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Mémoires de danse

Souvenirs de Prayssac

danseurs sallefete1 Par Fabrice Hatem, Août 2010

Aujourd’hui, j’ai retrouvé par hasard une photo de groupe d’un des premiers stages de Prayssac auxquels j’ai participé, il y a près de quinze ans de cela. Certains de ces amis sont morts, d’autres sont malades. Tous, à commencer par moi, ont pris un gros coup de vieux.

Décidément, il est grand temps d’écrire la mémoire de Prayssac, avant que cette mémoire ne nous quitte, emportée par le temps, la maladie, la vieillesse, et la mort.

Mais il ne s’agit pas pour de rédiger des mémoires « objectivistes » où les faits, les dates seraient rapportées avec la rigueur et la précision d’une recherche historique. Il s’agit, simplement, de mes souvenirs personnels, tels qu’ils ont été préservés, déformés, peut-être même inventés, par ma mémoire. Je ne veux vérifier aucun fait, aucune date, voire aucune anecdote, non par paresse, mais parce que je souhaite que ce texte ne reflète que ma vision subjective, personnelle, des choses tels que je les ai vues et vécues.

Cela fait un peu moins de quinze ans que je participe à ce festival. J’ai dû y aller pour la première fois en 1997, un an après avoir commencé le tango. Depuis, j’y suis retourné presque chaque année, ce qui fait que j’ai dû m’y rendre au moins dix ou douze fois. campagne2 Au fond, de toutes les expériences liées au tango que j’ai vécues – y compris mon rôle de rédacteur en chef de La Salida et mon grand voyage à Buenos-Aires en 1999 – celle-ci est sans doute la plus ancienne et la plus durable, celle qui a rythmé le plus régulièrement ma vie de tanguero.

J’y suis presque toujours venu par le train, depuis Paris. Au fil des ans, ce voyage est devenu pour moi une sorte de rituel, rythmé par des étapes bien précises : l’arrivée matinale à la gare d’Austerlitz et le petit café du réveil ; le départ dans les trains Teoz aménagés depuis quelques années de manière à la fois confortable et originale, avec plein de petits recoins agréables et inattendus ; le voyage vers le France profonde et la joie ressentie lorsque la vue du château de Gourdon perché sur une colline et de son drapeau rouge flottant dans le vent annonce que nous traversons le Périgord et que le but du voyage est maintenant proche ; l’arrivée à Cahors par une longue ligne droite à flancs de coteau surplombant le Lot.

Voici maintenanant le car pour Prayssac qui m’attend sur la place de la gare, marcheparayssac2 avec les premières retrouvailles avec quelques connaissances, stagiaires ou enseignants ; la traversée des vignobles du Lot, avec tous ces villages au nom cher à mon cœur : Albas, Pommarède, Castel-Franc… ; l’arrivée sur la place de Prayssac, avec ses cafés, son marché, sa maison de la presse et surtout sa statue du brave maréchal Bessières, que je ne manque jamais de saluer d’un discret, mais audible « Vive l’empereur » accompagné d’une esquisse de garde-à-vous ; le passage devant le petit hôtel « le Vidal » et son restaurant en plein air ; enfin, l’arrivée vers le bâtiment « Clair Foyer » – anciennement institut Alain de Solmignac -, qui sert d’internat technique secondaire pendant l’année, et qui accueille les stagiaires du festival de tango – ou plus exactement une partie d’entre eux.

C’est là, à l’arrivée, sur le perron d’entrée, que se font les premières véritables retrouvailles avec l’équipe d’organisation où se trouvent tant d’amis – Francine, Catherine, Pierre… – et avec les stagiaires habitués de la manifestation. Le temps de s’installer, de prendre un verre, de discuter avec quelques amis autour d’un apéritif ou d’un diner rapide, et me voilà déjà reparti, une ou heures plus tard, vers la salle des fêtes de Prayssac, où se déroulent les soirées de tango.

versstade Combien de fois ai-je parcouru le chemin qui va de Clair Foyer à la salle des fêtes ? Des centaines de fois, peut-être un petit millier. Il y a la rue bordée de petites villas dont l’une sert d’atelier à un peintre-ferronnier d’art ; il y a la traversée de la grande place aux marronniers ; il y a la toute petite rue conduisant à la route, où je ne manque jamais d’effrayer un ou deux chats qui grimpent se réfugier dans petit jardin odorant qui la borde.

Je débouche ensuite sur la route de Pommarède, qui longe le long bâtiment à moitié désaffecté nommé « collège d’Istrie », et dont la plus vieille partie abrita la naissance et l’enfance du futur maréchal Bessières ; puis je tourne vers la droite et me retrouve dans le grand espace découvert qui conduit à tous les lieux d’activité collective de Prayssac : la piscine, la salle des fêtes, les tennis, sur le côté le stade, et, tout au fond, le gymnase.

prayssaccafe Tous ces lieux sont pour moi fortement chargés de souvenirs. Dans ces différents endroits, j’ai aimé, souffert, travaillé, et bien, sur beaucoup dansé. J’ai été heureux et malheureux, j’ai écrit des livres d’économie et des articles de tango, j’ai fait des dizaines – non, plus d’une centaine – de conférences et de projections, j’ai pris des centaines d’heures de cours de danse, et j’ai même fait moi – même quelques démonstrations. J’ai marché et fait du vélo dans la nature, j’ai mangé dans des restaurants excellents et aussi dans quelques abominables gargotes, j’ai appris énormément de choses sur la culture du Rio de la Plata, sur l’économie du Lot et sur l’histoire de maréchaux d’Empire. Bref, j’ai bien vécu ici, de manière intense et fructueuse.

