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Un siècle de tango, Paris-Buenos Aires

zalko 1 Editeur : La Salida n°10, octobre-novembre 1998

Auteur : Fabrice Hatem

Critique du livre de Nardo Zalko : « Un siècle de tango : Paris-Buenos-Aires »

« Doit-on vraiment le danser debout ? » s’interroge en 1913 la comtesse Mélanie de Pourtalès. La mode du tango qui a atteint depuis 1910 a alors pris l’ampleur d’un raz-de-marée, et le Tout-Paris danse au rythme des corte et des media luna. C’est le début d’une relation privilégiée entre Paris et Buenos-Aires, qui, avec ses heures de gloire et ses vicissitudes, se poursuivra tout au long du siècle. L’ouvrage de Nardo Zalko, pour la joie des tangueros français, décrit l’histoire de cette longue passion partagée, porteuse d’un enrichissement mutuel entre les deux cultures.

Côté argentin, la fascination pour la France est ancienne et multiforme. A la fin du XIXème siècle, la haute société argentine est pétrie de culture et de langue française. La modernisation de Buenos-Aires est largement l’œuvre d’architectes français. Nos parfumeurs et nos couturiers règnent sur la mode portègne. Le monde des plaisirs nocturnes est dominé par la figure des « petites françaises » expertes en galanterie, que les trafiquants de femmes envoient par milliers sur les bords du Rio de la Plata. Quant à Paris, il est porteur pour les argentins d’une puissante charge de rêve :amour, bohème, succès, fortune La littérature tanguera s’est largement nourrie au cours du siècle de cette attirance, puisque, d’après Anibal Oscar Claisse, près d’une chanson de tango sur trois contient une référence à la France, à sa langue, à sa culture, à sa capitale ou à ses femmes : Mimi Pinson, Griseta, Mireya, Margot, Francesita, Munequita de Paris, Madame Yvonne, autant de chansons décrivant les différentes figures de la femme française -tendre ou perverse, victime ou fatal, régnante ou déchue- telle que l’ont comprise et aimée les tangueros argentins Quant aux cabarets portègnes de la grande époque, comme l’Armenonville ou le Chantecler, temple du tango dans les années trente ils sont directement calqués sur leur modèle parisien.

Côté français, l’engouement pour le tangon après la sanglante interruption de la grande guerre, trouve dans les années vingt un nouvel élan, qui se traduit par le passage et l’installation à Paris d’un grand nombre d’artistes argentins, comme Pascal Contursi, Enrique Cadicamo, Fransisco Canaro ou Manuel Pizzaro. Après la seconde guerre mondiale, le tango, concurrencé par le jazz puis le rock’n roll, entre en France dans une période de désaffection, reflet de sa décadence en Argentine même. Quelques figures majeures émergent cependant, comme celle d’Astor Piazzolla -qui fut élève à Paris de Nadia Boulanger. Au début des années 1980, l’ouverture du cabaret « Les Trottoirs de Buenos-Aires » marque cependant une renaissance de l’intérêt du public parisien pur la musique portègne. Différents spectacles, comme Tango Argentino en 1983 et 1989, et surtout Tango Pasion en 1996 et 1997, vont ensuite contribuer à la redécouverte de la danse. Et, comme à la Belle Epoque l’engouement de Paris pour le tango contribue aujourd’hui à sa renaissance à Buenos-Aires.

Ce constant jeu de miroir entre Paris et Buenos-Aires est incarné par des personnages attachantes, décrits avec bonheur par Nardo Zalko : tout en haut de l’échelle social, c’est l’écrivain argentin Ricardo Güiraldès. Celui-ci, danseur émérite, contribua largement au début du siècle à populariser le tango à Paris. De retour en Argentine, il se fit le messager de son triomphe en France jouant ainsi un rôle décisif dans l’acceptation par la bonne société portègne de ce qui n’était jusqu’alors considéré que comme une danse de bordel. Tout en bas de l’échelle, c’est la petite prostituée française Mireille. Celle-ci fut dans sa jeunesse immortalisée par le pinceau de Toulouse-Lautrec qui tenta vainement de la dissuader de tenter l’aventure de Buenos-Aires: elle y trouva, comme il l’avait prédit, la déchéance et la misère, mais aussi une gloire amère, puisqu’elle fut peut-être représentée sous les traits d’une Mireya vieillie et mendiante, par Manuel Romero dans son tango Tiempos viejos. Quant à Carlos Gardel, natif de Toulouse, il fut doublement chéri : par les argentins qui le surnommèrent affectueusement « le petit français », et par les français des années trente, pour lesquels « l’enfant gâté de Paris » représentait l’essence même du tango argentin.

Fruit d’un travail de recherche approfondi, enrichi d’une riche iconographie, d’un mini-dictionnaire français-lunfardo, ainsi que de nombreuses traductions de chansons ayant trait à la France, l’ouvrage de Nardo Zalko devrait susciter l’intérêt de tous les amoureux français du tango.

Fabrice Hatem

Un siècle de tango, Paris-Buenos-Aires, par Nardo Zalko, 300 pages, Editions du Félin

Pour en savoir plus sur la France et le tango : /2004/12/10/la-salida-n-29-le-tango-et-la-france/

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