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Carnet de Voyage 2011 à Cuba

Pablo Milanés, par Clara Díaz

milanese Ou de la difficulté d’écrire une bonne biographie sur un artiste vivant

La Havane, jeudi 6 octobre 2011

Ce petit ouvrage consacré à l’un des fondateurs de la Nueva Trova cubaine appartient à une collection de biographies publié par les Editions Letras Cubanas, aux côtés d’un Benny Moré de Raúl Martínez Rodríguez et d’un Compay Segundo de Luis Betancourt que j’avais beaucoup appréciés. Comme ces autres opuscules, ce petit livre (une centaine de pages de format poche) se divise en quatre parties : la biographie proprement dite, qui ne dépasse pas 40 pages ; un court recueil de citations sur l’artiste ; une mini-anthologie de ses principales chansons ; enfin, une iconographie commentée.

Dans une langue claire, concise, entrecoupée de témoignages de l’artiste, l’auteur(e) nous fait revivre les principales étapes de la vie et de l’œuvre de Pablo Milanés : sa naissance en 1943 à Bayamo ; son enfance dans famille pauvre de l’oriente cubain ; ses premiers pas de musiciens amoureux du Son ; sa découverte du style dit « Feelin » ; ses premiers succès de chanteur-interprète puis de compositeur au début des années 1960 ; son rôle dans la création du mouvement dit de la « Nueva trova » cubaine à la fin de la même décade ; sa participation au Groupe d’expérimentation sonore animé par Léo Brouwer à l’institut cubain du Cinéma (ICAIC) au cours des années 1970 ; l’essor de sa carrière internationale qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui ; ses différentes tentatives, généreuses mais souvent sans lendemain, pour aider à la promotion des artistes et de la culture populaire cubaine…

Nous pouvons ensuite savourer les textes de ses principales chansons, comme Mis vientidos años, Para vivir, Se el poeta eres tú, La vida no vale nada, Amor, Amo esta isla, Te quiero porque te quiero, La felicidad, La soledad, Sandra, Plegaria, Despestar, etc.

Je n’ai cependant pas éprouvé le même plaisir à la lecture de cet ouvrage qu’à celle de ses petits frères consacrés dans la même série à Benny Moré ou à Compay Segundo. La principale raison tient au caractère très lisse et assez froidement factuel de l’écriture de Clara Díaz. Le livre se présente un peu, en effet, comme un curriculum vitae bien fait et très détaillé, mais dépourvu du souffle de passion, des anecdotes palpitantes, des portraits plein de vie qui faisaient la valeur des deux autres.

Par exemple, Clara Díaz ne nous dit absolument rien de la vie sentimentale de Pablo ; elle ne nous livre aucun détail sur l’évolution de sa pensée politique et notamment sur sa prise de distances progressive par rapport au régime cubain actuel. Elle ne fournit également aucune analyse musicologique ou littéraire de l’œuvre du compositeur, se contentant d’égrener, au fil des pages, la liste commentée des CDs édités, des chansons écrites, des concerts et des tournées. De même, l’analyse de filiations et de ses affinités artistiques de Pablo – son amour pour le Son, sa longue collaboration avec Silvio Rodriguez, son intérêt plus récent pour le Jazz afro-cubain – restent, en gros, limitée à l’énumération détaillée des musiciens avec lesquels il a travaillé, des concerts qu’il a donnés, ou des orchestres auxquels il a participé.

Tout cela est un peu décevant et surtout insuffisant pour comprendre la trajectoire d’un auteur-compositeur dont le répertoire, mélange de thématiques personnelles et de chansons engagées, mériterait des mises en perspective et des analyses plus poussées dans ces différentes dimensions. De plus, écrit en 1999, le livre ne nous dit rien (en tout cas dans la version que j’ai eu entre les mains) sur les 12 dernières années de la carrière de Pablo. Or, celles-ci furent extrêmement fécondes, comme en témoignent les discographies que l’on peut trouver sur Wikipedia (1) ou sur le site personnel de l’artiste (2).

Nous touchons sans doute ici à l’une des limites principales du travail de Clara Díaz : écrire une biographie sur un personnage vivant, dont la coopération est nécessaire pour la publication du livre, peut contraindre fortement la liberté d’expression de l’auteur. Il est en effet tentant pour celui-ci – voire inévitable dans certains cas – d’éviter les sujets polémiques, gênants ou douloureux, de ne pas se livrer à des analyses personnelles pouvant présenter un aspect critique, de passer sous silence les accidents ou incidents de la vie de l’artiste, ses faiblesses et ses défauts éventuels, etc.

Mais tout cela limite alors considérablement l’intérêt du travail biographique. L’alcoolisme de Benny Moré, l’instabilité chronique de Sindo Garay, les périodes creuses dans la carrière de Compay Segundo, les démêlés de Miguel Matamoros avec le régime de Géraldo Machado, constituaient par exemple des ressorts dramatiques majeurs dans les différentes biographies que j’ai pu lire à leur sujet. Et si, comme on le dit, les peuples heureux n’ont pas d’histoire, comment les poètes sans histoire pourraient-ils, de leur côté, alimenter leur inspiration ? Et c’est cette clé de compréhension sur Pablo Milanés qui, justement, fait cruellement défaut dans le fort honnête ouvrage de Clara Diaz.

Fabrice Hatem

Clara Díaz, Pablo Milanés, Editorial Letras Cubanas, 1999, ISBN, 959 10 0470

(1) http://es.wikipedia.org/wiki/Pablo_Milan%C3%A9s

(2) http://www.milanespablo.com/

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