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Cinéma de Tango

Carlos Gardel, Los Mejores Clips, vol. 1 & 2

Recueil d’extraits de films de Carlos Gardel, Argentine, 2009, noir et blanc, environ 102 minutes au total

ImageCarlos Gardel n’est pas simplement un grand chanteur de tango. C’est un innovateur révolutionnaire, le créateur et le propagateur d’un genre nouveau. C’est lui qui a inventé de toutes pièces, à partir de 1917, le concept même de tango chanté, répertoire et style d’interprétation compris. C’est lui qui a joué le rôle le plus important, à travers ses voyages en Europe, aux Etats-Unis et en Amérique latine, dans la diffusion internationale du 2X4 au cours des années 1930. Et c’est lui qui, comprenant très vite l’immense potentiel du cinéma parlant, a été le premier à enregistrer des films de tango.

Si l’on excepte un court métrage muet datant de 1917, la production cinématographique de Carlos Gardel commence en 1930, date à laquelle, un an à peine après l’avènement du cinéma parlant, il enregistre en Argentine une dizaine de courts métrages consacrés chacun à l’interprétation d’une chanson. Puis le Zorzal Criolo tourne en France, en 1931 et 1993, quatre films long-métrage – dont en 1931, le premier long métrage de tango jamais réalisé, Luces de Buenos Aires. Il part ensuite à New York où il tourne cinq autres films entre 1934 et 1935 – juste avant la tournée fatale qui lui coûtera la vie en Colombie.

J’ai vu plusieurs de ces longs-métrages : Luces de Buenos aires, El dia que me quieras, Tango Bar, Melodia de arrabal, El Tango en Broadway… Leur valeur cinématographique est en général très médiocre : intrigues inconsistantes ou embrouillées, situations dramatiques convenues, personnages stéréotypés, invraisemblables rebondissements de circonstance. Mais, au milieu de cet insipide brouet, émergent régulièrement des scènes magnifiques où Gardel chante ses chansons les plus célèbres : Cuesta Abajo, Arrabal Amargo, Mi Buenos Aires Querido… Beaucoup d’entre elles sont d’inoubliables chefs d’œuvres, en majorité écrits par Alfredo le Pera (à l’exception notable de Tomo y Obligo, écrite par Manuel Romero pour Luces de Buenos-Aires). Dommage qu’il faille avaler entre 15 et 20 minutes de navet entre chacune d’elles !!

L’immense mérite du coffret de deux DVD, Carlos Gardel, Los Mejores Clips est de nous livrer une version décantée de ce travail cinématographique, dont ne sont conservés que les passages vraiment intéressants, c’est-à-dire les chansons. Un ensemble de 28 extraits de 3 à 4 minutes chacun, sur des supports souvent déjà bien abîmés par le temps malgré les restaurations récentes : son crachouillant et parfois désynchronisé, images souvent pleines de parasites, plans parfois coupés brutalement au milieu d’une phrase…    Le répertoire est composé pour l’essentiel de tangos, avec un nombre non négligeable de chansons créoles, de rancheras, et mêmes de boléros voire de fox-trots… Mais ce sont surtout les tangos qui ont survécu au temps.

Les courts-métrages de 1930 sont visionnaires par leur simplicité. Dans chacun, Gardel, interprète une chanson différente. Il chante au premier plan en image fixe, face à la caméra, vêtu d’un impeccable smoking, guitare à la main, souvent accompagné en arrière-plan de ses guitaristes. Avant chaque chanson, Gardel fait dire quelques mots à l’auteur de celle-ci, qui présente rapidement son texte. Cette idée presque visionnaire de mettre l’accent, avec les moyens limités de l’époque, sur le processus créatif et la valeur de l’œuvre chantée, n’aura pas immédiatement d’imitateurs. Il faudra attendre 70 ans pour qu’elle trouve un écho dans les « making-off » et autres « interviews » qui désormais accompagnent systématiquement nos DVD.

