, est ce possible?

A Buenos Aires, chaque lieu de milonga possède ses caractéristiques : son origine, son passé, ses habitués, son style et ses codes. Quelques grands noms invitent au rêve, Sunderland, Gricel, Salon Canning, beaucoup de lieux ont vu le jour et ont du fermer et certains responsables expulsés d’une place cherchent à poursuivre ailleurs l’œuvre entreprise. Une même salle peut être louée par différents organisateurs dans le cours d’une semaine et il est remarquable de constater comment les ambiances peuvent varier. Le rôle du DJ est primordial, un même Dj. peut imprimer des soirées de tonalités différentes, l’accueil peut être discret ou plus appuyé et les danseurs par leur présence plébisciteront telle milonga plutôt que telle autre.

Même si Paris dès les années 80 a contribué, comme de nombreuses capitales européennes, au renouveau du Tango Argentin dans le monde, le mythe de Buenos Aires ne sera jamais atteint ailleurs, le cœur du tango bat à Ba-As.. En Europe, le tango argentin est à la mode, les danseurs sont à la recherche de milongas, il nous faut donc prendre, retenir voire voler à nos amis argentins leur expérience en la matière.

La musique

L’ambiance musicale se doit de maintenir une certaine tension. A chaque début de tanda, la majorité des danseurs devraient avoir envie de se lever pour aller danser. Etre Dj est un travail difficile, il faut choisir ou non de contenter tous les goûts dans une soirée, sentir à quels moments il faut soit installer une musique au tempo plus lent ou soit dynamiser le giro du bal. Le Dj se doit aussi d’imprimer sa tonalité musicale même s’il doit s’adapter à ses auditeurs. Chaque soirée est à créer.

Les danseurs et les danseuses

Vous pouvez passer la meilleure musique qui soit, encore faut-il quelques danseurs pour l’apprécier ! Bien sûr, nous ne bénéficieront jamais ici de la concentration des « milongueros », « ses trésors nationaux argentins », ces hommes présents dans les milongas assis à leur table, devisant ensemble ou restant aux aguets, s’épiant, volant du regard le passito de tel danseur, invitant d’un signe imperceptible de l’œil telle milonguera sur une musique bien précise. En Europe aussi, les danseurs et les danseuses aiment se retrouver, deviser autour d’un verre de vin, d’une bière, fumer ou regarder le bal qui tourne en écoutant la musique, contempler les autres « estilos », les nouveaux venus et les tangueros de passage, en cela ils ne se distinguent pas vraiment des trésors nationaux argentins. Il existe des soirées ratées et des soirées exceptionnelles. Cela n’est pas prévisible et la responsabilité en revient aussi à la population des danseurs et les appréciations restent subjectives. Une danseuse pourra être contente de sa soirée car elle a été invitée, une autre ne se sera pas fait plaisir ce soir là car le bal était trop électrique à son goût….

Il existe forcement une tendance contemporaine et des lieux où les danseurs restent en couple ou en clan et se font comme un devoir de ne pas inviter des « inconnus » à leur style. Le tango est une danse sociale dit-on mais beaucoup de danseurs adoptent soit dans leur style, soit dans leur façon d’être vis à vis des autres une position antisociale ou asociale et nous ne pouvons que l’accepter. A notre époque, comme dans le passé des mouvements identiques se produisent dans les milongas portègnes, par exemple un milonguero jeune ou plus âgé peut élire une ou deux partenaires pour danser et ne se lancera pas avec d’autres femmes.

Certains couples n’aiment que le style milonguero où l’homme et la femme recherchent un rapport de proximité dans leur danse. D’autres, prônent un tango « éloigné » et ont plaisir à évoluer dans des figures où l’homme et la femme sont dans un rapport d’égalité unisexe. Certaines font des efforts de toilette, d’autres dansent en baskets et Tshirt … Le tango c’est aussi la vie à tous les âges de la vie, avec tous ses plaisirs, ses envies et ses frustrations.

L’accueil

Du point de vue logistique ce n’est pas très compliqué, il faut un lieu, quelques tables, des chaises, de la lumière et un bar. Mais il faut aussi impulser une manière de concevoir et de penser l’esprit de la milonga. A Buenos-Aires, les clans existent, les préséances sont de rigueur, il y a aussi des lieux marqués par une tendance jeune ou des sortes de club quasi fermés et réservés à une forme ultra codifiée de tango argentin.