Par où commencer ses souvenirs ? Par la danse, par les rencontres, par les lieux, par toutes sortes d’expériences inattendues que j’ai connues ici ? Comment les organiser ? Par la chronologie, par les thèmes ? Eh bien, pour la première fois de ma vie, je vais écrire un texte sans faire de plan préalable, comme je l’avais appris à l’école. Je vais vagabonder entre mes souvenirs au fil des enchaînements d’idées, sans chercher à leur donner le moindre soupçon d’organisation.

artill2 Le premier souvenir qui me vient à l’esprit lorsque je pense à Prayssac n’a rien à voir avec le tango, mais avec une autre de mes passions : l’histoire napoléonienne et les collections de figurines militaires. Le troisième jeudi de juillet, se tient sur la grande place de Prayssac, à l’ombre de la statue du maréchal Bessières, une grande brocante. L’un des stands, tenu par un monsieur rondouillard d’une soixantaine d’années – enfin, c’est l’âge qu’il avait au début de ce siècle, lorsque j’avais moi-même 40 ans – est spécialisé dans la vente de figurines militaires.

Pendant des années, je suis régulièrement venu le voir tous les ans pour les acheter des petits soldats de plomb. J’attendais de moment avec impatience, plusieurs mois à l’avance, espérant retrouver là la figurine que j’avais finalement renoncé à acheter l’année précédente et dont l’absence dans ma collection m’avait semblé, au fil des mois, de plus en plus insupportable. En général, je la retrouvais et concluais avec lui d’autres affaires qui me permirent au fil des ans, d’acquérir un ensemble assez complet de figurines de marque MSHP, dont les positions sont directement inspirées du tableau de Lejeune représentant la bataille de la Moskova.

Une année – ce devait être vers 2004 – j’étais tellement passionné que j’avais apporté avec moi mes ustensiles de peinture, et que je passais des heures, dans ma chambre de l’Institut Alain de Solmignac, à peindre mes figurines plutôt que de prendre des cours, répéter la danse, ou écrire un livre d’économie.

berth4 Plus tard, lorsque ma collection a été à peu près terminée – mais un collectionneur termine-t-il jamais d’accumuler les objets de sa passion ? – Prayssac a été pour moi le théâtre d’une autre expérience. Très fier de ma collection, j’étais désireux d’en diffuser les images sur mon site web nouvellement créée. Mais quoi de plus ennuyeux que des images fixes de petits soldats de plomb, qui plus est souvent assez mal peintes – puisque par moi-même ? Il fallait donc la compléter par autre chose, mais quoi ? La description des uniformes ? Trop technique et, qui plus est, déjà facile à trouver sur le web. Un roman ? Long, difficile à écrire et peu commode pour mettre en scène ma collection, avec ses vides et ses trop-pleins.

Finalement, je résolus d’écrire de petites nouvelles, dont chacune me permettrait de présenter, via une mise en scène appropriée, une partie de mes collections. Mais comment inventer les sujets de mes histoires, dans leur nécessaire diversité ? Préoccupé, je commençais à en parler autour de moi, en particulier à mes partenaires de danse du stage de Prayssac. Et là, un miracle se produisit : plusieurs d’entre elles commencèrent à me raconter, spontanément, l’histoire Napoléonienne dont elles auraient aimé être l’héroïne. Impressionné par le jaillissement spontané de cet imaginaire, je commençais à essayer, systématiquement, de co-créer avec amies tangueras le scénario de nouvelles que je m’empressais ensuite d’écrire entièrement. Et c’est ainsi que mon stage de Prayssac se transforma en 2007 en un atelier d’écriture, dont le produit a largement alimenté les Chroniques napoléoniennes (du moins leur volet féminin) que vous pouvez lire sur mon site web.

attractivite D’une manière plus générale, Prayssac a pratiquement toujours représenté pour moi une sorte de retraite, un lieu, où, deux semaines par ans, je pouvais me mettre à l’abri des tracas quotidiens pour me livrer entièrement à ma passion du moment – qui avait toujours, de près ou de loin quelque chose à voir avec l’écriture. C’est à Prayssac que j’ai écrit un bonne partie de ma thèse de doctorat, en 2002. C’est à Prayssac que, l’année suivante, j’ai achevé la rédaction de l’ouvrage tiré de cette thèse, et publié chez Economica. C’est à Prayssac qu’en 2007, j’ai écrit une bonne partie de mes « Chroniques napoléoniennes ». C’est encore là que j’ai beaucoup avancé, en 2008 et 2009, dans la rédaction de deux rapports économiques destinés à l’OCDE. Et c’est là aujourd’hui, en 2010, que j’y écris … l’histoire de mes séjours à Prayssac.

anthol Beaucoup de ces travaux étaient évidement consacrés au tango. Tout d’abord, la préparation de mes conférences quotidiennes m’a souvent demandé beaucoup de temps et d’énergie, surtout pendant la première semaine du séjour, où prend forme leur contenu définitif. Ensuite, j’ai souvent utilisé Prayssac – surtout lorsque j’étais rédacteur en chef de la revue La Salida – comme une opportunité pour recueillir des matériaux – sujets d’articles, interviews, revues bibliographiques – et écrire des articles pour la Salida de la rentrée. Mais surtout, Prayssac a été, en 2004, le lieu où j’ai écrit l’essentiel de l’un des ouvrages dont je suis, encore aujourd’hui, le plus heureux et le plus fier : mon Anthologie du tango argentin, rassemblant les traductions de 150 tangos parmi les plus connus et les plus souvent interprétés.

villoldo1 La présence sur place de nombreux danseurs et musiciens argentins – ceux-là même qui animaient le stage – me facilita cet égard largement la tâche et fut l’occasion de passionnantes et fiévreuses discussion sur la signification d’un vers, la meilleur manière de traduire un mot, la recherche d’un équivalent français à une expression de lunfardo. Je me souviens en particulier d’une discussion particulièrement vive, entre les argentins eux-mêmes, sur le fait de savoir si les paroles de El Choclo de Villoldo ont ou non un double sens obscène (quand j’aurai précisé que « El Choclo » signifie en espagnol l’épi de maïs, tout le monde aura compris la nature de mes interrogations). Aujourd’hui encore, le débat n’est pas totalement tranché, même si personnellement, je penche plutôt pour le double sens.

