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Carnet de Voyage 2011 à Cuba

Maria Antonia Garcia Rodriguez : « J’ai appris à danser le Casino avec Al Capone »

ma4 La Havane, Samedi 25 juin 2011

Maria Antonia est une dame d’une grande beaute et d’une grande distinction. Il y a quelques dizaines d’années, lorsqu’elle a inventé le Casino avec ses amis du Casino Deportivo de La Habana, c’était aussi une très très très jolie jeune femme. Je vous livre avec émotion la retranscription de ses souvenirs de l’époque, exprimés avec une poésie et une délicatesse très féminines, et qui portent également témoignage d’autres formes de danse populaire, contemporaines du Casino.

ma9 Depuis l’âge de 13 ans, j’ai été membre du Casino Deportivo de la Havane. C’est là qu’à 14 ans, j’ai appris à danser le Casino. Mon partenaire de danse d’alors avait pour surnom Al Capone, mais je ne me souviens pas de son vrai nom. Un jour, il m’a proposé de m’apprendre le Casino et je suis rentrée dans la ronde. Il y avait des thés dansant le dimanche entre 4 et 8 heures, et des soirées le samedi entre 8 heures et minuit. C’était vers 1956-1957.

Puis, au début des années 1960, nous avons migré vers le Cercle Patricio Lumumba, qui a coexisté quelques années avec le Casino Deportivo, renommé Cristino Najanro. On allait aussi danser à cette époque dans un lieu nommée Los Curros de Enrique à Santo Suarez, un quartier où moi-même et Juan Gomez habitions. Nous nous retrouvions aussi au Centre Gallego de la vieille Havane, où Rosendo allait souvent danser et animait sa Rueda. C’était une Rueda pour les avancés. Quand quelqu’un se trompait, il le faisait sortir. Il avait aussi la Rueda de Juanito, et celle de El Oso qui s’est créée au Patricio Lumumba. Nos mamans nous accompagnaient, j’avais alors 16 ou 17 ans.

ma7 Il y avait dans chaque Rueda un guide, appelé » cantor ». Il fallait bien écouter le cantor. Il nous indiquait les mouvements : « Derecha izquierda », « Vamos al centro », « Por abajo », « Enrosque » , « Bikini », « Mujeres al centro », « Hombres por fuera con palmas » … Notre critère, c’était de connaître le mouvement appelé « Derecha izquierda ». Pour moi, pour être un vrai casinero, il faut connaître ce pas, sinon on ne te laisse pas entrer dans la Rueda…

Ah ! Je me souviens aussi du Club San Carlo, qui existait avant même le Casino Deportivo. J’y allais lorsque j’avais 11-12 ans. Il était animé par l’orchestre de Los Hermanos Castro, en matinée le dimanche. Il y avait des bals pour enfants costumés. Sur cette photo, je suis déguisée en vendeuse de violettes. J’ai 13 ou 14 ans, j’avais déjà des talons, j’étais maquillée.

Puis nous n’avons plus pu aller danser au Cristino Najanro, et nous nous sommes repliés sur le Lumumba. C’était l’époque de mes 20 ans. Au Patricio Lumumba, nous dansions entre 4 heures et 8 heures le dimanche. Nous allions aussi dans un lieu appelé la Costa de Cojimar, le samedi soir entre 9 heures et deux heures du matin. Nous suivions les orchestres qui tournaient d’un endroit à l’autre : l’orchestre de Roberto Faz, le Conjunto Rumbavana…Quand la matinée se terminait au Patricio Lumumba, nous allions danser ailleurs. Il y avait aussi le Parque de Guanao, où nous sommes allés quand d’autres lieux, comme la Costa de Cojimar, ont fermé, en 1967-68.

ma10 J’ai ici la photo d’un groupe de danseurs du Casino Deportivo qui date de 1962, La chorégraphe Idalia Martinez, aujourd’hui décédée, était venue nous proposer à un groupe de jeunes du Casino Deportivo de venir faire partie de la Cumparsa de la Aviacion. Chaque couple représentait un pays. Moi j’étais déguisée en bolivienne, car nous représentions la Bolivie avec mon partenaire. La photo a été prise au cabaret national le 21 mais 1962, après une répétition de notre Cumparsa. La Cumparsa de la Aviacion était très jolie. Nous avons défilé pendant les fêtes de carnaval. Il y avait beaucoup de Cumparsas : celle de la FEU[1], les Guaracheros de Regla qui étaient très belles… La concurrence entre toutes ces cumparsas était très forte.

Au Rio Cristal, il y avait une compétition de danse de couple qui s’appelait Mano a Mano. On se mettait un numéro et on dansait le Casino. Le meilleur couple gagnait. En fait, la danse de Casino en couple et la Rueda de Casino se sont créés à peu près en même temps. On dansant alternativement en Rueda et en solistes. En danse de couple, on pouvait être plus créatif. Danser le Casino, ce n’est pas la même chose que danser la Rueda de Casino. On peut danser le Casino en couple sans danser la Rueda.

ma12 L’important, pour nous, c’était de bien danser. L’un de mes partenaires était surnommé « El Yema ». Il était vraiment très laid, mais j’aimais bien danser avec lui car c’était un très bon danseur. Bien sûr, parfois on tombait amoureux, mais ce qui nous intéressait avant tout, c’était de danser. Il y avait beaucoup de respect entre les danseurs. Ensuite je me suis mariée, mais j’ai continué à avoir des partenaires de danse, comme aujourd’hui Luis Apaulaza « Doble S » (photo ci-contre, avec Juan Gomez  » Juanito' » assis et Maria-Antonia).

En 2004, grâce à Juanito, nous avons recommencé à nous voir dans le cadre des « rencontres de Fondateurs ». Juanito, qui est mon voisin, m’a proposé de nous rencontrer à nouveau, 40 ans après. Cela a été un peu difficile de réunir tout le monde. Certains vivaient à l’étranger. Moi, j’étais retraitée et je m’occupais de mes petits-enfants. Mais, bref, à plus ou moins 60 ans, nous avons recommencé à nous, voir, le vendredi soir, à la marina de Casa Bianca. ma6

Cela a été très beau de se retrouver, une des plus grandes émotions de ma vie. Sur cette photo, qui date de 2006, on voit Luis, Chujito, Maria qui est l’ancienne soliste de Los Guaracheros de Regla, et moi-même. Puis nous avons migré à la casa de la Amistad, enfin au restaurant 1830.

Sur cette photo, on peut me voir avec le groupe des fondateurs. Beaucoup d’entre eux avaient des surnoms, ma11 mais pas moi : on m’a toujours appelé Maria Antonia. Certains habitent maintenant à l’étranger. On peut voir là Jorge Alfaro, aujourd’hui directeur du théâtre America, El Oso, et aussi Humberto Medina, ex-directeur des Guaracheros de Regla, dont beaucoup de Casineros, comme par exemple Baby et Rosendo, faisaient aussi partie. Il y a aussi Juan l’Abuelito, Maria, El Chulo, Ebolita. Et puis l’image de Rosendo au-dessus de nous qui dit :  » Je suis heureux que tous les fondateurs se rappellent de moi pour toujours ».

Propos recueillis par Fabrice Hatem


[1]Fédération étudiante

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