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Carnet de voyage 2010 à Cuba

Peña de Bolero à l’Union des écrivains Cubains

Samedi 28 août 2010, La Havane

Ce soir, me voici enfin de retour vers toi, La Havane si chère à mon cœur… Tu n’as pas changé en deux ans : ta belle robe est toujours aussi trouée, et ton sourire aussi chaleureux ….

Dès mon arrivée dans ma casa particolare de Centro Habana, j’ai le sentiment de frôler de très près le bonheur tropical tant rêvé depuis Genève : les voisins d’en face ont organisé, toutes portes et fenêtres ouvertes, une grande fête pour célébrer le dernier week-end des vacances scolaires d’été. La musique de Los Van Van et de Michael Blanco, dont les flots impétueux déferlent dans la rue pour se jeter en vagues puissantes jusque sur mon balcon, exerce sur moi sa tonifiante attraction. Vais-je tenter ma chance, m’inviter sans complexes en franchissant la porte et montant l’escalier ? En tant qu’étranger, je serais sans doute fort bien reçu, et danserais la Salsa toute la soirée « avec de vrais cubains » (ou, plus exactement, avec de vraies cubaines)… et quel début de séjour à raconter ensuite aux copains !!!

Mais mon devoir m’appelle, sous la forme d’un premier reportage sur la Peña de Bolero, organisée le samedi soir à l’union des écrivains cubains. Cette visite était programmée de longue date, après lecture assidue et annotée du Guide du Routard. Adieu donc, pour l’instant, mes jolies voisines Salseras …

patio Direction : le quartier du Vedado, vrai centre de la Havane et témoin des heures de gloire de la ville, avec ses maisons art déco et surtout ses superbes villas de style colonial, dont les patios et colonnades sont noyés dans une luxuriante végétation tropicale. C’est dans l’une de celles-ci qu’est installée l’Union des Ecrivains Cubains, l’une des institutions culturelles les plus prestigieuses du pays, dont les activités dépassent d’ailleurs largement le domaine de la littérature stricto sensu pour toucher également à la peinture, au cinéma ou à la musique. Expositions, festivals, colloques et concerts s’y succèdent tout au long de l’année.

Le Samedi est le jour de la Peña de Bolero (voir Video). « Une Peña » est une manière typiquement latino-américaine de concevoir une grande soirée entre amis. L’idée est, en gros, que chacun monte à tour de rôle sur scène pour faire la preuve de son talent : de musicien, de chanteur, de danseur, etc. Mais ces soirées peuvent être, selon les cas, plus ou moins formelles, plus ou moins sélectives aussi en matière de programmation. La soirée à laquelle j’ai assisté était à la fois très sélective et très formelle : un vrai spectacle de chanson populaire, où se succédèrent cinq ou six interprètes de très bonne qualité, certains déjà presque célèbres à Cuba, d’autres encore inconnus. Une tonique meneuse de revue entrecoupait elle-même le passage des chanteurs de quelques numéros comiques.

chanteuse1 Le public – constitué pour l’essentiel de gens d’âge plutôt mûr, visiblement souvent des habitués du lieu ou des proches des artistes – était installé dans un grand jardin, sous les frondaisons d‘immenses arbres tropicaux, en face du grand perron à colonnades où se succédaient les chanteurs. J’étais assis sur le côté droit, en compagnie de mon amie et partenaire de tango Emma, grande organisatrice de milongas, et dont je vous reparlerai davantage dans quelques jours. Affamé par mon voyage, je dévorais un poulet grillé dont je lançais aussi quelques morceaux – puis finalement la carcasse toute entière – aux nombreux chats efflanqués qui guettaient entre les tables le don d’un généreux mécène.

chanteur1 Je n’ai pu conserver qu’approximativement l’orthographe des chanteurs qui se succédèrent ce soir-là : Elizabeth de Gracia – une artiste d’âge mûr, apparemment connue et respectée ici -, Miguelito Oliver – un interprète d’une très touchante sensibilité, qui s’accompagne lui-même de sa guitare – Marta Anglada, Idelita – une jeune femme à la voix à la fois puissante et capable de parcourir un très large registre de nuances -, Lazaro Nuñiez… Même si j’ai éprouvé une préférence pour certains d’entre eux, je dois reconnaître que tous, sans exception, ont fait preuve de talent et de professionnalisme : de très belles voix, pas une fausse note, pas un oubli pendant les deux heures qu’ont duré le spectacle.

chanteuse2 Nous étions loin, ce soir-là, des brutales pulsations rythmiques du reggaeton ou des stridences cuivrées de la Salsa. Les paroles des chansons évoquaient l’amour sur un mode élégiaque et romantique – parfois aussi un peu « mélo » ou « ringard », diront les méchantes langues. La musique était souvent assez lente, avec une grande présence de la guitare et des autres instruments à cordes. J’avais déjà constaté au cours de mon voyage précédent à quel point le public cubain d’âge mûr reste attaché cette musique de variétés largement ancré dans le style du boléro. Une musique dont Ibrahim Ferrer et Omara Portuondo nous avaient donné quelques merveilleux échos dans le film « Buena vista Social Club », mais qui reste presque totalement inconnu des jeunes générations occidentales, exclusivement nourries de Timba et de Reggaeton d’exportation.

chanteuse 3 Un autre trait caractéristique, fort sympathique, déjà observée il y a deux ans, est la complicité bon enfant qui unit les artistes et le public. Les premiers interpellent volontiers leur auditoire, l’invitent à chanter avec eux, vantent les mérites de leur compagnon ou de leur compagne présent dans l’assistance, demandent de leurs nouvelles aux gens qu’ils connaissent… Quant aux spectateurs, ils n’hésitent pas à faire part, à voix haute, de leurs commentaires et leurs souhaits, à fredonner les refrains les plus connus avec le chanteur, et, bien sûr, tapent dans leur mains lorsque la musique devient entraînante. On est ici entre amis, et entre gens qui communient, artistes et public confondus, dans l’amour des mêmes chansons.

chanteur2 A la fin du spectacle, je goute la joie d’une promenade dans les rues tranquilles du Vedado, sans une voiture pour troubler ma reverie nocturne, le long de magnifiques demeures coloniales largement séparées par de grands jardins luxuriants. Puis, je monte dans un taxi, qui fonce, à travers de grandes avenues grouillantes de vie, vers un Malecon noir de monde – on dirait que toute la jeunesse de la Havane s’est donné rendez-vous sous les étoiles cette nuit-là.

Toute ? Pas tout à fait, car mes voisins continuent de faire la fête. Eux aussi ont leur peña – mais une peña beaucoup familiale et populaire, où l’on laisse des jeunes enfants à la voix hésitante balbutier quelques paroles des Salsas les plus en vogue. Je suis un instant tenté de terminer là ma soirée, mais il est déjà 1 heures du matin, heure locale – soit 7 heures à Paris – et j’ai encore, si tout va bien, 60 articles à écrire d’ici la fin du séjour. Donc, au dodo, non sans avoir encore savouré quelques minutes, depuis mon balcon, les trépidations de la vie nocturne Havanaise.

Fabrice Hatem

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