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Musique et musiciens cubains

Les six piliers de la musique populaire cubaine (Entretiens avec Yaima)

Par Fabrice Hatem

L’un des objectifs de mon voyage à Cuba, à l’automne 2010, était de m’initier à l’histoire de la – ou plutôt des – musiques cubaines populaires. Dans ce but, j’ai beaucoup lu, beaucoup écouté, j’ai activement cherché des cours de musicologie pour débutants… Et j’ai finalement eu la chance de rencontrer Yaima à la Casa de la Trova à Santiago de Cuba.

xyaima Yaima est chanteuse de Trova contemporaine. Son large répertoire comprend à la fois des morceaux cubains anciens aux arrangements modernisés, des chansons venues d’autres pays d’Amérique latine, et des compositions récentes, dont beaucoup ont été écrites par les membres de son Trio Eroshay.

Mais elle est également professeur de chant et enseigne la musicologie. Elle a accepté de me transmettre son savoir sur l’histoire et les formes de la musique cubaine en répondant à mes questions au cours de plusieurs longs entretiens dont je vous livre ici le contenu[1].

Quels sont les principaux genres de la musique populaire cubaine ?

Cette musique est fondamentalement issue de la convergence de traditions africaines et espagnoles. Elle se divise selon moi en six genres principaux (voir tableau) : Le Punto, le Son, la Canción, la Rumba, le Danzón et les musiques de rue[2]. Chacun de ces genres comporte lui-même de nombreuses sous-catégories et s’est développé selon une dynamique propre, quoiqu’en interaction avec les autres.

FH. Qu’est ce que le Punto Cubano ?

xpunto Y. On peut le définir comme « une musique chantée accompagnée par des instruments à cordes pincées, issue de la tradition espagnole, mais développée ensuite comme une modalité expressive propre à Cuba, notamment dans les zones rurales où elle est d’abord apparue ». Ce style est en effet directement issu des musiques et des chansons apportées par les propriétaires terriens venus d’Espagne avec leurs guitares, leurs laúds et leurs banduras. Puis le répertoire a progressivement évolué pour intégrer des éléments autochtones (y compris quelques paroles d’origine africaine) tout en prenant des formes différentes selon les régions.

L’arrivée du Punto à Cuba est aussi ancienne que celle des premiers conquistadores Espagnols. Mais son véritable développement se fait à partir du XVIIIème siècle, lorsque commence vraiment la colonisation de l’île. D’origine d’abord rurale, il s’est ensuite urbanisé. Les propriétaires terriens, qui cultivaient la canne à sucre ou le café, avaient en effet une maison à la campagne et une autre en ville; Ils allaient et venaient entre les deux dans leurs calèches. En ville, ils allaient au théâtre, où ils aimaient entendre leur musique campagnarde. Cela a favorisé la migration du Punto dans les zones urbaines.

Le Punto prit des formes différentes selon les régions. Dans la partie occidentale de l’île (région de la Havane), s’est développé le Punto libre, avec une musique lente, qui suit le rythme du texte, et peut s’étirer vers la fin. Dans d’autres régions, notamment au centre de l’île, s’est créé le Punto fixe, dont le rythme est invariable. On trouve une autre variante du Punto dans la région de Sanctu Spiritu (par exemple à Trinitad), qui s’appelle pour cette raison Punto espiritiano. On peut également mentionner la Seguedilla, chant organisé autour de vers de dix syllabes, qui s’interprète sans intermède instrumental. D’où le nom de Seguedilla, qui signifie « seguir (« suivre » en français). Enfin, la Controversia est une sorte de joute oratoire entre deux chanteurs autour d’un thème donné, où l’on cherche à déstabiliser l’adversaire par une éloquence supérieure.

Le rythme du Punto cubano peut être ternaire (comme le fameux Yo soy el punto cubano), ou binaire (comme la Guajira la plus célèbre, Guantanamera). On peut lui rattacher deux autres grands styles chantés : la Guaracha et la Guajira.

xguajiros La Guaracha est une danse latino-américaine apparue au XVIIème siècle. Son nom viendrait de celui d’une sandale d’origine mexicaine que portaient les soldats espagnols qui la dansaient. A Cuba, elle désigne des chansons aux paroles satiriques, picaresques, au style allusif et à double sens, comprenant une alternance de strophes et d’un refrain. Dans le théâtre-bouffe, on utilisait la Guaracha pour accompagner de petites saynètes.

