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Cinelandia, de Alfredo Arias : un hommage parodique et tendre au cinéma argentin

Jeudi 13 Septembre 2012

ImageEntre 1930 et 1970, le cinéma argentin a connu une période d’intense activité. Mais tous les films n’étaient pas tant s’en faut, des chefs d’œuvre. Il y avait aussi beaucoup de mélos incroyablement kitch, des films fantastiques aux scénarios déroutants, et même quelques productions érotiques de série B dont la principale qualité tenait à l’impressionnant tour de poitrine de leur premier rôle féminin. Dans sa pièce Cinelandia, actuellement présentée au théâtre de Poche Montparnasse, Alfredo Arias rend un hommage aux allures de parodie à quatre de ces films : Besos Brujos (1937), El crimen de Oribe (1950), La mujer de las camelias (1953), et Carne (1968).

Le principe de la mise en scène est simple, mais d’une grande efficacité comique : un narrateur (Alfredo Arias) présente le film en soulignant, dans un texte plein d’un humour ravageur, les invraisemblances du scénario, les poncifs de la mise en scène, le comique involontaire des dialogues, les faiblesses du jeu des acteurs. Le récit est ponctué de petites scènes tirées du film et interprétées par les trois comédiens de la troupe : Sandra Guida, Antonio Interlandi, Alejandra Radano.

Comment raconter en quelques mots l’intrigue très embrouillée de Besos Brujos (1937) ? Une actrice de cabaret (Interprétée par la grande chanteuse de tango Libertad Lamarque), est amoureuse d’un jeune homme de bonne famille. Rejetée par celle-ci, elle se réfugie dans un sordide cabaret de la pampa, où elle est enlevée par un gaucho qui la séquestre. Fort heureusement, son bien aimé vient la délivrer, ce qui donne bien entendu lieu à quelques péripéties dramatiques supplémentaires. Le texte et la mise en scène d’Alfredo Arias nous rappellent à chaque instant, d’une manière désopilante, l’inconsistance totale de ce scénario : par exemple en faisant porter en permanence un impeccable smoking blanc au jeune premier, y compris lors de la scène où celui-ci est censé se trouver – blessé de surcroît – au cœur d’une jungle humide et impénétrable !!

El Crimen de Oribe (1950) est un film fantastique au climat très étrange. Dans une maison isolée, habite une famille composée de quatre sœurs et de leur père. Celui-ci est parvenu à arrêter le temps pour empêcher la mort d’une de ses filles malade et condamnée à brève échéance. Mais, au bout de vingt ans, l’irruption d’un journaliste trop curieux, accompagné par hasard d’un ami, rompt le sortilège, entraînant le décès de la petite. Le père se venge alors, en tuant celui qu’il estime, à tort, être responsable de la tragédie. Dans cette seconde adaptation, Arias nous propose une mise en scène moins parodique que la précédente, restituant même sans trop d’ironie le climat inquiétant, un peu surréaliste, du film. En particulier, son choix de donner une apparence de gémellité aux deux actrices, rendues indiscernables l’une de l’autre par leur costume et leur maquillage, créé un troublant sentiment de malaise, encore accru par une interprétation hallucinée.

La mujer de las camelias (1953) est une transposition, dans l’Argentine des années 1950, du fameux drame d’Alexandre Dumas, La dame aux Camélias. Dans cette troisième saynète, Alfredo Arias revient à une parodie joyeuse des faiblesses et des facilités du scénario. Par exemple, dans l’adaptation cinématographique, Margarita succombe, non à la tuberculose comme dans le roman, mais à la folie. La parodie outrancière des scènes de démences de Margarita, suivie de l’annonce par le commentateur d’une brusque et opportune amélioration de son état (permettant ainsi au scénariste d’introduire au bon moment une déchirante scène d’adieu), provoquent au sein du public de puissantes vagues d’hilarité.

Mais c’est la parodie du film érotique Carne (1968) qui constitue sans doute le moment le plus cocasse du spectacle. Cette œuvre cinématographique avait pour actrice principale Isabel « Coca » Sarli, dont Alfredo Arias nous indique sans charité qu’elle associait (je cite de mémoire) « une puissance érotique absolument hors normes à une capacité d’interprétation absolument… nulle ». La volumineuse poitrine postiche, mise en valeur par un corsage largement échancré, dont est affublée la comédienne interprétant Coca, nous rappellent d’ailleurs sans ambiguïté où se nichait l’essentiel du talent de celle-ci.

Quant à l’intrigue, elle est d’un mauvais goût particulièrement marqué : une employée des abattoirs, qui pose par ailleurs (nue, bien sûr) pour son amant peintre, est victime des viols à répétition d’un garçon boucher au milieu des carcasses de bétail. Mais le peintre, au péril de sa vie, finit par la délivrer. Arias ne nous épargne aucun des détails susceptibles de nous convaincre de l’inanité de ce film. Il nous rappelle par exemple qu’avant chacun des viols, la pauvre fille répète comme un leitmotiv à son tortionnaire cette phrase d’un absurde comique : « Canaille !! Qu’attends-tu donc de moi ? » Et quand, dans l’une des scènes de la pièce, la victime éperdue va demander aide et conseils à sa meilleure amie, également employée des abattoirs, celle-ci lui répond avec énergie et conviction : « eh ! bien, la solution, c’est de chanter un tango !!! » Ce qu’elle fait à l’instant même, vêtue d’un tablier tout éclaboussé de sang de bœuf écarlate.

Plusieurs chansons de films sont d’ailleurs interprétées au cours du spectacle… Parmi elles, une majorité de tangos, comme Besós brujos, Margarita Gautier, ou encore la Cancion de Buenos Aires. Rien d’étonnant à cela quand on connaît l’omniprésence de la référence au tango dans l’œuvre d’Alfredo Arias, depuis Faust Argentin jusqu’à Mortadella. Il s’agit en effet pour lui, comme il me l’avait expliqué lors d’un entretien accordé il y tout juste dix ans, d’une sorte de « nécessité autobiographique », liée aux souvenirs de son enfance Argentine, bercée par le tango.

Une magnifique garde-robe de costumes aux coupes étranges, créés par Pablo Ramirez ; trois comédiens de grand talent, à la fois mimes, chanteurs et danseurs ; un meneur de jeu – Alfredo Arias lui-même – à l’inoubliable présence scénique, avec son petit chapeau de feutre et son maquillage de demi-clown ; des textes drôles et légers, écrits par Arias et René de Ceccaty… Il y a vraiment là plus qu’il n’en faut pour faire aimer le théâtre !! Alors, précipitez-vous à ce spectacle…

…et, si le coeur vous en dit, arrivez donc deux heures plus tôt, pour assister également à Hermanas, un spectacle de style cabaret, à la fois très gai et d’une grande qualité artistique. Sandra Guida et Alejandra Radano y interprètent avec fougue et maestria un florilège de chansons européennes, pour la plupart françaises et italiennes, choisies et présentées par Alfredo Arias.

Fabrice Hatem

Buenos Arias Deux spectacles de Alfredo Arias chaque soir :
Hermanas, Music hall, à 19h15 Cinélandia, théâtre avec chansons, à 21h 31 rue de la Gaité 75014 Paris M° Gaité ou Edgar quinet Tél : 01 43 22 77 74 www.theatremontparnass.com

 

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