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Souvenirs et Mémoires

Une jolie image du Belleville d’autrefois

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Cette photo a été prise en 1944 au croisement de la rue de Belleville et du Boulevard de la Villette.

C’est juste à cet endroit, au Cabaret « le Pistolet », que le célèbre bandit Cartouche fut capturé en 1721 par les soldats du Roi (le quartier, qui n’était alors qu’un campagne, avait déjà mauvaise réputation et était plein de cabarets louches fréquentés par les malandrins et les filles de joie).

C’est aussi le chemin qu’empruntait chaque année, vers le milieu du XIXème siècle, le fameux « Carnaval de la Courtille », fête populaire qui effrayait beaucoup les bourgeois avec ses masques, ses beuveries et ses bagarres.

C’est pratiquement là (en fait un peu plus loin, rue de la Fontaine au Roi ou rue Ramponneau) que tomba le 28 mai 1871 la dernière barricade de la Commune. C’est en se souvenant d’une fille des rues venue y soigner les blessés, et sans doute morte avec eux, que Jean-Baptiste Clément composa Le temps des Cerises.

Vers 1899, les chefs de bandes d’apaches Manda et Leca s’affrontèrent dans ce quartier pour les beaux yeux d’Amélie Elie, dite Casque D’or, avant d’être tous les deux envoyés à Cayenne.

 

C’est aussi rue de Belleville (un peu plus haut, au numéro 72) qu’est née Edith Piaf, l’âme du Paris populaire du XXème siècle.

On voit aussi sur la photo plein d’enseignes de music-hall, de dancings et de cinémas de quartier qui étaient très nombreux à l’époque. Vers 1920, c’est dans ces dancings que les souteneurs allaient recruter des filles pour les envoyer travailler dans les maisons closes et les cabarets de Buenos Aires. Piaf, Chevalier, Montand y ont commencé leur carrière.

Ces lieux de distraction populaires ont maintenant tous disparu. Eddy Mitchell, autre enfant du quartier, les a évoqués avec nostalgie dans sa belle chanson La dernière séance. Le saxo que vous y entendez est joué par mon pote Hervé Meschinet de Richemond, membre des Chaussettes Noires, qui n’habite pas très loin.

C’est là aussi que furent rassemblés les juifs raflés par la police française pour le compte des nazis en Juillet 1942.

Juste retour (anticipé) des choses, c’est tout près de là, sur le boulevard de la Villette, qu’habitait Pierre Georges, alias Colonel Fabien, qui fut l’auteur du premier acte de résistance armée contre les nazis : l’assassinat d’un officier allemand au Métro Barbès, en août 1941.

La partie gauche de la rue a été « rasée-modernisé » dans les années 1970-1980. Il y a maintenant de grands blocs d’immeubles autour de la place Marcel Achard. Par contre la partie droite a été mieux préservée, grâce à la mobilisation des habitants dans les années 1990, et on y sent encore vibrer l’âme du Belleville d’antan.

Après les ouvriers chassés par la modernisation haussmannienne, les juifs polonais rescapés des pogroms, puis les juifs Séfarad, les arabes et les africains arrivés dans les années 1950-1960, c’est maintenant les chinois qui se sont installés dans le quartier.

Certains sont très aisés et bien intégrés comme les commerçants venus du Wenzhou. D’autres sont en galère, comme les putes sans papiers arrivées plus récemment du Liaoning. Mais tous bossent énormément et contribuent, plus que n’importe quel plan de réhabilitation urbaine, à « l’upgrading » socio-économique de ce quartier.

Les artistes puis aujourd’hui les bobos se sont également installés dans le coin, de plus en plus nombreux au fil des années. Le Café la Vielleuse, que l’on voit en bas à droite de la photo, au coin de la rue et du boulevard de Belleville, est aujourd’hui l’un de leurs QGs.

Je rôde souvent dans les parages, la nuit, le jour, lorsque je vais danser dans un des très nombreux lieux de Tango ou de Salsa des environs, comme la Bellevilloise, la Java, Fuego de tango, la Cantine Fabien, le Centre Momboye, l’Ermitage…

Et quand je vois les putes chinoises se faire embarquer par les flics pour être envoyées au centre de rétention de la Cité, cela me fait penser aux bonnes amies de Cartouche exilées à La Nouvelle-Orléans, aux filles de joie qui furent les infirmières dévouées des fédérés pendant la semaine sanglante, à Casque d’or et à Nini Peau d’chien, aux petites « Francesitas » des poèmes de tango, à Piaf qui savait très bien de quoi elle parlait quand elle chantait l’Accordéoniste, aux juifs raflés pour les camps nazis par la police,…

Bref, ce quartier m’émeut énormément C’est pourquoi il constituera le cadre des nouvelles, poèmes et romans que j’écrirai dans les deux années à venir.

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