La rédaction de cette anthologie ne fut pas sans influence, cette année-là, sur mes relations avec les danseuses. Comme vous le savez peut-être, les paroles de tango évoquent fréquemment les peines de cœur de personnages masculins. Celles-ci prennent trois formes essentielles : la trahison de la femme qui abandonne son compagnon d’autrefois pour un homme plus beau ou plus riche ; la fin de la relation amoureuses pour une raison autre que la trahison féminine, et souvent liée à une probable faute masculine ; enfin, le décès de la femme aimée par maladie ou par accident.

salida27 Comme j’étais profondément investi dans mon travail de traduction, mes attitudes vis-à-vis des danseuses changeaient selon la situation évoquée dans le poème que je traduisais ce jour-là : la femme avait-elle trahi ? Je devenais distant, voire un peu agressif, avec mes partenaires. Était-elle morte d’un inguérissable mal de poitrine ? Je demandais avec inquiétude des nouvelles de leur santé. Avait-elle disparu en raison d’une faute commise par leur amant ? Je m’assurais avec anxiété auprès d’elles que mon guidage les satisfaisait et qu’elles éprouvaient toujours autant de sympathie pour moi. Confrontées à une telle labilité d’humeur, plus d’une a dû me prendre pour un doux dingue. Mais enfin, six moins plus tard – au début 2005 je crois – l’anthologie était achevé, et elle se vend toujours assez bien, cinq années plus tard.

Bref, mis à part les tous premiers séjours où j’étais entièrement focalisé sur l’apprentissage de la danse et la participation, presque boulimique, aux cours de tango, Prayssac a toujours été pour moi le lieu d’une intense activité intellectuelle, d’abord centrée sur la préparation de mes conférences, puis élargie à des thèmes plus larges, liés ou non au tango.

calirfoyerfacade Il faut dire que le mode de vie pendant le stage se prête particulièrement bien à cela. Logé en chambre isolée à Clair Foyer – sauf l’année où, venant avec ma mère (en 1998, je crois), j’avais choisi d’habiter à l’hôtel « le Vidal » -, je peux trouver là un lieu confortable pour installer mes matériels – livres, DVD, ordinateurs, etc. – et une retraite tranquille pour travailler. Les repas, bien sûr, se font au réfectoire ou au restaurant, me libérant ainsi de ces préoccupations domestiques. Lorsque, dans le courant de la journée, je souhaite me détendre un peu, les cafés au centre du bourg, comme la piscine se trouvent à deux pas, et j’y rencontre presque toujours quelques amis avec qui parler agréablement. Enfin, lorsque vient l’heure de la danse, les cours et les milongas du soir sont également très proches.

repas solmignac Si j’ajoute que je peux également, si le cœur m’en dit, répéter ou faire de la gymnastique dans les salles de cours du rez-de-chaussée – dont l’une, destinée à mes conférences, m’est pratiquement réservée – vous comprendrez que je jouis à Prayssac de conditions de travail presque idéale – surtout depuis qu’un cyber-centre, installé dans la bibliothèque municipale depuis 2 ou 3 ans, offre un accès facile à toutes les ressources du web.

Le résultat, c’est que, certaines années – comme par exemple en 2010 – mon activité intellectuelle à Prayssac – qu’elle soit ou non orientée vers le tango – montait tant en puissance qu’elle prenait le pas sur la danse. En conséquence, je ne dansais pas plus – et parfois moins – à Prayssac qu’en temps normaux.

Une journée – type à Prayssac se déroulait ainsi pour moi de la manière suivante. Je me réveillai très tôt – parfois vers 6 heures du matin – et je commençais immédiatement à travailler après avoir bu – rite indispensable pour moi – un café. Je poursuivais mon travail jusque vers 9 heures, lorsque j’allais prendre mon petit déjeuner officiel et préparer les affiches de ma conférence du jour. Je les mettais ensuite en place et prenais – assez rarement – un cours le matin. Je profitais aussi de ces aller et venues pour lire mes e-mails dans une boutique d’informatique située à côté de l’église.

danseurssallefetes Puis je déjeunais, faisais une petite sieste et travaillais à nouveau pendant les première heures de l’après-midi. Rarement, je faisais un plongeon à la piscine et – les premières années seulement – allais faire une balade à pieds ou à vélo dans les environs. Puis je prenais un second cours et allais animer, à 19 heures, ma conférence quotidienne. J’allais ensuite diner et me préparais pour la soirée, où j’arrivais en général très tôt – pratiquement à l’ouverture. Et là, je dansais sans discontinuer pendant des heures.

jennifersite A Prayssac, j’ai dansé avec des dizaines – peut-être des centaines – de femmes différentes au cours de ces quinze années. C’était sans doute le lieu de tango où j’étais le plus aimé, le plus recherché, le plus complimenté pour ma danse. Inutile de vous dire, évidemment, que cela me plaisait beaucoup. Je regrette aujourd’hui de n’avoir pas gardé davantage de traces de toutes des partenaires qui m’exprimaient tant de désir et de plaisir à danser dans mes bras. Heureusement, je me suis un peu rattrapé en 2010, où j’ai réalisé une sorte de reportage vidéo sur mes partenaires préférées de l’année, accompagnées d’images de notre danse.

A Prayssac, j’ai aussi pas mal travaillé la danse et appris des choses sur le tango. Parmi les cours dont que garde les meilleurs souvenirs, je citerai les stages de milonga de Ricardo et Marisa dans les premières années, ainsi que, beaucoup plus récemment, les cours de technique homme de Mariano Galeano. Mais il y en a évidemment beaucoup d’autres, puisque j’ai dû suivre, au cours de ces quinze années de présence bi-hebdomadaire, et si mes calculs sont exacts, environ 50 stages différents (à raison de deux par semaines), de 7h30 chacun. Encore je tiens-je pas compte, dans ce calcul sommaire, de ma boulimie des premières années, ainsi que des stages d’hiver, environ deux fois moins nombreux puisque s’étalant sur seulement une semaine.

mariano Au total, nous devons donc frôler les 100 stages de 7h30, soit environ 750 heures de cours – disons 600 heures pour tenir compte des rares années d’interruption, ainsi que d’un absentéisme croissant au cours des toutes dernières années où je commençais à me lasser quelque peu des cours collectifs, dont je ressentais de moins en moins les bienfaits.

