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Souvenirs et Mémoires

Vae Papilionis Victis

Aujourd’hui, j’ai assisté à une tragédie épouvantable dans le métro.

Elle m’a profondément secoué, et j’en ai encore le cœur serré.

La protagoniste principale en était une adorable jeune fille.

Quand je pense à son joli petit visage d’ange entouré de cheveux blonds bouclés, et à l’air d’innocence qui se dégageait de son léger sourire…. Quelle horrible histoire !!

Donc, entre les stations Villiers et Rome, je regardais du coin de l’œil cette charmante et paisible créature -discrètement quand même car son petit ami était à côté -, quand un souffle très léger m’effleura le visage.

C’était un papillon qui voletait dans la rame du métro.

Mais pas un joli papillon aux grandes ailes multicolores. Un vilain papillon brun clair avec un corps velu et des ailes courtes et fripées, comme on en trouve la nuit dans les coins à toiles d’araignées des maisons de campagne.

Je ne sais pas très bien comment il était arrivé dans cette rame de métro, et je crois d’ailleurs que lui non plus ne savait pas. D’ailleurs, il avait l’air très affolé d’être là et voletait en tous sens au milieu des passagers en essayant de s’échapper de ce piège angoissant.

Plus il volait de manière erratique près des visages des passagers, et plus ceux-ci s’agaçaient, essayant de la chasser par des gestes brutaux.

Bien sûr, cela accroissait encore un peu plus son affolement et donc l’énervement des humains.

Tout à coup, il passa près du doux visage de la jeune fille. Celui-ci se contracta immédiatement en un vilain rictus, et elle poussa un petit cri méchant en essayant de l’attraper.

« Je déteste ces papillons », dit-elle. « Je vais le tuer ».

Comme il était descendu près du sol, elle essaya de l’écraser avec son pied. Mais il s’échappa pour voleter un peu plus loin dans la rame.

J’étais soulagé, parce que, je ne sais pas pourquoi, j’avais spontanément pris le parti du papillon dans cette lutte inégale et sans espoir.

Bientôt, il se rapprocha de nouveau de nous. J’essayai de la saisir au vol, avec l’idée de le faire sortir de la rame et de lui sauver la vie, mais je le ratai.

Il se rapprocha de nouveau de la fille qui essaya de l’écraser contre une vitre. Mais il s’échappa encore. Puis, au bout quelques secondes, chassé par les autres passagers, il revint de nouveau vers elle.

Alors, elle dit à son copain : « aide-moi !! ».

Le garçon, jusque-là placide, fut trop heureux de pouvoir jouer les chevaliers servants à bon compte. Il commença à lancer au papillon de grands coups de savates d’ailleurs parfaitement inoffensifs.

Chaque fois que le papillon approchait de la fille, j’avais le corps qui battait un peu plus fort. Chaque fois qu’il s’échappait, je poussais un soupir intérieur de soulagement.

Finalement, alors qu’il voletait lamentablement près du sol, elle parvint à l’écraser avec sa chaussure à talons.

Son sourire de triomphe cruel me terrifia pendant que je regardais la petite trace laissée sur le sol par l’animal écrasé.

Je sortis bouleversé du métro à place Clichy.

J’avais l’impression que le Karma du monde s’était brutalement abîmé. Si même une jolie fille pouvait être aussi cruelle, il n’y avait pas grand-chose à attendre de bon du reste de l’Humanité !!!

En rentrant chez moi, j’achetais une grande bouteille de rhum pour me bourrer la gueule.

En buvant le premier verre, je pensais que ça serait quand même bien si tous les acteurs de cette farce sinistre qu’on appelle la vie arrêtaient de se faire du mal les uns aux autres et se réunissaient dans une grande chaîne d’amour : baleines et baleiniers, maîtres et esclaves, assassins et assassinés, flics et sans -papiers, vilains papillons et jolies filles cruelles…

Mais au deuxième verre, je devins plus cynique : je me dis qu’au fond les victimes n’avaient que ce qu’elles méritaient : si elles n’étaient pas capables d’être elles-mêmes des prédateurs, tant pis pour elles. Si le vilain papillon, dans un autre karma, avait été un trader habille, un dirigeant puissant, un war lord ou un trafiquant de diamants africains, il aurait pu butiner la fille tant qu’il aurait voulu au lieu de se faire massacrer à coups de talons aiguilles. Tant pis pour lui. Vae papilionis victis.

 

Là, j’en suis au 5ème verre, et je ne pense plus rien. Je vais me traîner sur mon lit pour dormir et pour oublier.

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