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Entre multiculturalisme et patriotisme

Logique victimaire et criminalisation de la critique

Je viens d’achever la lecture de l’excellent livre de Marcel Gauchet sur Robespierre : Robespierre, l’homme qui nous divise le plus.

Celui-ci explique la dérive de Robespierre vers la mise en place de la terreur à partir d’un certain nombre de facteurs :

– La difficulté de mettre pratiquement en oeuvre l’idéal libérateur des droits de l’homme, ce qui le conduit à accepter « provisoirement' », à partir de 1793, l’exercice de formes de contraintes de nature terroriste sur la société (donc contraires à l’idéal revendiqué par lui) pour parvenir à « forcer la voie » vers cette utopie libératrice face à une société rétive.

– La prédilection de Robespierre pour l’exercice d’un pouvoir d’influence (par ses discours) par rapport à la pratique concrète du pouvoir.

– L’idéalisation du « peuple », considéré comme détenteur par nature de toutes les vertus, par rapport aux « fripons » et aux « scélérats » qui le trahissent.

-La tendance narcissique personnelle de Robespierre avec ses deux composantes : 1) s’assimiler progressivement, en tant que défenseur éclairé du peuple, au peuple lui-même) ; 2) mettre en scène dans ses discours, son propre personnage, souffrant et sacrificiel, victime de la vindicte des « fripons » et des « traîtres » (c’est-à-dire de ceux qui ne sont pas d’accord avec lui).

L’ensemble de ces éléments conduisant peu à peu Robespierre à passer de l’idéalisme vertueux et exigeant de ses débuts à l’attitude intolérante et meurtrière que l’on connait.

En gros, comme Robespierre pensait qu’il était le seul à défendre sincèrement le peuple (et même, par une étrange dérive, qu’il ETAIT lui -même le peuple), tous les opposants à ses idées étaient forcément des ennemis du peuple et devaient être condamnés en tant que traîtres (d’autant que leur attaques le faisait beaucoup souffrir personnellement, lui l’homme vertueux par excellence, pauvre chou).

Je pense que, toutes proportions gardées, beaucoup de néo-féministes actuelles (et en tout premier lieu notre secrétaire d’Etat Marlène Schiappa) sont exactement en train de basculer dans la même logique victimaire/totalitaire :

1) En prétendant incarner, en tant que féministes, le peuple des femmes dans son ensemble alors que la grande majorité des femmes ne se reconnaissent pas (ou pas totalement) en elles ;

2) En voulant, à force de lois coercitives, forcer une société rétive à se plier à leur utopie égalitariste et indifférenciante ;

3) En accordant une large place, dans leur action militante, aux discours d’influence sur les médias et les réseaux sociaux ;

4) En criminalisant l’expression de toute pensée déviante envers elles comme « machiste », « sexiste », « patriarcale », etc.

La récente complainte de Marlène Schiappa sur le « harcèlement » dont elle ou serait victime sur les réseaux sociaux relève exactement de cette logique. Voilà donc une personne ayant elle-même utilisé largement les réseaux sociaux comme instrument d’influence, avec une forte tendance depuis qu’elle est ministre à sortir de son domaine d’attributions, et à parler de tout et n’importe quoi en fonction de l’actualité, en prenant le plus souvent les positions hyper-polémiques très médiatisées.

Ensuite quand des gens réagissent pour dire qu’ils ne sont pas d’accord avec elle (sur les réseaux sociaux qu’elle tient à leur disposition pour cela), au lieu de réfléchir aux critiques de ceux qui lui parlent poliment (et qui sont sans doute la majorité), elle se victimise en choisissant de ne réagir qu’aux grossiers et aux imbéciles, dont elle met en avant, de manière sélective, les propos effectivement inacceptables.

Quant au nombre même de ses détracteurs, qui devrait attirer son attention sur le fait que beaucoup de gens ne sont pas du tout d’accord avec elle, il ne témoigne dans sa logique victimaire que d’un effet de « harcèlement ».

Ce faisant, elle discrédite en creux toute critique à son égard en la réduisant à une série d’insultes proférées par des imbéciles. Bref, avec ce système en boucle fermée, toute critique envers elle est assimilée à un sexisme haineux et trainé devant les tribunaux (Dans cette même logique, si un dictateur est détesté par la majorité de la population qui manifeste contre lui, il peut donc se considérer comme victime d’un « harcèlement en meute »).

C’est exactement par un système de pensée du même ordre (toutes proportions gardées) que Robespierre a progressivement inventé la terreur (Robespierre aussi s’estimait harcelé par les « traitres », les « fripons » et les « scélérats », parce que beaucoup de gens étaient en désaccord avec lui). Donc, comme c’étaient des « scélérats », il était légitime de leur couper la tête et la boucle est bouclée).

J’avais pris la peine de m’adresser longuement (et très poliment) à notre secrétaire d’Etat au moment de sa nomination pour évoquer le triste sort des femmes sans papiers chinoises de Belleville. Je n’ai jamais eu aucune réponse de sa part (sans doute parce que je ne l’insultais pas dans ma lettre et que je ne l’ai pas diffusée sur internet ?).

Au fond, ce qui la fascine, c’est quand il y a du buzz sur le web (surtout si ça la renforce dans sa posture de martyre de la cause féministe) et alors tout est bon pour l’entretenir (un peu comme Robespierre était surtout préoccupé par l’écriture de ses discours aux Jacobins et à la Convention et par leur publication – tiens, tiens, ça ne vous rappelle pas quelque chose ?).

Mais peut-être dans l’esprit un peu paranoïaque et sectaire des néo-féministes, mon parallèle avec Robespierre sera-t-il assimilé à une menace de mort implicite et me vaudra-t-elle une plainte en bonne et due forme ? Alors adieu la liberté d’expression !!!

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