Au fil des années, cependant, mon mode de vie à Prayssac a évolué. Par exemple, j’ai progressivement arrêté de faire de grandes promenades pied ou à vélo, autour de Prayssac pendant mes heures de liberté. Je suis rentré me coucher de plus en plus tôt, en cessant de faire ces grandes promenades nocturnes d’après-milongas, avec contemplation de la Voie Lactée, que j’affectionnais tant les premières années. J’ai arrêté de faire du tourisme pendant le jour de liberté accordé aux stagiaires, le mercredi. J’ai, enfin, pris de moins en moins de cours, et, globalement, dansé moins longtemps chaque jour pendant les dernières années que pendant les premières.

cours Ces évolutions dans mon comportement sont-elles la marque d’un vieillissement ? Je ne le crois pas et préfère parler de maturation. Si j’ai progressivement arrêté ou ralenti un certain nombre d’activités de nature physique auxquelles j’aimais me livrer au cours des premières années, ce n’est pas en effet, je crois, parce que ma vitalité s’était réduite, mais parce que mes centres d’intérêt s’étaient déplacés. Une fois assagies ma première fascination pour la danse et ma boulimie de cours des premières années, une fois satisfaite ma curiosité pour les environs touristiques de Prayssac et de sa région, que me restait-il ? Une passion dévorante, plus violente chaque année, pour la production intellectuelle et, dirais-je, para-littéraire (articles et livres sur l’économie et sur la danse, conférences, etc.).

bal praysaacjour Je mentionnerai d’ailleurs à ce propos, que, de façon croissante avec les années, ma première semaine à Prayssac était largement chahutée par l’impact cumulés de derniers travaux d’économie à terminer (dont la participation fréquente à des conférences de presse, par téléphone ou même à Paris, ce qui m’obligeait alors à interrompre mon séjour pendant 24 heures, sur le dernier rapport auquel j’avais contribué) et des premières conférences à donner sur le tango. Dans ces conditions, je n’avais pas vraiment le temps, ni d’ailleurs non plus l’envie de flâner, pressuré comme je l’étais pas ces urgences multiples. Quant à la seconde semaine, elle était souvent influencée par la découverte émerveillée, au cours même du stage, d’un artiste – danseur, chorégraphe, musicien – sur lequel je m’empressais d’écrire un article, mobilisant ainsi beaucoup de mon énergie.

france J’ajoute que si j’ai pris moins de cours et moins dansé pendant les années les plus récentes, la qualité de ma danse, par contre, ne s’est pas (encore) détériorée. Au contraire, j’ai pu faire au cours des dernières années quelques petites démonstrations qui ont été bien accueillies, et dont je vous parlerai plus loin. Pour résumer cette évolution, je dirai qu’au fil des années, j’ai moins ressenti le besoin d’apprendre et de m’amuser, et davantage celui de travailler, de produire et de créer. Je ne crois pas qu’il s’agisse là – du moins pas pour l’instant – d’un signe de vieillissement, mais plutôt de maturation. Cette évolution en est d’ailleurs en quelque sorte normale si l’on pense que ma présence à Prayssac s’est étalée, grosso modo, sur ma quarantaine, c’est-à-dire sur la période de maturité de mon existence. Bien sûr, on peut craindre que le bilan des dix prochaines années, quand je le tirerai, soit quelque peu différent. Mais, pour l’instant, nous n’en sommes pas encore là.

Mais je m’aperçois que je n’ai encore parlé que de moi. Je n’ai pratiquement pas évoqué les très nombreuses personnes que j’ai rencontrées à Prayssac, les moments que nous y avons vécu en commun, tous les petits et grands souvenirs que nous y avons partagés.

lot1 Mais auparavant, je voudrais achever de fixer quelques éléments de décor en vous parlant des environs de Prayssac. Ce petit bourg est situé au cœur des vignobles qui s’étalent le long du Lot. La rivière elle-même étend ses sinuosités arborées dans une vallée relativement plate, d’une largeur – variable selon les endroits – de quelques kilomètres de part et d’autre -.

L’eau est de couleur verte, peut-être parce qu’elle reflète celle des grands arbres qui la bordent et offrent une ombre bienvenue et au promeneur ou au baigneur estival. La rivière, d’environ 50 mètres de large, coule dans un léger encaissement situé quelques mètres en dessous du niveau général de la vallée. Celle-ci est consacrée pour l’essentiel aux cultures agricoles – essentiellement vigne, avec également un peu de maïs. L’élevage est peu répandu.

village Le long de la rivière, on trouve plusieurs villages charmants, ou des maisons construites en pierre du pays – un matériau qui prend sous le soleil une belle couleur dorée – et couvertes de tuiles rouges s’agglutinent autour d’une vieille église, d’un vieux château, ou d’une tour à moitié en ruine. Certains villages, comme Albas, sont située sur un petit promontoire. D’autres, comme Castel-Franc, dans une boucle du Lot qui le borde donc des deux côtés. Certains bourgs, comme le pittoresque Puy-L’Evèque, étalent à flanc de côteaux un vieux quartier Moyen-âgeux. D’autres, comme Prayssac, occupent un site plus plat et sont aussi d’aspect plus moderne. On trouve également de nombreuses maisons isolées dans l’espace séparant deux villages : souvent d’anciennes fermes ou demeures de maîtres, ou encore des maisons de vignerons encore en activité, mais également quelques constructions plus récentes.

campagne A mesure que l’on éloigne de la rivière, on commence à pénétrer dans un univers de collines. La route se fait plus sinueuse, l’horizon se referme. Des deux côtés du chemin, les champs et les vignes font progressivement place aux bois. Au bout de la montée, l’horizon s’élargit au nouveau. On est maintenant au milieu des prairies (je crois que le sommet des collines est davantage consacré à l’élevage, en tout cas on n’y trouve plus de vignes), d’où l’on jouit souvent d’un très joli point de vue sur la vallée du Lot. On trouve aussi là, souvent situés sur de petites buttes, de très jolis villages, où il y a toujours quelque chose d’intéressant à voir ou à visiter : vieille église de Goujounac, Musée Zadkine des Arques…. Il y a également quelques beaux monuments isolés, comme l’impressionnant château de Bonaguil, de style Moyen-âgeux, mais qui, construit assez tard, n’eut jamais à subir aucun siège.

