Catégories
Tangueros et tangueras

Qui sont les tangueras françaises ?

Editeur : La Salida n°19, juin-septembre 2000

Auteur : Fabrice Hatem

Alors, heureuses ? Une enquête de la Salida révèle les peines de coeur des tangueras françaises

Pour retrouver cet article dans son intégralité, cliquer sur lien suivant : http://lasalida.chez.com/, puis la salida n°19, puis enquête.

Art ou danse de salon? Loisir ou engagement profond ? Qui sont les tangueros français? En quoi leurs satisfactions, leurs attentes, leurs suggestions diffèrent-elles selon l’âge ou selon le sexe ? Un sondage, réalisé à l’occasion de la fête « Couleurs Tango » de mars dernier , montre que la majorité des pratiquants interrogés sont de véritables passionnés, fascinés par la danse et la musique tangueras, et convaincus de mener une démarche artistique plus qu’un simple loisir. Heureux? Certes, ils le sont, mais les femmes beaucoup moins que les hommes. La pénurie de partenaires, la froideur voire l’arrogance dont font preuve des mâles trop courtisés, constituent les principaux sujets d’insatisfaction des aficionadas.

Une passion partagée

Quel que soit son sexe, le tanguero n’est, dans la plupart des cas, venu là, ni par hasard, ni par respect d’une tradition familiale. Son engagement résulte en général d’un choix individuel lié à une attirance très forte pour l’atmosphère du tango, la sensualité de sa danse, la beauté de sa musique et de sa culture (58 % des réponses(1)) :  » je suis venue pour le plaisir de la musique et de la danse en couple » ; « j’adore le bandonéon »; « j’aime l’Argentine ». C’est d’ailleurs souvent un spectacle ou une démonstration qui a déclenché le coup de foudre (34 %) : « J’ai été captivée par la danse de Catherine et Federico ». A partir de là, s’engage une démarche revendiquée davantage comme une recherche à caractère artistique ou un travail sur soi-même (46%) que, comme la simple pratique d’une danse de salon (26%) : « Le tango développe les capacités d’écoute, de compréhension, d’équilibre »; « c’est super, une perpétuelle remise en cause, un challenge, une émotion magnifique ».

Hommes et femmes partagent également les mêmes satisfactions : d’abord, un immense plaisir de danser (89 %). Ensuite, une satisfaction d’ordre artistique (53%), la découverte d’une autre culture (56%) et un sentiment d’accomplissement personnel (46%) qui s’exprime sous des formes très diverses : « J’ai trouvé une harmonie avec la musique, un perfectionnement dans la pratique du langage du corps », « une meilleure perception de l’autre dans toutes ses dimensions » ; « un plaisir de la sensualité contrôlée par les règles de la danse » ; « le tango me fait sentir bien ». Du point de vue des relations humaines, c’est un peu moins bien : certes, ils sont 35 % à déclarer avoir beaucoup rencontré l’amitié, mais seulement 21 % la pratique d’une activité associative et… 10% l’amour. C’est à n’en pas croire ses yeux ! ! ! Quand il écrit, dans Huis clos, « L’enfer, c’est les autres », Sartre ne pensait sans doute pas au milieu du tango. Et pourtant c’est bien l’élitisme de certains danseurs, l’existence de clans et la froideur du milieu, qui viennent en tête des motifs d’insatisfaction, avec respectivement 35%, 32% et 25% des réponses. Cette attitude provoque en retour un sentiment d’être exclu ou méprisé par d’autres. Les tangueros sont sur ce point intarissables : « il faudrait qu’on se la joue moins, que ce soit plus convivial » ; « ce n’est pas assez amical » ; « les gens sont impolis ». L’arrogance parisienne est parfois pointée du doigt : « le milieu provincial est plus ouvert et convivial qu’à Paris ». Par contre, les autres aspects du milieu (climat du bal, qualité de la musique, adaptation de l’enseignement aux besoins..) ne font pas l’objet de critiques très nombreuses. A noter en particulier que les tangueros rejettent massivement l’image de « tristesse » et de « vieux jeu » parfois attachée à leur danse.

Enfin, certaines réponses varient fortement en fonction de l’âge. C’est ainsi que les plus de 50 ans sont plus fréquemment venus au tango après un spectacle ou pour pratiquer une activité avec leur conjoint. Les moins de 50 ans, pour leur part, déclarent plus souvent – ce qui n’est pas vraiment une surprise – avoir rencontré l’amour et éprouvent un sentiment d’accomplissement personnel supérieur à celui de leur aînés. De manière plus surprenante, ils souffrent davantage de l’existence de clans et de comportement élitistes.