Quant aux chansons des long-métrages, elles sont toujours introduites selon le même principe : le déroulement de l’intrigue conduit à une situation dramatique que le Carlos Gardel illustre à l’instant même par une chanson ad’hoc, sans changer de lieu, de décor, ni de costume. Une construction qui transpose très exactement à l’écran la convention de l’opéra ou des saynètes de music-hall, genres qui influencèrent beaucoup les choix esthétiques du Morocho del abasto.

Celui-ci ne chante jamais seul. Il a toujours autour de lui un public attentif. Dans certains cas, il s’agit d’un groupe relativement nombreux : clients d’un bar, acteurs ou spectateurs d’une scène de théâtre, passagers d’un paquebot, participants à une fête, voisins à la fenêtre. Groupés en cercle autour de Gardel, en général immobiles, leur attention émue nous signifie à quel point la voix du chanteur touche l’âme collective – toute particulièrement d’ailleurs celle des jeunes femmes.

Dans d’autres cas, le public est simplement constitué de quelques amis. Cette fois, ils sont là pour compatir à la douleur ou à la nostalgie à caractère plus intime exprimée par l’interprète, l’écoutent avec empathie, et réagissent à la fin de sa prestation par quelques gestes de réconfort ou d’encouragement. A noter également que la femme dont notre héros est amoureux – et avec laquelle la relation se heurte en général, comme on s’en doute, à de gros obstacles – n’est parfois pas très loin, et écoute, cachée et émue, son amant malheureux exprimer son désarroi.

Le décor, qui dépend directement du déroulement de l’intrigue, peut être un bar mal famé, une fête luxueuse, le pont d’un paquebot, un intérieur bourgeois, une arrière-cour, une scène de music-hall, un feu de camp dans la campagne. Mais Gardel y apparait en général toujours impeccablement vêtu d’un costume trois pièces, voire d’un smoking, avec cravate ou nœud papillon. Parfois, pour les besoins de l’intrigue, on le voit vêtu en gaucho, mais jamais dans une tenue ordinaire. Le mythique Gardel peut être un dandy ou un aventurier, mais pas un petit-bourgeois.

Dans la plupart des cas, le chanteur est filmé en plan plus ou moins fixe pendant les trois minutes de sa prestation. D’une manière ou d‘une autre, il domine le public de manière solaire, qu’il soit placé au-dessus ou au centre de celui-ci. Seules exceptions : les (rares) duos d’amour, où il chante en face de sa partenaire ; et quelques scènes de désespoir, où il est assis, le corps recroquevillé de douleur, sous le regard de son auditoire compatissant. La disposition spatiale relative des personnages est ainsi utilisée comme un « signifiant » intuitif de la situation psychologique du héros !!!

Dans plusieurs chansons, les images des lieux ou situations évoqués par Gardel apparaissent à l’écran : champs de course dans Por una Cabezza, image de Buenos aires dans Mi Buenos aires Querido, etc. Si aujourd’hui, ce recours nous paraît un peu naïf, n’oublions pas qu’il constituait à l’époque, alors que le cinéma parlant venait à peine d’être inventé, une incroyable innovation de mise en scène … une sorte de clip avant la lettre, justifiant ainsi le titre du coffret  !!!

La mauvaise qualité de certains enregistrements, et même les naïvetés de mise en scène ajoutent encore au charme de ces extraits à la fois désuets et en avance pour leur époque, qui constituent pour la plupart de purs moments d’émotion. Et quel plaisir de les regarder ainsi confortablement à la suite les uns des autres sans savoir à supporter des heures de nanars cinématographiques affligeants ou à se battre avec la touche «avance rapide » !

Fabrice Hatem

Carlos Gardel, Los Mejores Clips, Coleccion Bs. As. Tango, 2009. Coffret composé de deux DVD et d’un CD.

Renseignements : www.musicargentina.com

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