Lorsqu’on s’éloigne encore un peu plus, ou trouve, en amont, la belle ville de Cahors avec des murailles romaines, son vieux quartier entourant la cathédrale et débouchant sur le splendide pont de Valentré ; puis, encore plus haut, passées quelques grottes préhistoriques, le village de Saint-Cyr Lapopie, ensemble Moyen-âgeux juché sur un impressionnant promontoire surplombant la vallée du Lot ; plus loin encore, passé Figeac et les souvenirs de Champollion, on débouche, au détour d’un route en lacets serpentant dans une vallée de plus en plus encaissée, sur les verts et puissants moutonnements des montagnes d’Auvergne. Mais c’est une autre histoire…

maison Vers l’aval, la vallée s’élargit, tandis que l’on quitte progressivement le pays des vignes. On trouve encore de charmants bourgs, comme Villeneuve-sur-Lot et son château du 17ème siècle dont le belvédère offre une très jolie vue sur la rivière et sa vallée. Mais, de ce côté, lisez plutôt le guide Michelin, car je ne suis pas allé plus loin…

Je connais également assez mal le sud de la région, dans la direction de Toulouse. Mon seul souvenir clair dans cette direction est une visite faite avec ma compagne Mireille au village de Montcuc, où a vécu le chanteur Nino Ferrer. Je me souviens vaguement avoir dansé là avec elle un tango, assez applaudi, sur la place du village. Mais je déborde déjà sur le prochain chapitre…

Je connais un peu mieux le nord-est de la région, où j’ai fait plusieurs excursions. C’est un pays de causses plus arides, des plateaux d’où l’on a une superbe vue au loin sur … d’autres plateaux. Je me souviens avec émotion de ma visite à la Bastide-Murat, un village certes assez joli, mais dont le principal intérêt pour moi est d’abriter la maison d’enfance du grand maréchal éponyme, beau-frère de Napoléon. En poussant plus loin, on arrive à Rocamadour, mais, là aussi, je vous propose également de passer au guide Michelin, car nous avons dépassé les limites géographiques où se déroule mon histoire.

Ah oui, j’oubliais : en remontant directement vers le nord, entre Cahors et Brive, on trouve plein de petits bourgs absolument charmants, comme Gourdon ou Souillac, où sont réunis tous les ingrédients nécessaires à un tourisme intelligent : de vieilles maisons, des églises et des châteaux, des festivals estivaux de musique et de théâtre, des grottes et des zoos, des châteaux dominants de petits vallées, des fermes transformées en gîtes ruraux, d’excellent restaurants où l’on peut déguster foie gras et confits, etc.

Le décor est planté ; passons maintenant aux personnages, que je présenterai par grandes catégories de rôles.

francine Les premiers rôles reviennent bien sûr de droit à mes amis de l’association Le temps du tango, dont la confiance constamment renouvelée m’a permis de vivre cette longue expérience. Pour Marc, son président, j’ai éprouvé par moments des sentiments presque filiaux, tout en souffrant parfois de son caractère un peu tranché. Francine, son bras droit dans l’association, savait à cet égard merveilleusement arrondir les angles, et je la considère comme l’une de mes plus grandes amies.

pierre Pierre et Catherine n’ont toujours, me semble-t-il, considéré avec intérêt et amitié, et nous éprouvions toujours un plaisir partagé, je crois, à échanger de nos nouvelles respectives à l’occasion des stages où nous nous retrouvions régulièrement. Phillipe Fassier, notre photographe officiel, a toujours fait preuve d’une grande égalité d’humeur dans toutes les situations, et notamment à l’occasion des bouclages de La Salida, revue dont il assure le montage depuis des années. Luis Blanco, chercheur en chimie de profession, me fit l’honneur d’assister à ma soutenance de doctorat et discuta souvent avec moi de problèmes épistémologiques et de méthode concernant la recherche. Enrique, un franco-argentin travaillant comme traducteur à l’ambassade d’Argentine, m’aida énormément pour la finalisation de mon anthologie.

catherine Je pourrais citer bien d’autres de ces personnes aimées, comme Martine et Philippe, dont le petit garçon me surnommait « l’imprimante » du fait de mon habitude de saisir entre mes dents des feuilles de papier lorsque mes main étaient occupées à autre chose (par exemple à taper sur l’ordinateur) ; la charmante Peggy, très présente vers 2006 et 2007, mais qui depuis a quelque peu disparu de notre univers du tango ; Claudia Zelt et Birte Keller-Dandec, deux allemandes très proches de l’association "le temps du tango", installées en France depuis très longtemps, et toujours très souriantes et amicales avec moi ; les deux Claudes (mari et femme), qui furent longtemps membres du bureau de l’association Le temps du Tango; dans les premières années, Jérôme Lefevre, dont je reparlerai plus tard ; et beaucoup d’autres encore…

philippefrancine En second lieu, il yavait les professeurs de danse et les musiciens, mais je dois avouer que, dans l’ensemble, je n‘ai pas noué avec la plupart d’entre eux des contacts très étroits. Mon élan d’affection initial pour ces porteurs de la culture tango s’était en effet heurté à plusieurs reprises, au cours des premières années de cette passion, à quelques désillusions douloureuses. J’avais donc résolu de prendre une certaine distance avec ce milieu, avec lequel ma seule (mais oh combien fréquente et enrichissante !!!) forme de contacts fut liée aux innombrables interviews et reportages que je réalisais pour le magazine La Salida. La bonne connaissance des artistes de tango se limita donc à une démarche de type intellectuelle et esthétisante, l’aspect humain et amical se trouvant par contre un peu négligé.

