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Carnet de Voyage 2011 à Cuba

Barbara Beatrix Fernandez (Baby) : il faut se souvenir de Rosendo Gonzalès

La Havane, mardi 21 juin 2011

fund5 J’ai eu la chance de rencontrer au restaurant 1830, les membres du cercle des « fondateurs du style Casino », qui ont inventé cette danse à partir de la fin des années 1950[1]. J’ai conçu avec eux un « Projet mémoriel » reposant, dans une première étape, sur des entretiens filmés avec sept des « fondateurs » les plus éminents (photo ci-contre).

J’ai le plaisir de vous livrer ici le premier de ces entretiens, mené avec Barbara Beatrix Fernandez Cánovas. Outre qu’elle est encore aujourd’hui une excellente danseuse avec laquelle j’ai passé de très agréables moments sur la piste, Barbara possède une caractéristique importante qui en fait un témoin privilégié de l’époque d’or du Casino. Elle fut en effet la première épouse du grand danseur Rosendo Gonzalès.

bab6 Si Rosendo est surtout connu pour avoir popularisé la Rueda de Casino à la télévision cubaine dans les années 1960, c’est avec sa premiere partenaire, Barbara, qu’il contribua à l’invention de ce style quelques années auparavant, alors qu’ils n’étaient que de tout jeunes gens inconnus de moins de 20 ans. C’est donc avec une émotion particulière que je vous livre le témoignage de celle-ci, qui paraît surgir tout vivant de l’histoire.

bab4 Mon nom est Barbara Beatrix Fernandez Cánovas, surnommée « Baby ». J’ai étudié les techniques commerciales, dans la spécialité « commerce intérieur ». Je suis retraitée, femme au foyer. Toute petite, j’aimais déjà danser. Dans ma famille, nous dansions à l’occasion des anniversaires, des grandes fêtes de 15 ans des filles. Comme nous étions 4 frères et sœurs à la maison, cela arrivait souvent.

casino Puis au début des années 1960, je suis venue avec ma sœur au Casino Deportivo de la Havane – aujourd’hui Cercle Social Cristino Naranjo – où un groupe de jeunes se réunissait pour danser la Rueda de Casino (photo ci-contre). Je me suis jointe aux autres, j’ai appris à danser le Casino, j’ai connu Rosendo Gonzales, nous nous sommes fiancés puis mariés en 1963. De cette union est né mon fils Rosendito (Photo ci-contre).

bab3 Les premières années, nous dansions au Casino Deportivo. Puis, nous sommes allés au Patricio Lumumba (photo ci-dessous), quand les boursiers de province sont arrivés au Cristino Naranjo, devenus « cercle des boursiers ». Nous y dansions surtout le dimanche entre 5 heures et 8 heures Nous dansions aussi à la Costa de Cojimar, au Nautico, au Ferretero – aujourd’hui Armando Mestre -, à la piscine du Riviera, dans les salons du Habana libre, dans le salon Rosado de la Tropical, au Rio Cristal, dans les jardins de la Polar. Il y avait toujours des bals populaires, le vendredi, samedi et dimanche. Nous suivions les orchestres les plus réputés pour la danse, ceux qui nous donnaient bien le rythme, la clave : Benny Moré, Orquesta Revé, Felix Chapottin, Rumbavana, La Sublime, La Sensation – l’orchestre de Roberto Faz, etc.

patricio Les filles s’habillaient avec beaucoup d’élégance : talons hauts, bijoux, sacs, colliers. Elles étaient bien coiffées. Dans les années 1950, c’était une chose importante. Elles étaient toujours accompagnées d’un adulte, de leur maman, de leur grand-mère. Il y avait toujours une personne adulte, au cas où… Les mamans et les grands-mères étaient assises sur des chaises au bord de la piste. Elles causaient, elles nous regardaient danser. S’il se passait quelque chose, qu’une fermeture éclair se déchirait par exemple, elles allaient dans les lavabos et réparaient cela avec un fil et une aiguille. Un jour, une fille a cassé un de ses talons. Sa maman a pris les chaussures, a enlevé l’autre talon, et la petite a continué à danser avec les chaussures basses. Tout le monde s’aidait. De temps en temps, les parents les plus jeunes se joignaient à la rueda, s’ils savaient la danser.

el oso Plusieurs ruedas pouvaient avoir lieu en même temps dans la salle du Patricio Lumumba. La plus nombreuse était celle de El Oso (photo ci-contre). Les ruedas de Juanito et de Rosendo, qui avaient aussi lieu les premières années au Casino Deportivo, étaient celle des consacrés, des meilleurs danseurs. On les appelait les « grandes ruedas », même si ce n’étaient pas les plus nombreuses. Celle de El Oso, qui eut lieu seulement au Patrico Lumumba, était davantage destiné aux débutants. Quand on se trompait dans la Rueda de Rosendo, il fallait partir et on réintégrait celle de El Oso. En plus, il y avait des couples qui dansaient seuls, car ils ne savaient pas ou ne voulaient pas danser la rueda, qui nécessite une grande synchronisation.

