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Cinéma de danse et de musique européen

Les chaussons rouges (The Red Shoes)

ImageDrame psychologique de Michael Powell et Emeric Pressburger, choréographie de Robert Helpmann, musique de Brian Easdale, avec Moira Shearer, Anton Walbrook, Marius Goring, Robert Helpmann, Léonide Massine, Ludmilla Tchérina, Royaume-Uni, 1948, 133 minutes.

La jeune danseuse Vicky Page (Moira Shearer) est choisie pour interpréter le premier rôle dans la nouvelle création des ballets Lermontov, Les Chaussons Rouges, inspirée d’une nouvelle de Hans Christian Andersen. Elle noue une relation sentimentale avec le jeune compositeur de l’oeuvre, Julian Craster (Marius Goring). Mais le tyrannique et charismatique directeur du ballet, Boris Lermontov (Anton Walbrook), secrètement amoureux d’elle, la somme de choisir entre l’art et l’amour. 

ImageJ’ignorais il y a encore quelques jours l’existence de ce film qui a été pour moi une révélation violente et heureuse. Il s’agit en effet d’une œuvre très nettement supérieure, aussi bien du point de vue du récit cinématographique que de la danse, à la plupart des comédies musicales américaines de l’époque, y compris les plus connues.

ImageLe scénario, tout d’abord, possède une densité dramatique infiniment supérieure à celle des comédies légères, à la conception parfois très médiocre, qui constituent par exemple l’ordinaire des films de Fred Astaire (Gene Kelly étant de ce point de vue un peu supérieur à son compatriote). Il nous raconte en effet l’histoire tragique d’une danseuse qui paye de sa vie la difficulté à concilier une vie personnelle heureuse avec la pratique de son art exigeant.

ImageCe scénario est doublement inspiré du conte éponyme d’Andersen : d’abord, parce que le spectacle de ballet qui constitue le noyau du film est une adaptation directe de cette œuvre littéraire à la scène ; ensuite, parce que l’histoire racontée par le scénario – la tragédie d’une danseuse dévorée par sa passion – est similaire en substance avec la nouvelle de l’auteur danois. Un des ressorts dramatiques les plus puissants du film est justement cette mise en abime, où l’héroïne interprète sur scène la tragédie qu’elle vivra plus tard dans la réalité.

ImageUne autre très grande qualité du film tient à sa reconstitution très réussie de l’univers d’une troupe de ballet : labeur des répétitions quotidiennes, petits et grands heurts de caractère, amitiés et jalousies entre artistes, attente angoissée d’un rôle, tension entourant la préparation d’un spectacle, joie et soulagement après le succès… Mais le film va bien au delà de cette excellente représentation réaliste. II parvient à donner du ballet l’image d’un monde à part, exclusivement consacré à la beauté pure, et dont les principaux protagonistes vivent dans une atmosphère de luxe poétique, apparemment totalement détachés des contingences matérielles. Le personnage à la fois impérial et mystérieux, entier et passionné du directeur, Boris Lermontov, magistralement interprété par Anton Walbrook, contribue largement à renforcer l‘impression qui nous est ici donnée d’observer un monde d’essence supérieure.

ImagePlusieurs danseurs étoiles (Grisha Ljubov (Léonide Massine, Robert Helpmann, Moira Shearer) ont été intégrés dans la distribution, ce qui ajoute au film une nuance supplémentaire de réalisme, puisqu’ils interprètent eux-mêmes les scènes de danse : des extraits du Lac des Cygnesde Coppelia… Mais c’est surtout le ballet Les chaussons rouges, créé spécialement pour le film et qui en constitue le noyau, qui retient l’attention. Cette longue séquence de 15 minutes environ touche vraiment au sublime, représentant sans doute une révolution esthétique majeure dans la représentation de la danse au cinéma. Les chorégraphies, elles-mêmes magnifiques, sont mise en valeur par une prise de vue d’une grande richesse, associant des plans larges sur la scène du théâtre, des gros plans aux cadrages originaux sur les danseurs vedettes, et des effets de montage qui dynamitent le cadre étroit de la scène théâtrale en faisant évoluer les danseurs dans des univers oniriques ouverts sur l’infini (pour visionner trois courts extraits, cliquez sur extrait1, extrait2 et extrait3).

ImageLe film reçut à sa sortie un bon accueil de la critique. Après un début très convenable en Grande-Bretagne mais assez laborieux aux Etats-Unis, il finit par attirer un public nombreux, devenant un gros succès commercial. Il a également été adapté à la scène à Broadway en 1993, mais avec un succès mitigé. Il est aujourd’hui considéré comme un grand classique du cinéma de danse et a fait l’objet en 2009, à l’initiative de Martin Scorsese, d’une restauration complète restituant les splendides couleurs de la pellicule originale qui avaient été dégradées par le temps.

ImageThe Red Shoes a eu une influence assez profonde sur l’esthétique du film musical, incitant notamment Gene Kelly à introduire sa fameuse grande scène final de ballet onirique dans Un Americain à Paris. Plus récemment, on peut considérer que le film Black Swann (2010), mettant en scène le personnage d’une danseuse étoile dévorée par son art, reprend certaines des thématiques fondamentales du film de Michael Powell.

Pour en savoir davantage sur le film, consulter la fiche Wikipedia. Pour visionner la bande-annonce, cliquez sur : Trailer.

 

Fabrice Hatem

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