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La dictature insidieuse

L’horreur politique : l’Etat contre la société ?

Image Dans mon prochain ouvrage, « La dictature insidieuse », je compte exposer l’hypothèse selon laquelle la croissance des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires constitue, en l’absence même de tout projet politique explicite, le fondement matériel de l’instauration d’une société totalitaire. L’ouvrage d’Olivier Babeau , « l’Horreur politique, l’Etat contre la société » , m’a permis de donner à mon propos la base conceptuelle que je cherchais en analysant les ressorts profonds de l’implacable tendance à l’expansion du périmètre de l’action publique, en expliquant comment l’appareil public a été confisqué au profit de différents groupes d’intérêt, enfin en disséquant les causes des erreurs de décision publiques et leurs conséquences dramatiques pour l’économie. 

L’Etat est en France l’objet d’un véritable culte, qui n’a d’égal que les tabous entourant ses défaillances. Autant le marché fait l’objet de critiques récurrentes, dont l’une des principales fonctions idéologiques est justement de justifier l’extension de intervention publique, celle-ci au contraire n’est jamais analysée en tant que telle comme susceptible d’être l’objet de défauts structurels, entraînant gaspillages et erreurs de décision. Olivier Babeau se propose au contraire d’analyser ces défaillances de l’Etat en utilisant les outils de la science économique et notamment de la théorie du choix public. Il s’agit d’abord de comprendre les ressorts de la tendance presque irrésistible à l’augmentation du poids de l’Etat dans l’économie ; ensuite, de mettre en évidence son instrumentalisation au profit d’intérêts particuliers ; enfin d’examiner les gaspillages et dommages économiques et sociaux qui en résultent.

Si l’Etat semble avoir une tendance presque irrésistible à étendre son domaine d’action et donc à grossir, c’est abord, et tout simplement, parce qu’il est par définition un processus de domination unilatérale, et que ce principe même le conduit à accroître sans relâche cette domination, dont l’augmentation des dépenses publiques et la prolifération législative et réglementaire constituent deux indicateurs particulièrement clairs. Tout n’est plus alors qu’affaire de prétextes : assurer le bien-être des individus à travers une vision de plus en plus extensive du contrat social ; remédier à leur imprévoyance en les contraignant à adhérer  à des assurances obligatoires ; enfanter (au besoin par la contrainte) une société idéale ; remédier aux carences du marché…

Mais qui garantira que les décideurs de chair et d’os qui sont à la tête de cette institution immense ne commettront pas eux aussi des erreurs, des injustices, voire des actes de malhonnêteté aussi graves que des personnes en charge d’intérêt privés ? En France, la sanctification de l’Etat rend cette question pratiquement taboue. Paré sans discussion critique de toutes les vertus d’intelligence, de prévoyance et d’honnêteté, l’Etat devient alors une sorte de tuteur colossal face à un être humain « réduit à la condition d’animal industrieux parqué dans son écurie » (Wilhelm Ropke), brisant au passage les autres formes de solidarité (famille…) pour accroître sans cesse son emprise.

Cette tendance est aggravée par les stratégies mises en œuvre par les hommes politiques, qui ont intérêt pour être élus à tenir le langage de la voie médiane susceptible de séduire le maximum d’électeur, en s’éloignant des propositions clivantes même si celles-ci pourraient ouvrir des pistes intéressantes de réforme. Une fois au pouvoir, ils trahissent presque systématiquement les promesses non crédibles qu’ils ont fait pour séduire le maximum d’électeurs, sans d’ailleurs qu’il leur en soit nécessairement tenu rigueur puisque leur médiocres performances peuvent peut être habillement masquée par une bonne politique de communication et une agitation démagogique fondées sur de petites amélioration cosmétiques à effet immédiat. Ils n’ont par contre pas vraiment intérêt à mener des actions de réforme à long terme puisque leur horizon personnel est borné par la date toujours proche de la prochaine élection. La vertu des politiques de réformes structurelles est donc punie – en exposant l’honnête mais imprudent politicien qui les mettrait en oeuvre à la sanction de la non-réélection – tandis que le vice des politiques démagogiques est encouragé.

Et ce d’autant que les citoyens agissent eux-mêmes dans le sens de leur propre asservissement en demandant sans cesse à l’Etat de leur octroyer de nouvelles protections ou de nouveaux passe-droits. Des avantages que celui-ci accordera en vantant son action par une politique de communication massive, tout en opérant dans le même temps pour les financer de nouveaux prélèvements aussi discrets que possibles, mais réduisant de facto la liberté des gens… A moins qu’il ne recoure à la facilité des emprunts et de l’endettement qui reporte le coût de ses politiques démagogiques sur les générations futures.