Le passage d’une rueda à l’autre était spontané. On apprenait petit à petit. Ce n’était pas planifié. Si quelqu’un hésitait à danser, les autres l’appelaient : «Viens danser ! » Alors on commençait à danser dans la « rueda grande ». Mais si on se trompait, on te faisait sortir. Il fallait maintenir le rythme, le style, l’élégance, savoir aller vers le centre, ne pas se tromper. C’est important d’écouter l’orchestre en dansant, de te mettre dans la danse, d’avoir de la prestance, sentir que tu es en train de danser. Il faut écouter la musique, le chant.

bab1 Beaucoup de nos figures de Casino viennent du style des années 1950, du rock’n roll qui est passé à la danse cubaine. Il y a aussi une influence du Danzon, du Cha Cha Cha. Ces figures (« pasitos ») apparaissaient petit à petit, elles étaient un peu inventées par tout le monde en même temps. L’un avait une idée, un autre la modifiait, le groupe l’adoptait, un nom surgissait du fait d’une situation particulière du moment, puis le terme se maintenait… Derecha izquierda, Dilequeno, Bikini, Casate, Botala…. La jeunesse est imaginative !!!

Cette photo me représente en train de danser avec Rosendo Gonzales à un anniversaire. C’était un danseur de casino magnifique, qui ensuite a beaucoup popularisé cette danse à la télévision cubaine. Nous avons passé des moments très heureux les plus agréables de ma jeunesse. Il n’y avait pas un dimanche ou nous n’allions pas danser avec nos amis. Il était attentifs à tout le monde, intégrait les gens dans sa rueda, avec 15 ou 20 autres couples, leur apprenait. Mais s’ils se trompaient, il les faisait sortir et ils retournaient à la rueda de El Oso. Rosendo a été un grand danseur de spectacle et surtout un grand danseur populaire de piste. Il a peut-être été un peu oublié. Il faut que l’on se souvienne de lui.

fund4 L’époque d’or a duré jusqu’au début des années 1970. Puis, chacun a suivi sa carrière, de bals ont fermé, les gens se sont mariés et ont eu des enfants. Et dans les années 1970, une nouvelle génération de danseurs est arrivée. Moi aussi j’ai travaillé, je me suis occupée de ma famille.

Puis nous nous sommes retrouvés en décembre 2004 pour fonder le cercle des fondateurs à la Marina de Casa Bianca. J’ai revu mes anciens camarades : El Tinge, Juan Gomez, Jorge Gomez… Mais Rosendo était mort en 1986. Avec ma sœur, nous avons recommencé à danser et à renouer nos amitiés anciennes. 50 ans après, nous avons reformé la rueda de casino (photo ci-contre).

bab5 Nous nous retrouvons le jeudi et le dimanche au restaurant 1830, le vendredi au Pico Bianco, le samedi au salon Canito du l’hôtel Habana Libre (photo ci-contre). Les jeunes ont changé les pas, mais nous continuons à danser la danse de casino traditionnelle. Nous dansons sur la musique d’aujourd’hui qui est un peu différente de celle d’hier, mais où on retrouve la même clave. Même sur du reggaeton, on peut le faire, du moment que la musique offre un bon rythme pour la danse, une bonne clave.

Les jeunes peuvent suivre, continuer à danser le casino. Il faut que ce style se maintienne. fund3 Il ne faut pas se laisser envahir par des rythmes étrangers. Les figures actuelles de la Salsa viennent de la rueda de casino, mais avec plus d’acrobaties, de variantes. On l’a modifié, appelé la Salsa, mais c’est notre danse qui s’est maintenue en se transformant, en changeant parfois les noms ou les pas. La racine est là. Tous ces pas ont été inventés par notre jeunesse.

Propos recueillis par Fabrice Hatem


[1] J’adresse encore une fois mes remerciements a Ricco, de Salsa Timbayonne, qui m’a mis en contact avec eux.

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