ricardo calvo La liste de mes « amis » artistes est donc assez brève, contrastant en cela avec mon abondante production d’articles sur eux au cours de ces années. Je citerai cependant Ricardo et Marisa, longtemps piliers des stages organisés par Le Temps du Tango, et qui m’ont appris énormément sur la milonga ; Leo Calvelli, qui me traitait toujours avec attention et gentillesse ; Claudio et Pilar, un couple d’enseignants et de danseurs hors pair, et en plus sympathiques et faciles d’accès, et qui s’étaient gentiment moqués de moi quand j’avais expliqué que je voulais ressembler à un tigre quand je dansais le tango (depuis ce moment, Diego se mettait à rugir chaque fois qu’il me voyait en disant . «Aqui es el tigre ! ») ; Diego Ocampo, qui est aussi un grand ami de ma femme Mireille ; Imed Chemam, un homme d’une très grande chaleur humaine dont j’ai longtemps suivi l’enseignement à Paris ; Pablo Tegli, qui aimait bien jouer aux échecs avec moi ; Miguel Gabis, avec lequel j’ai des origines communes et qui m’a toujours traité avec une grande gentillesse ; Berrnado Nudelmann,pilar animateur du site Musicaargentina.com, avec lequel j’ai toujours d’intéressante et joviales conversations entre deux achats de DVD ; Guy Marrec, avec lequel j’ai fait une amusante démonstration improvisée de milonga en 2007 ; plus récemment Mariano Galeano, pour lequel j’ai ressenti une sympathie je crois partagée et qui m’invitait volontiers à jouer au ping-pong avec lui.

C’est assez court, je le reconnais, pour quelqu’un, qui, en tant que rédacteur en chef de la revue La Salida, a été littéralement immergé dans ce milieu pendant près de dix ans. Mais, pour en savoir davantage sur la plus grande partie des autres, il suffit de consulter les archives de la Revue, où sont regroupés de centaines d’articles dont je suis, pour une bonne part, l’auteur.

Troisième catégorie, également relativement peu représentée dans mon souvenir : les habitants de Prayssac, que je retrouvais régulièrement d’une année à l’autre.  francin et martine Parmi ceux-ci, se détachent notamment les figures de Martine et de son mari, joviaux propriétaire de l’hôtel le Vidal, qui, année après années, nous accueillaient – et nos accueillent toujours – avec chaleur et bonne humeur, tout en nous faisant profiter de leurs talents gastronomiques. Ils ont vendu depuis quelques années l’hôtel, mais restent les traiteurs attitrés des fêtes de fin de festival.

Je voudrais aussi mentionner tous ceux qui ont accueillirent si gentiment, efficacement et simplement à l’Institut Alain de Solmignac, devenu depuis quelques années, après la faillite de celui-ci, le collège professionnel « Clair Foyer ». A l’occasion de cet événement malheureux, l’ancienne équipe de l’institut – qui assurait également notre accueil l’été – perdit malheureusement son travail. Ils furent remplacés, pour ce qui nous concerne, par une équipe de semi-bénévoles, « Prayssac Accueil », sans la mobilisation desquels le festival n’aurait sans doute pas pu survivre à la disparition de l’institut.

levidal Je me souviens notamment d’une intéressante conversation avec le cuisinier de l’ancien institut, qui par ailleurs nous préparait d’excellents repas à base de gastronomie locale. Selon lui, la cuisine française souffrait d’un handicap compétitif majeur par rapport à ses concurrentes italienne, chinoise ou américaine, dans le contexte d’une globalisation des marchés culinaires. Elle exigeait en effet de très longs temps de préparation et une main d’œuvre abondante, ce qui en faisait considérablement gonfler les coûts salariaux et donc les prix de vente. Notre maître-cuisinier cherchait donc à mettre au point des recettes permettant, tout en conservant la qualité gustative de la gastronomie française, de réduire les temps de préparation : Je ne sais quel a été finalement le succès de ses tentatives, puisque je l’ai perdu de vue après la faillite de l‘institut qui l’employait.

Parmi les autres figures dont je me souviens, il y avait, entre autres, le sympathique maître-nageur de la piscine municipale, qui adorait me questionner sur le tango, mais me donna également de précieux conseils de natation ; la boulangère à la peau café au lait et à l’air un peu triste, chez qui j’allais régulièrement acheter un gâteau sur le coup de quatre heures – c’était avant que je n’entreprenne un strict régime – et dont la boutique a fermé en 2009 ; la professeur de musique qui me prêtait sa salle quand j’avais encore l’espoir d’apprendre à bien jouer du piano – c’était avant 2001 – et que j’en faisais parfois plusieurs heures par jour ; les patrons du restaurant le Bahia, hôtes si accueillants pour mes sessions improvisées de salsa pendant les repas ; le gérant de la boutique de dépannage informatique chez qui j’allais consulter mes e-mails avant que ne s’ouvre le cyber-centre public … Et quelques autres moins présents dans ma mémoire. lea

Mais les personnes les plus nombreuses dans mon souvenir sont évidemment les stagiaires du festival, et notamment les innombrables femmes que j’ai tenues dans mes bras avec un plaisir que j’espère partagé. Je cite, en vrac, quelques noms qui me viennent à l’esprit : Cathy (de Marseille), Danielle (du Mans) Perrette, Silvina, Lea, etc. Mais, plutôt que de citer une interminable liste de prénoms peu évocateurs pour le lecteur, mieux vaut peut-être suggérer à celui-ci la lecture de deux ensembles de documents qui présentent ces personnes de manière plus approfondie – quoique, dans de nombreux cas, totalement retravaillée par l’imagination.

