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Petites pochades sans importance

Lettre d’un flic à sa copine

Jeudi 6 décembre 2018

Bonjour Sylvie,

Je t’écris pour te dire que je ne pourrai pas redescendre comme prévu pour l’anniversaire d’Yvan ce week-end. Je viens en effet d’apprendre que ma compagnie vient d’être réquisitionnée à cause des manifs de samedi prochain. Il paraît qu’ils ont peur que Paris soit mis à feu et à sang. Et bien sûr, une fois de plus, on compte sur nous pour limiter la casse. Mais de merci, jamais !!! On se fait toujours insulter, même par les imbéciles qu’on protège. J’aimerai bien les voir, ces intellos de gauche anti-flics, tous seuls face à une horde de casseurs  déchaînés !!!

Le problème, c’est que là on est un peu à bout de forces. Ca fait quinze jours maintenant qu’on est constamment sur les dents ; ça pète de partout : sur les péages d’autoroutes, près des perceptions, et maintenant voilà les lycéens qui s’y mettent. On n’est absolument pas assez nombreux pour contrôler tout ça, on se fait insulter et caillasser de partout… Comme si c’était de notre faute !!! Et puis, si les banlieues s’y mettent, ça deviendra franchement incontrôlable…

La journée de samedi dernier  été vraiment épuisante. On s‘est levés à 4 heures du matin pour enfiler nos 20 kilos de barda. Ensuite,  au lieu de nous laisser nous reposer un peu dans les cars en attendant de voir ce qui se passait, ces idiots de la préfecture nous ont obligés à nous aligner dehors, complètement immobiles, pour barrer tous les accès au Champs.

Nous, on a compris tout de suite que c’était complètement débile. Ca sert à quoi, de juste empêcher les gens d’aller sur les Champs si on n’est pas là pour contrôler ce qui se passe dans tous les quartiers autour ? Les casseurs n’ont qu’à de mettre en bandes de 100 ou 200, et ils peuvent aller faire leurs sales coups là où ils veulent, tandis qu’on les attend sans rien faire au coin de la rue de Tilsit.

Evidement, ça n’a pas manqué d’arriver. Ils ont déboulé par l’avenue Kleber, et là, ça a été un beau boxon. Ils ont foutu le feu partout, ils ont cassé les vitrines, ils nous ont lancé tout ce qu’ils pouvaient : boulons, feu d’artifice, pavés…

Moi, j’étais stationné dans la rue de Presbourg, entre l’avenue Kleber et l’avenue d’Iéna. C’était une situation très bizarre : du côté de l’avenue Kleber, c’était le bruit, la fumée et la fureur, avec des bandes qui nous caillassaient à mort. Mais derrière nous, dans l’avenue d’Iéna, c’étaient des gens parfaitement inoffensifs, très calmes, presque amicaux, et qui ne se rendaient même pas très bien compte de ce qui se passait. Ils essayaient même de causer gentiment avec nous… J’étais en arrière garde, pour protéger mes collègues d’une attaque par derrière, je sais ce que je dis. Même qu’ils nous posaient des questions naïves, du genre « est-ce vous trouvez que c’est particulièrement violent ? », pendant que mes collègues, à 20 mètres devant, recevaient des boulons dans la gueule et étaient à court de munitions. Qu’est-ce que tu veux répondre à des zigotos pareils ?

Le problème, c’est qu’on n’était pas assez nombreux. Alors, on n’avait qu’une crainte, c’est que les casseurs aient l’idée de remonter par l’avenue d’Iéna pour nous prendre à revers. Et là, avec notre bande de zozos pacifiques, qu’est-ce qu’on aurait fait ??  On aurait risqué de les blesser en essayant de dégager les autres … Bref, ça pouvait très très mal tourner en très peu de temps…

Ensuite, j’ai été envoyé sur l’avenue de la Grande-Armée, et là, ça a été l’émeute full scale, avec incendies et pillages. Ma seule consolation c’est qu’on a pu quand même se défouler sur quelques excités et en arrêter quelques dizaines. J’espère qu’ils vont prendre cher, ces petits salauds  !!!

Tout ça a duré jusqu’à 3 heures du matin. On n’a même pas été relevés, ils n’avaient pas de réserves ; et imagines-toi que ces connards de la préfecture n’ont même pas pensé à nous donner quelque chose à manger ou à boire au moment du diner !!  Y paraît qu’ils ne pensaient pas que ça durerait autant, alors ils n’avaient pas prévu de carton-repas.

Alors, en rentrant à la caserne, on était complètement épuisés. Et puis, on était furieux aussi, d’avoir été manoeuvrés comme des savates et aussi mal traités. Tout ça pour un salaire de misère !!! Nous aussi, on les paye, les taxes sur l’essence… Des fois, ça me donne envie de mettre un gilet jaune et d’aller manifester avec les autres…

Bon, je sors d’une réunion de Briefing. Il paraît que samedi prochain, on sera pas statiques comme la semaine dernière, mais répartis par petits groupes mobiles, prêts à intervenir là où seront les casseurs. Le problème, c’est qu’ils ne sont pas idiots du tout, et qu’ils vont surement s’arranger pour se regrouper partout où on sera pas pour foutre le boxon… J’espère qu’ils seront pas trop nombreux, parce que sinon, on va avoir du mal à faire face…

Enfin, c’est le métier que j’ai choisi. Simplement, si les gens qu’on protège étaient plus solidaires avec nous, ça nous réchaufferait un peu le cœur, parce que, franchement, ils n’ont pas l’air de se rendre compte que si on n’était pas là, ça serait le chaos total et la violence généralisée… Des fois, je me dis que j’aurais mieux fait d’aller travailler dans le garage de l’oncle Michel. J’aurai une petite vie tranquille, j’aurais pas peur d’être estropié à chaque manif, et je pourrais fêter l’anniversaire des gosses avec toi.

Bon, je te quitte, il faut que je redescende pour une autre réunion opérationnelle. Embrasse Yvan, dis-lui que je lui ai acheté un joli cadeau et que j’espère pouvoir lui donner très vite.

Paul

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