Les organisateurs d’une milonga doivent la penser, la construire, insuffler leur esprit aussi par la qualité de leur présence et de leur accueil. Je me souviens d’une milonga à Buenos aires où les « patrons » vous saluaient à l’entrée, vous installaient à une table et venaient vous inviter à danser comme pour vous dire »vous êtes des nôtres, bienvenue! » Parfois ils passaient simplement dire un petit mot gentil et s’assuraient que tout allait bien, ils étaient là toujours présents, attentifs à vous à un moment ou à un autre de la soirée. Les responsables d’une milonga sont des hôtes et comme une maîtresse de maison, ils se doivent de recevoir leurs visiteurs le mieux possible. Une sorte de club familier se développe, un peu comme un autre chez soi. Un homme peut croiser à plusieurs reprises le regard d’une femme, lui faire un petit signe pour lui dire bonjour et plus tard dans la soirée l’inviter d’un petit hochement de tête. Se réinvente ainsi, les invitations par le célèbre cabezeo des argentins. Les traditions se font et se défont d’elle-même.

Pour créer son style, une milonga doit faire face a un grand nombre d’éléments: qualité de la musique, de l’accueil, places assisses, bière fraîche pour certains, vin pour d’autres et consommation peu chères, possibilité de converser, bon plancher, climatisation, un bal qui tourne bien et bien sûr les danseurs et les danseuses…les rencontres …les échanges.

L’esprit tango

L’esprit du tango argentin est véhiculé dans les cours, les stages mais aussi dans tout ce côté social du tango qui s’exprime dans les lieux de danse, les milongas. Apprendre le tango en cours est une étape mais le danseur ne devient danseur que s’il se lance sur les pistes et beaucoup n’osent pas franchir le pas. Le tango est une aventure.

Le tango se vole avec les yeux, observer des danseurs de votre style, voire comment ils composent avec la musique, le bal, le ou la partenaire, regarder d’autres manières de danser, tout cela vous conforte dans votre style et vous permet aussi d’évoluer. Pour cela il faut aller dans les milongas, aller danser soi-même sous le regard des autres. Le tango c’est trouver le juste rapport entre regarder les autres, danser en couple au sein des autres couples et accepter d’ affirmer ainsi son propre type de tango. Une milonga pour qu’elle tourne ( à tous les sens du terme) devrait pouvoir accueillir toutes les formes de tango et cela n’est possible que si sur la piste chaque couple respecte les autres couples. Nous sommes obligés de faire avec quelques « danseurs fous ». En cela le tango est une danse sociale, un apprentissage de la vie. Il y a donc des clans, il y a donc des inimitiés, des rivalités, des guerres de territoires, de pouvoir et d’argent dans toutes les villes et dans tous les pays. Une milonga c’est une assemblée où se côtoient tous les sentiments de l’âme humaine.

Une milonga traditionnelle est internationale

Le danseur de tango aime se retrouver dans une ambiance connue mais il aime aussi le changement, il se déplace d’une milonga à une autre dans une même soirée et de part le monde quand il voyage pour ses vacances ou son travail. Celui qui fait des kilomètres pour le tango est content d’appartenir à cette diaspora du tango argentin. Le tango attire le tango. Une milonga traditionnelle est une milonga où les danseurs aiment à se retrouver, ont pris leurs habitudes qu’ils soient maestros, danseurs débutants, confirmés ou bien même s’ils sont de passage ils se sentent accueillis, ils sont en pays connu, celui du tango. Le mot « traditionnel »véhicule forcement des expériences originaires modifiées par l’histoire et le temps, c’est à dire par tous ceux et celles qui ont contribué en Argentine comme ailleurs à l’essor du tango et il est de la responsabilité de tous les danseurs de tango de le faire vivre de part le monde. Aux origines du tango en Argentine, les danseurs ne se comprenaient pas dans leurs idiomes respectifs mais ils se parlaient la même langue quand ils dansaient le tango ensemble.

Une milonga traditionnelle n’est donc pas une milonga « as like », une copie conforme de toute les diversités ou d’une particularité de ce qui se déroule à Buenos-Aires. Non, une milonga traditionnelle c’est avant tout un lieu pour les danseurs et les danseuses, un espace où les conditions créées font qu’ils se sentent attendus pour danser. Une milonga traditionnelle, c’est un lieu pensé pour accueillir le vaste réseau des danseurs de tango argentin, simple lieu parmi tant d’autres places de part le monde.

Nicole Oury

 

 

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