jal20 Le premier est constitué de mes « Chroniques napoléoniennes » : la quasi-totalité des personnages féminins qui les habitent sont issues de mes rêveries en commun avec des amies tangueras, qui ont eu lieu dans leur majorité à Prayssac. Le second est simplement l’article que j’ai écrit sur mes danseuses préférées du festival « Prayssac 2010 », dont je connais la plupart depuis plusieurs années. Je regrette d’ailleurs de ne pas avoir commencé plus tôt à me livrer à cet exercice – mais il est vrai aussi que les nouvelles technologies – vidéo et photo numérique, logiciels de montage vidéo et de traitement d’image internet et réseaux sociaux virtuels, systèmes de stockage et de diffusion sur internet des contenus audio-visuels, blog et sites web, etc. – ont considérablement facilité ce type de démarche.

coupledanseursallefetes Maintenant que les personnages et les lieux ont été décrits ou plutôt esquissés, il me reste à vous raconter quelques anecdotes qui les mettent en scène. Je le ferai de manière volontairement succincte et allusive, sans rentrer dans le détail des situations. Je les organiserai aussi autour de quatreprincipaux thèmes : les balades, randonnées et autres périples ; les moments de charme à Prayssac même ; mes prestations artistiques et culturelles (conférences, démonstrations de danse…) ; enfin, ma propre vie de stagiaire au sein du festival.

Je commencerai par ce dont je suis évidemment le plus fier : ma contribution intellectuelle et artistique à la vie du festival. C’est un rentrant d’un long séjour en Argentine, en 1999, que j’avais proposé à l’association d’animer des conférences aux cours des stages d’été et d’hiver. Ma première série de prestations, d’ailleurs, n’eut pas lieu à Prayssac, mais à Keralic, en décembre 1999, avec d’ailleurs un franc succès qui assura la pérennité de l’opération.

salida36 Pendant les premières années, la préparation de ces conférences a constitué pour moi un travail important, d’autant que je cherchais alors à chaque fois à renouveler mes sujets. Cet effort a largement contribué, via des lectures et recherches approfondies, à enrichir ma culture tanguera. A cet égard, l’exercice était fort complémentaire de la rédaction d’articles pour La Salida. Dans ce dernier cas, la qualité de la forme écrite constituait l’objectif essentiel ; pour mes conférences, au contraire, il fallait également accumuler un important matériau audio-visuel, et l’utiliser de manière vivante au cours des exposés pour ne pas lasser l‘auditoire.

A Prayssac, mes conférences se déroulaient dans une salle de classe du rez-de-chaussée de l’institut Clair Foyer, un lieu austère qui sans être inconfortable, ne présentait aucun charme particulier. Il fallait vraiment être un « mordu » de la culture tango pour renoncer à l’apéro du soir sur la place du village, pour s’enfermer entre 19 et 20 heures dans cette pièce au sol de linoleum aux fenètres aux cadres en inox, et s’asseoir sur une chaise d’écolier pour écouter, tous volets clos, un conférencier parler de l’utilisation de la métaphore dans la poésie de Homero Manzi !!!

C’est sans doute pour cela que j’ai toujours eu moins de monde, en moyenne, à ces conférences de Prayssac qu’à celles de Keralic, où le froid et la proximité – tous les stagiaires sont réunis au même endroit alors qu’à Prayssac, ils sont dispersés, parfois même assez loin du bourg – me garantissaient en quelque sorte une clientèle captive. Mais enfin, j’avais quand même du monde : dix à quinze personnes en moyenne, avec des « pics » à l’occasion d’événements exceptionnels – par exemple la venue d’un professeur ou d’un musicien pour parler de son travail – et des creux un peu imprévisibles, liés au temps (je hais le soleil d’été) ou à un sujet trop ardu ou mal annoncé.

J’étais les premières années très anxieux quant au niveau d’audience de mes conférences : un public clairsemé provoquait en moi une montée d’anxiété et de sentiments dépressifs ; un public nombreux me mettait au contraire d’excellente humeur pour 24 heures. Mais je dois dire que cette anxiété s’est largement apaisée depuis quelques années et que je considère désormais avec un certain détachement philosophique les variations aléatoires du nombre de participants, même si une salle bien pleine me réchauffe toujours le cœur.

manzi1 Parmi les « cycles » de conférences dont je suis le plus fier, je mentionnerai celui consacré aux poètes de tango, qui rencontre toujours un bon succès auprès des stagiaires désireux de comprendre les paroles des chansons sur lesquelles ils dansent ; celui consacré aux grands orchestres et aux styles musicaux, qui me demanda un énorme effort de préparation sur un sujet ardu dont je n’étais pas familier ; ceux sur le cinéma, les grands spectacles de tango et les grands danseurs, qui me permit de recueillir une importante collection de documents audiovisuels. J’ai évidemment soigneusement gardé trace de tous ces travaux, que j’ai d’ailleurs en partie postés, lorsque leur forme s’y prêtait, sur mon site web, et qui ne sont fort utiles aujourd’hui lorsque je suis sollicité pour une prestation impromptue.

troilo3 Quant aux anecdotes personnelles, j’en citerai une qui m’est particulièrement chère, même si elle ne se déroula pas à Prayssac, mais à Keralic : c’était à l’issue d’une conférence sur Homéro Manzi. J’étais resté seule avec une danseuse, qui par ailleurs fut l’inspiratrice de ma nouvelle napoléonienne Une romance au camp de Boulogne. Nous écoutions de vieux enregistrements de Goyenenche chantant Manzi, accompagné par l’orchestre de Troilo. Son interprétation de Sur – que pourtant j’avais déjà entendu des dizaines de fois – nous émut tellement que nous en pleurâmes d’émotion, tous les deux en même temps.

