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El libro de la Salsa, cronica de la musica del Caribe urbano

ImageCe livre est unanimement reconnu comme l’une des références majeures sur l’histoire de la Salsa et tout particulièrement sur l’époque-charnière des années 1960 et 1970 où se produisit la naissance du genre. Il offre une description particulièrement fouillée de la scène New-Yorkaise, complétée par longs passages sur Porto-Rico et le Venezuela, pays d’origine de l’auteur.

Ce qui frappe au premier abord dans l’ouvrage, outre l’immense érudition de Miguel Angel Rondon, c’est sa capacité à développer de véritables analyses musicologiques, en expliquant en quoi telle ou telle œuvre constitue – ou non – un tournant important dans d’évolution de l’expression salsera, et en n’hésitant pas à prendre parti sur sa valeur artistique. S’attaquant parfois avec sévérité à des icônes du genre, ou bien exhumant un chef d’oeuvre selon lui injustement oublié, il propose une vision stimulante, originale, par moments polémique, mais toujours fondée sur des analyses fouillées. Bref, avec Rondon, pas de risques de tomber dans le confort des idées reçues et des admirations de commande.

L’ouvrage replace, de manière particulièrement incisive, l’évolution des expressions musicales dans leur contexte social et humain : vagues migratoires en provenance des Caraïbes, formation du barrio latino New-Yorkais, métissages culturels avec les populations noires des quartiers voisins, apparition au cours des années 1960 de publics aux attentes nouvelles, sans oublier les stratégies commerciales des maisons de disques. Comme l’auteur le dit lui -même, « comprendre la salsa suppose de comprendre aussi le spectre social pour lequel elle a été créée ».

Rondon analyse également avec clarté le processus historique de fermentation musicale qui aboutit à l’éclosion de la Salsa : apparition du Latin Jazz dans les années 1940, fièvre du Mambo des années 1950 avec les soirées mémorables du Palladium, enfin mode du Boogaloo dans les années 1960. Nous comprenons ainsi que la Salsa naît, à la fin de cette décennie, d’un renouvellement de la musique latine New-Yorkaise, après une période de confusion où celle-ci avait perdu son public traditionnel sous les coups du Rock’n Roll et de la Pop.

D’après Rondon, la Salsa n’est d’ailleurs pas vraiment un genre musical en tant que tel, mais plutôt « une forme ouverte capable de représenter la totalité des tendances qui se réunissent dans les circonstances du Caraïbe urbain d’aujourd’hui. » L’ouvrage propose à cet égard une classification extrêmement claire des genres et des styles appartenant à cette mouvance, sans jamais hésiter à porter sur eux un jugement de valeur.

Il impute par exemple la crise rencontrée selon lui par la Salsa New Yorkaise à la fin des années 1970 aux erreurs de la Fania, qui aurait cherché, sans succès, à conquérir le public « mainstream » américain en altérant l’esprit originel de la « Salsa Brava » et en créant des « mix » indigestes avec la musique de variétés commerciale. Il porte également un regard sévère sur la tendance dite « matancérizante » incarnée dans la seconde moitié des années 1970 par Johnny Pacheco, qui aurait asséché la créativité de la « Salsa dura » en se repliant sur l’imitation sans inventivité du Son cubain des années 1950.

A ces supposées impasses esthétiques et commerciales, Rondon oppose favorablement l’inventivité artistes d’orchestres d’avant-garde, comme le Grupo folklorico y experimental nuevuyorkino et le Conjunto libredes frère Jerry et Andy Gonzales, qui explorèrent au cours des années 1970 de nouvelles sonorités de Latin Jazz à l’occasion de mémorables descargas. Des expériences auxquelles font écho, au Venézuela, la formation du Trabuco venezueliano, et, à Porto-Rico, l’apport de Franck Ferrer, qui associa folklore et musique d’avant-garde dans un cocktail protestataire.

Des passages passionnants sont également consacrés à la salsa portoricaine, depuis les grands précurseurs des années 1950 comme Rafael Cortijo, suivi après 1960 par le Gran Combo de Puerto Rico, jusqu’à l’explosion des années 1970 avec, entre autres, l’orchestre Apollo Sound de Roberto Roena, l’orchestre de Bobby Valentin avec son chanteur-vedette  Marvin Santiago, ou encore le pianiste Pappo Lucca et sa Sonora Poncena au style si particulier, associant Son et la Plena traditionnels aux sonorités jazzy. Des chapitres très complets sur la Salsa vénézuélienne et le merengue dominicain constituent d’autres incursions très éclairantes vers des univers à la fois proches et distincts de celui de la Salsa New-Yorkaise.

Du parolier Tite Curet Alonso à Celia Cruz, en passant par Ray Baretto et Larry Harlow, le livre fournit également une galerie de portraits extrêmement riche et vivante sur les grandes figures artistiques du mouvement salsero des années 1970. J’ai tout particulièrement apprécié, à cet égard, la section consacrée à l’orchestre Fania all Stars, formé en 1971 à l’occasion de la réalisation du fameux film Our Latin Thing, qui joua un rôle majeur dans la popularisation de la Salsa. De Cheo Feliciano à Hector Lavoe, en passant par Ismael Miranda, la trajectoire artistique de chacun de ses membres y est présentée de manière incisive, sans chercher à gommer les échecs ou les impasses éventuelles de leur carrière.

Bien sur, le livre a quelques limites. Par exemple, l’orientation essentiellement musicographique de l’ouvrage à pour corrolaire un faible intérêt accordé à la danse,  qui ne fait l’objet que de quelques allusions épisodiques. D’autre part, sa date de rédaction relativement ancienne (il fut publié pour la première fois en 1979) fait qu’il ne contient aucune information sur les 35 dernières années. Les aficionados en sont donc réduit à attendre l’arrivée d’un « Nouveau testament » salsero, aussi complet sur la période récente que ne l’est l’ouvrage de Rondon sur les années 1960 et 1970.

En guise de conclusion, je vous livre un conseil pour tirer pleinement parti du « Libro de la Salsa » : prenez tout votre temps (des jours entiers s’il le faut), installez-vous devant votre ordinateur, et écoutez sur Youtube les titres et les orchestre mentionnés par Rondon en même temps que vous lisez le texte. Cela vous permettra de mieux assimiler les passionnantes analyses de l’auteur, tout en forgeant votre jugement personnel sur ces œuvres.

Fabrice Hatem

El libro de la Salsa, cronica de la musica del Caribe urbano, Cesar Miguel Rondon, editorial Arte, Caracas, 343 pages, 1979.

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