Les femmes moins heureuses que les hommes

Dans l’ensemble satisfaites, les tangueras le sont cependant nettement moins que les hommes. Elles ne sont par exemple que 43% à éprouver un fort sentiment d’accomplissement personnel et 46% à se déclarer totalement heureuses, contre respectivement 52% et 64% pour les hommes. Les raisons du malaise ? Elles avouent plus souvent que les hommes souffrir beaucoup de la froideur du milieu (31% contre 14%), de sa fermeture (18% contre 7%) et surtout de la pénurie de bons partenaires (28% contre 7%)

L’explication ? Une situation de « surnombre » qui fragilise les femmes face à des partenaires masculins auxquels l’abondance du « choix » fait un peu perdre le sens de la modestie et de la politesse. Mal traitées, ignorées, faisant souvent « tapisserie », elles éprouvent de ce fait un sentiment de frustration face à l’image négative d’elles-mêmes que leur renvoie ce comportement : « Les hommes sont m’as-tu-vu, arrogants » ; ‘Les hommes prennent cette activité comme thérapie, car finalement, ils ont les femmes à leurs pieds » ; « il faudrait que les hommes soient plus ouverts, qu’on se la raconte moins ».

Ces difficultés s’accroissent évidemment avec l’âge, Les « plus de cinquante ans » se plaignent en effet beaucoup plus de leurs difficultés dans les rapports avec les hommes : peu de partenaires, cavaliers impolis, déplaisants ou pas à l’écoute, insuffisamment d’occasion de pratiquer. « Les hommes sont surtout motivés par l’âge de la partenaire ». Mais, au total, elles semblent, malgré ces désagréments spécifiques, presque aussi heureuses que les plus jeunes.

Quant aux hommes, ils sont en général sur un petit nuage, estimant majoritairement « être très heureux » et disposer de suffisamment de bonnes partenaires. Les moins de cinquante ans, qui avouent plus souvent que les autres être venus au tango « par hasard » (35 %) et « pour faire des rencontres » (14%), sont aussi ceux, parmi tous les groupes d’âge et de sexe, qui sont les plus nombreux à déclarer avoir « beaucoup rencontré l’amour » (24%). Satisfaits de leurs relations aux femmes, les tangueros peuvent tenir un discours en moyenne un peu plus critique sur l’organisation générale de l’activité : mauvaise qualité de la musique (9% d’insatisfaits contre 4% en moyenne), inadaptation de l’enseignement (16% contre 12% en moyenne).


(1) Comme dans le reste du texte, il s’agit du pourcentage de personnes ayant répondu « tout à fait » à la question posée. Il était possible de mettre en avant plusieurs motivations, sources de satisfaction ou d’insatisfaction majeures. Le total des réponses peut donc être supérieur à 100 %.

Sondage réalisé du 17 au 19 mars 2000 auprès des tangueros des deux sexes. 165 réponses obtenues, dont 64 % de femmes. Les répondants sont en quasi-totalité français (90 %) et en majorité parisiens (61 %).

Comment améliorer le « vécu » des tangueras ? Nous livrons au débat, sans nous prononcer sur de fond, quelques suggestions recueillies à l’occasion de l’enquête en les regroupant en trois catégories :

1) Invitation à une plus grande courtoisie, convivialité, moralisme, attention portée aux personnes seules : « chaque homme doit inviter une femme avec laquelle il n’a jamais dansé » ; ‘plus de générosité, de tolérance » ; « un accueil plus chaleureux des anciens lorsqu’on débute » ; « convivialité, spontanéité dans les invitations  » ; « plus d’échange entre les différents clans » ; « plus de brassage entre des gens qui ne se connaissent pas » ; « Rire un peu plus » ; « que les gens soient moins tristes, qu’ils s’invitent plus sans sélection exclusive » ; « que les hommes soient plus courtois ».

2) Recherche d’un meilleur équilibre numérique hommes-femmes :  » faire du battage pour attirer les hommes » ; « prévoir des taxis-boys pour faire danser les femmes venues seules » ; « imaginer une bourse aux partenaires avec petites annonces pour anticiper dans les inscriptions » ; « équilibrer les cours entres garçons et filles ».

3) Dépassement des dissymétries culturelles entre hommes et femmes : « changer les règles, équilibrer le droit à l’invitation » ; ‘ il faudrait que les femmes apprennent le rôle de l’homme et se mettent à danser entre elles ; c’est sûr qu’après avoir fait un peu tapisserie, les pires goujats redeviendraient plus prévenants ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.