Catégories
Carnet de Voyage 2011 à Cuba

Un (excellent) dictionnaire de la musique cubaine

La Havane, mercredi 5 octobre 2011

fotoorvio1 Musicien, poète, essayiste, Helio Orovio (1934-2008) est aussi considéré dans son pays comme l’un des représentants les plus éminents de la musicologie cubaine contemporaine. Plusieurs artistes cubains, danseurs ou musiciens que j’ai eu l’occasion d’interviewer se souviennent avec bonheur de son enseignement vivant et convivial : à mille lieux d’une austère et ennuyeuse démonstration d’érudition, cet homme généreux et passionné savait transmettre ses connaissancessous la forme d’une conversation spontanée, truffée d’anecdotes divertissantes et illustrée par des documents sonores rares qui en disaient beaucoup plus sur l’atmosphère d’une époque ou sur le caractère d’un personnage que de longs développements théoriques.

dictionario Tout ce gai savoir, Helio Orovio l’a résumé dans ce qui fut sans doute l’un des plus grands chefs-d’œuvre de sa vie : le dictionnaire de la musique cubaine, dont la rédaction s’est étalée sur plus de 20 années. La première édition, datant de 1981 et que j’ai pris pour base de cette revue critique, comporte près de 450, pages avec plus de 1200 entrées organisées par ordre alphabétique, tous sujets confondus : musiciens (qui constituent en fait la grande majorité des entrées), instruments, styles musicaux. Ce mode de classement a l’immense et étrange mérite de faire défiler, un peu comme dans un Cabildo de Carnaval, un mélange bariolé d’époques et de genressous les yeux du lecteur émerveillé. Et, quel que soit l’objet initial de sa recherche, celui-ci verra presque certainement sa curiosité accrochée par un article ou par un nom d’artiste nouveau, un style encore inconnu, un instrument rare.

Comme il l’explique dans l’introduction, l’auteur a cherché àproportionner la taille de chaque article à l’importance du sujet traité. C’est ainsi que les quatre lignes sur Elisa Agüero, chanteuse célèbre de la fin du XIXème siècle, mais aujourd’hui bien oubliée, contrastent avec les 8 pages, avec illustrations, extraits de partitions et musicographie complète, consacrées à Amaldéo Roldan, l’un des plus grands compositeurs cubains du XXème siècle qui joua un rôle majeur dans la reconnaissance des traditions musicales afro-cubaines.

Chaque entrée, quelle que soit sa taille, fournit cependant des informations de grande qualité, à la fois concises et suffisamment complètes pour connaître, en quelques paragraphes, l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur un thème donné. J’ai pu le vérifier en lisant les articles concernant des sujets sur lesquels j’avais déjà quelques lumières, comme par exemple la biographie de Sindo Garay. Dans les quatre pages qu’il lui consacre, Helio Orovio parvient à présenter les faits et recréer l’atmosphère de sa vie de manière presque aussi évocatrice que dans l’excellent ouvrage consacré au célèbre trovadore par Carmela de Léon.

La concision de chaque article permet également au lecteur débutant – c’est d’ailleurs l’objectif même d’un dictionnaire de ce type – de réaliser rapidement une « mise à niveau » sur n’importe quel sujet. Prenons quelques exemples, tirés des premières pages du livre. Au fil de cette lecture, J’ai appris que les Abebe sont des sortes d’éventail sacrés utilisés pour raffraîchir les Orishas lors des cérémonies religieuses. J’ai recueillis les informations biographiques que je cherchais de depuis quelques temps sur Leonardo Acosta, musicien et musicologique cubain connu, auteur de stimulants ouvrage que j’aurai l’occasion de commenter un autre jour. J’ai consolidé mes maigres connaissances sur le trovadore Salvador Adams (1894-1972) dont j’avais entendu parler lors de mes précédents voyages à Santiago. J’ai appris l’existence, dans les années 1980, d’un groupe nommé Afrocuba, engagé dans une démarche synthèse entre la musique cubaine traditionnelle et des styles plus contemporains, comme le jazz. J’ai également appris que la cantatrice Ana Agromate, exilée au Etats-Unis à la fin du XIXème siècle, y organisa de nombreux concerts pour recueillir des fonds destinés à la cause indépendantiste ; que le cuarteto d Aida, groupe vocal féminin dont firent notamment partie les chanteuses Omara et Haydée Portuondo, ainsi que Elena Burke, joua une rôle majeur dans la diffusion de la musique populaire traditionnelle cubaine des années 1950 et 1960… et ainsi de suite. Bref, j’ai agréablement et utilement voyagé à travers les styles musicaux et les époques, en feuilletant langoureusement ces pages riches et bien écrites, illustrées par une iconographie bien choisie.

Ce livre de référence a été réédité à plusieurs reprises depuis sa première parution. Il a également été traduit et publié en anglais en 2004 par Duke University Press sous le titre Cuban Music from A to Z, dans une version actualisée et complétée prenant pour base l’édition cubaine de 1998.

Fabrice Hatem

Helio Orovio, Diccionario de la música cubana, biográfico y técnico, Editorial Letras Cubanas, la Habana, Cuba, 1981

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.