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Cinéma de Tango

El último payador (le dernier payador)

Mélodrame historique de Homero Manzi et Ralph Pappier, Argentine, 1950, 88 minutes

ImageLe film évoque la vie du célèbre chanteur-compositeur argentin José Bettinotti (1878- 1915). Un artiste né dans une modeste famille italienne des faubourgs de Buenos Aires, dont l’œuvre abondante – une centaine de chansons enregistrées – constitue une transition entre la tradition des payadores et l’apparition du tango chanté. Avant d’inventer ce style, le jeune Carlos Gardel a d’ailleurs interprété, en duo avec Razzano, certaines des œuvres de Betinotti. 

El último payador nous propose une reconstitution très minutieuse et vivante de l’atmosphère  Buenos Aires au début du siècle : brassage de populations consécutif à un mouvement d’immigration massif, expansion urbaine et industrielle, luttes sociales et politiques, développement du réseau ferroviaire, premiers enregistrements discographiques, cirques et cafés, enfin prémisses du tango chanté avec Pascual Contursi et Carlos Gardel.

Le film combine également de manière très réussie tous les ingrédients d’un émouvant mélodrame : un artiste talentueux progressivement détruit par la maladie ; un homme sensible tiraillé entre deux amours ; un être lumineux dont la disparition laisse ses proches comme orphelins…

Il permet enfin d’écouter, interprété par la belle voix d’Hugo del Carrill dans le rôle de Betinotti, plusieurs des chansons composées par l’artiste, comme Mi Pobre madre Querida. Notons à ce sujet que Betinotti n’était pas vraiment, contrairement à ce que suggère le titre du film, un payador au sens gauchesque et nomade du mot. Il effet tirait moins son inspiration de la vie rurale que de celle du petit peuple des villes dont il était lui-même issu, avec ses mères aimantes, ses romances de faubourg, sa verve satirique et son langage truffé de lunfardo. Et il interprétait le plus souvent des compositions entièrement écrites, même s’il possédait également un grand talent d’improvisateur, comme en témoignent ses légendaires contestaciones avec le grand payador Gabino Ezeiza.

Le scénario de Manzi prend d’ailleurs quelques libertés avec la vie de Betinotti. Il le fait par exemple mourir d’une maladie du poumon, alors que son décès est en fait dû à une congestion cérébrale consécutive à un abus d’alcool. Et il lui fait chanter des œuvres dont la musique a en fait été écrite postérieurement, pour les besoins du film, par Sebastian Piana. Et il lui fait écouter au moment de son agonie Mi noche triste, qui ne fut enregistrée qu’en 1916, un an après sa mort, par Carlos Gardel.

Ceci s’explique peut-être par le fait que ce film, réalisé par un Homéro Manzi déjà très malade, constitue pour lui une sorte de testament personnel et artistique, où il a étrangement projeté sur le personnage de Betinotti certains éléments de sa propre existence : son engagement politique progressiste au sein du parti radical, son amour partagé pour deux femmes, ou encore l’approche de la mort liée à un cancer du poumon…

El Último Payador réussit ainsi la performance d’être à la fois une reconstitution historique et biographique de qualité (malgré quelques libertés prises avec les faits), une œuvre de très bon niveau musical, une fiction dramatique captivante, et le murmure d’adieu d’un homme qui, au moment où il réalise le film, se doute qu’il est déjà condamné.

Fabrice Hatem

Pour en savoir plus sur le film : https://es.wikipedia.org/wiki/El_%C3%BAltimo_payador

Pour en savoir plus sur Betinotti : http://www.todotango.com/spanish/creadores/jbetinotti.asp

Pour visionner ce film : https://www.youtube.com/watch?v=SFpk3nLAMlU

 

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