Autre anecdote – qui est d’ailleurs plutôt une observation d’ordre général – : reconnaissants de mes prestations, désireux de manifester leur amitié pour moi, plusieurs participants m’offrirent au fil des années des documents divers – CDs, DVDs, enregistrements de film ou d’émissions, livres – qui vinrent enrichir mes collections et me permirent également d’étendre, sans trop d’efforts, la liste des conférences que je suis susceptible de réaliser de manière impromptue. Ma réputation – largement usurpée – d’érudit me permit ainsi d’attirer, comme un aimant, les bases documentaires de l’érudition, et de cultiver ainsi l’illusion de celle-ci auprès de ceux-là mêmes qui l’alimentaient et l’accroissaient par leurs cadeaux.

sallefetes Sans être un danseur hors pair, j’ai tout de même atteint au cours de toutes ces années de pratique un niveau de tango convenable, qui m’a permis de me produire en public sans trop de honte en plusieurs et même en de multiples occasions. Certaines d’entre elles sont liées aux festivals du temps du tango, Ainsi en est-il de ma prestation de Cayengue avec Brigitte Hilairet à Keralic en 2007, de ma milonga improvisée avec Guy Marrec à Prayssac en 2007 ; ou encore de la démonstration que nous fîmes avec ma compagne Mireille le jour d’ouverture du festival de Prayssac en 2003. Ayant déjà raconté dans d’autres articles les circonstances de ces différentes prestations, je ne me répéterai pas et invite le lecteur à se référer aux documents indiqués en lien.

sallefetesdespedid A Prayssac, l’une de mes activités les plus régulières – comme c’est d’ailleurs également le cas pour la plupart des autres stagiaires – consiste à aller danser le soir à la salle de fêtes. Il s’agit d’un grand bâtiment, figure de proue du complexe sportif et de loisir du bourg, situé un peu à l’extérieur de celui-ci, dans l’ancien quartier dit « des Garabets » sur la route de Niaudon. Depuis sa réfection (en 2006, je crois), il ressemble à une sorte de paquebot aux lignes arquées, toutes habillées de métal.

A l’intérieur, se trouve une immense piste de danse, entourée, sur trois côtés, de tables et de chaises, et bordée, au fond, par une grande scène de spectacle. J’y arrivais tôt, y dansais, presque sans discontinuer, pendant plusieurs heures, et partais également relativement tôt de manière à ne pas compromettre ma matinée de travail du lendemain.

publicsallefetes Les seules variantes à ce programme immuable – et quelque peu lassant par sa répétitivité sans but, surtout en fin de stage et pendant les dernières années – furent : 1) les quelques massages de pieds que je proposais à mes amies danseuses en fin de soirée – proposition qui d’ailleurs suscitait auprès de beaucoup d’entre elles, fatiguées par plusieurs heures de danse, un enthousiasme sans ambiguïté ; et 2) l’activité de prises de vue (photos, vidéos) que j’ai développée depuis 2010, passion nouvelle qui m’a en partie détourné de mon obsession compulsive pour la danse. Par contre, je m’aperçois rétrospectivement que j’ai très peu cherché à parler avec les autres, y compris avec mes partenaires les plus proches, signe supplémentaire d’un caractère, sinon a-social, du moins fortement introverti ou auto-centré, comme vous voudrez.

orchestre Le jeudi, les soirées étaient précédées d’un concert donné par l’orchestre présent cette année-là au festival. Elles se passaient le plus souvent à la salle des fêtes de Puy-l’Evèque. Celle-ci est située sur la rive gauche du Lot, en face de la vieille ville qui, perchée sur un contre-fort de l’autre côté de la rivière, la domine de ses vielles pierres. Elle est plus spacieuse et plus moderne que celle de Prayssac. La piste de danse y est installée dons une sorte de petite fosse, surplombée, sur trois de ses côtés, par des chaises et des tables, et sur celui du fond, par la scène de spectacle. J’y ai souvent eu le sentiment de bien danser, peut-être parce que l’espace disponible était propice au bon développement du mouvement.

praysacplacegens A Prayssac, j’ai aussi passé d’agréables moments de détente avec mes amis. Je citerai, en vrac et sans trop détailler : mes rêveries des premières années sous les étoiles, allongé dans les champs au sortir de la milonga du soir ; les après-midis dans le charmant jardin intérieur de l’institut de Solmignac, dont les beaux arbres ont malheureusement été coupés ; les déjeuners et les parties de campagne le mercredi – jour de congé du stage – d’abord dans la belle maison de Marc, puis plus tard, au gîte de la Bastide, avec son grand jardin et son agréable piscine ; les déjeuners gastronomiques à Goujounac, Prayssac ou Puy-l’Evèque (dans ce bourg, se trouve un restaurant situé sur un surplomb impressionnant au-dessus du Lot, et où l’on se restaure sous le regard des oiseauxchateau en plein vol) ; les pique-nique au bord du Lot avec Mireille, sur une pelouse ombragée en contre-bas du camping de Prayssac ; les promenades en canoé sur le Lot ; l’amicale soirée de tango improvisé à Goujounac, en compagnie de Jérôme Lefevre et Christine, une sympathiaue comédienne canadienne qui donnait là un spectacle de théâtre auquel nous étions venus assister ; et j’en passe quelques autres…

Enfin, Prayssac est associé au souvenir des très nombreuses balades, randonnées et autres périples touristiques réalisés dans les environs : les longues courses à vélo des premières années, le long du Lot et dans les collines ; les excursions dans les environs : Gourdon, Souillac, Cahors, Bonaguil, Saint-Cyr-Lapopie, Murat, Rocamadour, lieux dont j’ai praysaacjourpierredj déjà parlé plus haut ; les départs en voiture avec Mireille, à la fin de plusieurs festivals, pour un périple à travers l’Auvergne et jusqu’à la maison de son père en Bourgogne…

Voila, ces souvenirs sont terminés… pour l’instant. Mais s’il y a une chose à laquelle je suis bien décidé, c’est à ne plus laisser filer la vie et l’amitié sans en conserver trace. Et je jure, si l’occasion m’en est encore donnée par la providence et par les hommes, de recueillir comme un trésor le souvenir de ces merveilleux moments de bonheur partagés en les filmant, en les photographiant, et en en conservant aussi la mémoire écrite.

Fabrice Hatem

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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