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Dans la tradition de Pugliese

salida35 pugliese Editeur : La Salida, n°35, octobre-novembre

Auteur : Mariana Bustelo

Dans la tradition de Pugliese, Entretien avec Roberto Alvarez

Compositeur, arrangeur et interprète, Roberto Alvarez a été le premier bandonéon d’Osvaldo Pugliese. Il en perpétue le style à travers l’orchestre Color Tango, formé en 1989, dont il est directeur. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la présentation de Tango a Pugliese, dernier CD de cette formation.

Comment définir Color Tango ?

 Un orchestre de tango a toujours quelque chose de traditionnel. Nous faisons du tango 100 %, avec des idées et des harmonies d’aujourd’hui, mais avec une rythmique et une façon de jouer qui correspond au tango authentique.

Que penses-tu de la possibilité de changement dans le tango ?

Un jour, Carlos García, une grand musicien, m’a dit : « ce n’est pas la peine de chercher désespérément à faire du nouveau ; le nouveau vient tout seul ». Même si nous le voulions, il n’est pas possible de jouer aujourd’hui comme dans les années 1940. L’évolution se produit même si on ne la cherche pas. Chacun à quelque chose à apporter, sans forcément le ressentir comme une nécessité. Quand j’entends des jeunes dire « il faut changer », je suis d’accord pour les compositions. C’est bien que les jeunes arrêtent de jouer La Cumparsita et créent des thèmes nouveaux ; cela va créer de nouvelles manières de jouer. Mais je pense aussi que le tango possède une rythmique et une forme propres qui ne se peuvent changer

Color Tango interprète à la fois des compositions classiques et originales.

Oui, il y a beaucoup de compositions à moi, comme par exemple « Tango à Pugliese » qui est aussi le titre de notre dernier album. Nous faisons aussi beaucoup d’arrangements nouveaux sur des thèmes existants, comme « Primavera porteña » d’Astor Piazzolla, que nous avons adapté à notre style. Et ce n’est pas facile de donner Piazzolla la même sonorité que Pugliese.

N’y-a-t-il pas une tension entre les exigences de la rénovation et de la tradition ?

Dans un premier temps, le musicien doit s’imprégner du tango traditionnel. Après, il est libre de faire ce qu’il veut, mais sans oublier les racines du tango. Sinon, il vaut mieux inventer autre chose et lui donner un nouveau nom. Le changement vient naturellement du talent, des compositions nouvelles, et de l’apport des jeunes qui ont incorporé la richesse de la musique tango.

Color Tango fait une musique très dansable, et est très demandé dans les milongas.

Pour nous c’est important, parce que le tango a commencé avec la danse. Au début, le tango était à la fois danse et musique, et ce n’est que dans les années 1960 avec les cafés-concerts, qu’il s’est transformé en quelque chose destiné à être écouté. Les orchestres ont alors interprétés des arrangements différents qui captivaient le public avec une solo virtuose ou une note soutenue. Comme on ne dansait pas, le musicien avait la liberté de jouer lentement ou d’accélérer, et la rythmique du tango se perdait un peu. Maintenant, les gens reviennent dans les milongas, où le danseur a besoin d’un soutien rythmique. Honnêtement, les musiciens aiment bien avoir un public qui les écoute, mais je suis heureux quand je vois que les gens dansent sur ma musique. Quand j’étais gamin, les orchestres se produisaient dans les clubs de ma ville. Il y avait les milongueros, qui dansaient, et ceux comme moi qui aimaient écouter la musique et restaient près de la scène. Aujourd’hui, c’est la même chose.

Nous aimons tous qu’il ait du silence. Nous aussi nous donnons des concerts dans des salles de théâtre, où l’on joue mieux, parce que l’on peut faire davantage de nuances et que l’écoute entre les musiciens est meilleure. Dans une milonga, cela est beaucoup plus difficile, car il y a un bruit de fond.

Mais les danseurs parviennent à une perception originale de la musique en l’interprétant avec leur corps …

Il existe une relation très forte entre l’orchestre et les danseurs. Et le danseur qui se concentre sur la musique a une écoute totale. A l’inverse, il est difficile pour le public des concerts d’écouter un orchestre plus de 45 minutes. Au début, cela me déplaisait de jouer pendant que les gens dansaient. Mais maintenant c’est moi qui les invite à le faire s’ils cela ne se produit pas spontanément. Je crois que c’est très positif que les gens participent. De plus, dans un bal le musicien est très tranquille, sans la tension d’un concert où il ne peut pas faire d’erreurs. Et comme il est plus détendu, il fait justement moins d’erreurs. En un sens, c’est un avantage.

Quels sont vous projets actuels ?

Nous organisons un « workshop » où nous enseignons l’écoute de la musique aux danseurs, avec des exemples musicaux. Nous jouons en quartet tous les styles depuis les origines jusqu’à l’époque contemporaine. Parfois, les gens ne se rendent pas compte des différents plans d’un arrangement musical. Alors nous faisons jouer successivement par chacun des instruments leur partie respective. Nous montrons également les caractéristiques particulières de chaque instrument. C’est une manière de transmettre le goût musical, très nécessaire pour le danseur. Le succès est si grand que nous avons commencé l’enregistrement d’un CD avec la musique de ces ateliers. Au départ, je ne croyais pas à cette idée, mais je me suis trompé, parce que cela plait beaucoup aux gens qui viennent nous remercier.

Propos recueillis par Mariana Bustelo

Pour en savoir plus sur Color Tango : www.colortango.ar

Pour en savoir plus sur Pugliese : /2006/04/28/le-musicien-osvaldo-pugliese/

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