Tout cela ne serait au fond pas si catastrophique si l’Etat parvenait à mieux s’occuper du bien commun que le marché. Mais il est exposé, comme n’importe quelle organisation, à des pathologies décisionnelles qui l’éloignent de la réalisation effective de ses buts affichés. L’auteur montre en effet dans la deuxième partie de livre que l’appareil d’Etat (au sens large) est en obéré par le clientélisme (par exemple, au niveau des collectivités locales, par la distribution d’emplois ou de logements HLM de faveur) ; qu’il est de facto au service d’intérêts particuliers (élus, bureaucrates privilégiés, lobbies syndicaux subventionnés, minorités violentes qui prennent la sécurité publique en otage) ; que les bureaucraties administratives ont en fait subtilisé le pouvoir à des élus et des ministres toujours de passage, alors qu’elles sont-elles-mêmes installés dans la durée ; et que ces bureaucraties génèrent de manière endémique de nouvelles procédures complexes, de nouveaux contrôles, de nouvelles  tâches administratives inutiles et de nouveaux objectifs justifiait l’affection de moyens toujours plus importants…

La bureaucratie a de plus intérêt à la complication, créant par exemple de véritables parcours du combattant pour l’accès à ses aides (dont les bénéficiaires les plus assidus ne sont pas nécessairement ceux qui en ont le plus besoin, mais ceux qui savent le mieux s’orienter dans les méandres des dossiers administratifs). Tout cela s’accompagnant d’une opacité masquant opportunément de douillettes sinécures ou la protection discrète d’intérêts particuliers.

La  troisième partie de l’ouvrage, consacrée aux effets délétères de l’intervention publique, est la plus courte – la moins instructive aussi. J’y ai en effet retrouvé, sous une forme à peine plus élaboré que dans ma propre pensée, à peu près ce que je savais déjà sur le sujet : fiscalité écrasante paralysant l’économie et faussant ses mécanismes en distordant les systèmes de prix ; outils fiscaux inutilement complexes, y compris dans le cas où ils ont été conçus pour alléger la fiscalité (cas du CICE), conduisant à alourdir pour les entreprises la charges administrative liée au calcul et au paiement des impôts.

Tout ceci conduit à asphyxier l’économie et à ralentir la croissance. Par des charges sociales élevées décourageant l’offre et la demande de travail ; par l’existence de monopoles public offrant des services  plus coûteux et moins efficaces que ce qui pourrait être proposé par le privé ; par l’inadaptation chronique des politiques d’Etat toujours en retard d’une bataille par rapport aux évolutions économiques (impôt sur la fortune, plan calcul, taxation du numérique…) ; par le soutien systématique aux situations acquises (guide de musée, taxis…) ; par des pseudo-solutions aux crises du moment consistant à s’arc-bouter sur à la défense de l’existant et donc inadaptées aux évolutions de l’économie (commandes de rames de TGV inutiles pour soutenir l’emploi chez Alsthom…)

L’Etat, in fine, se trompe au moins aussi souvent que les acteurs privés. Il n’y a pas de raison en effet, qu’il soit exempt de tous les défauts de fonctionnement des entreprises. Il n’y a pas de raison qu’il décide de façon plus performante que les individus. En tant qu’actionnaire des entreprises publiques, par exemple, il n’a ni vision, ni projet, et agit dans l’urgence. Ses intérêts de propriétaire, son rôle de régulateur, ses contraintes politiques s’entrechoquent pour arriver à des décisions contraires à l’intérêt général et parfois au simple bon sens. De plus, faute de mécanismes correcteurs liés à la pression du marché, ses erreurs sont corrigées moins rapidement que cela ne serait le cas dans une entreprise privée. Se dispersant dans d’innombrables actions à l’utilité discutable, écartelé entre toutes sortes d’influences contraires, détourné de l’intérêt général par divers groupes d’intérêt, édifiant sans relâche des lois de circonstance soumises au calendrier électoral et assorties de contraintes idiotes, cachant ses échecs par une politique de communication démagogique, l’Etat n’a finalement plus le temps ni l’énergie de bâtir ses fondations sur le roc d’un projet clair de société.

La lecture du livre d’Olivier Babeau a représenté pour moi une étape importante dans ma réflexion actuelle. Il explique en effet fort bien pourquoi l’Etat croît sans arrêt et pourquoi ses décisions sont en même temps affectées de défauts structurels qui les empêchent de servir correctement l’intérêt général.  Il constitue en ce sens un pendant théorique au petit livre de Jean Baptiste Léon, « le livre noir des gaspillages », qui insiste davantage, à partir d’exemples très concrets, sur les conséquences pratiques de ces défauts structurels de l’action publique.

Et le plus important  pour moi, c’est qu’il permet d’expliquer en grande partie ce paradoxe constant que je rencontre dans mon analyse de l’Etat, à savoir que celui-ci devient de moins en moins capable de réaliser ses objectifs affichés à mesure qu’il devient plus interventionniste et plus totalitaire.

Olivier Babeau, l’Horreur politique, l’Etat contre la société, Manitoba /Les belles lettres, Paris, 2017,  283 pages.

Nb : cette fiche de lecture s’inscrit dans mon actuel travail de rédaction d’un ouvrage intitulé « La dictature insidieuse », où je tente de mettre à jour les mécanismes par lesquels l’Etat français contemporain réduit peu à peu nos libertés. Pour tester mes hypothèses de travail, je suis en ce moment amené à lire un grand nombre d’ouvrages, récents ou plus anciens, portant sur ces questions. Comme les autres comptes rendus de lecture du même type que je publierai au cours des semaines suivantes, le texte ci-dessous ne porte donc pas directement sur l’ouvrage lui-même, mais sur la manière dont il confirme ou infirme les thèses que je souhaite développer dans mon propre livre, et que je présente au début du compte-rendu sous la forme d’un encadré liminaire, afin de les tester à l’aune de cette nouvelle lecture).

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