La Guaracha s’interprète sur un rythme très rapide, sur une mesure à 2/4. Elle était à l’origine caractérisée par une forme binaire A-B. Dans la partie A, on trouvait l’exposition chantée du thème. Dans la partie B, apparaissait un chœur qui chantant une phrase répétitive qui commentait la partie A et en tirait des enseignements. Cette structure s’est progressivement allongée au cours du temps (A-B-A-B…) sans toutefois trop se complexifier.

La Guajira (« paysanne ») est un genre musical originaire de la région orientale de Cuba. C’est une chanson traditionnellement accompagnée par une guitare ou un tres, qui utilise un rythme lent (en 4/4) proche du Son Cubain. Parmi les titres les plus connus de Guajira, on peut citer Chan Chan, Guantanamera ou El Carretero.

FH. Qu’est-ce que le Danzón ?

Y. Le Danzón est le descendant direct des danses européennes anciennes comme les contredanses, qui arrivèrent à Cuba avec les colons Espagnols puis Français (à la fin du XVIIIème siècle). Le premier Danzon, Las Alturas de Simpson, a été créé en 1877 par Miguel Faílde, qui avait déjà fait auparavant plusieurs tentatives moins abouties en ce sens.

xdanzon1 Le Danzón est une musique fondamentalement instrumentale. Il peut parfois comporter un petit refrain (deux vers) comme dans La Reina Isabel ou Bodas de oro, mais pas de chanson. Il se joue sur un rythme très proche de celui de la Habanera. Au début ses structures étaient assez courtes, de type A-B-A-B puis A-B-A-C, avec une partie introductive. Elles se sont progressivement complexifiées, avec l’apparition de la forme Rondo A-B-A-C-A-D-A, qui va elle-même par la suite évoluer puis disparaître (concaténation des sections). Un style plus tardif, appelé Danzonette, comporte une partie chantée.

Le Danzón est à l’origine une danse assez chorégraphiée, où plusieurs couples interprètent ensemble des figures convenues à l’avance. Son rythme est très lent, comme si il était dansé par des personnes âgées. Les pieds glissent sur le sol avec des petits pas et une pause sur le premier temps. La femme est habillée avec une jupe large, une blouse et un éventail. Dans certaines parties de la danse – notamment vers le milieu de celle-ci – les danseurs miment une conversation en agitant ces éventails.

xdanzon2 Il existe des similitudes forte entre le Danzón et le Son. Par exemple, tous deux se dansent à contretemps (contrairement à la Salsa, qui se danse sur le temps). Mais le Danzón apparaît davantage comme une danse de salon « cultivée », qui peut éventuellement être interprétée par de grands orchestres (Típicas ou même symphoniques). Le Son est plus populaire, et est généralement joué par des formations de taille réduite.

Le Danzón a été officiellement désigné comme la danse nationale de Cuba dans les années 1940, à l‘époque de sa splendeur. Mais il n’est plus aujourd’hui dansé que par des gens âgés dans quelques clubs isolés. Quant à sa musique instrumentale, elle est surtout présente dans le répertoire des bandas (fanfares) qui jouent dans les parcs et lieux publics. Bref, ce style a été quelque peu marginalisé.

Le rythme un peu lent et la forme un peu rigide du Danzón ont en effet entraîné son déclin à partir des années 1950, car il n’était plus adapté aux goûts du public. Surgirent alors le Mambo et le Cha-cha-cha, dont on peut dire qu’ils sont ses descendants directs. Le morceau La engañadora (1949), de l’orchestre de Enrique Jorrín, peut être considéré comme le premier Cha-cha-cha. Le Mambo a été créé par Orestes et Israel López et a connu ses premiers grands succès au Mexique avec l’orchestre de Pérez Prado.

Qu’est-ce que la Rumba ?

xrumba0n Le terme Rumba est vraisemblablement dérivé de plusieurs paroles d’origine afro-américaine, comme la Tumba, le Macumba et d’autres, toutes évoquant des pratiques de fête collective. Il s’agit d’un mode d’expression typiquement cubaine, liée à l’apparition, à la fin du XIXème siècle, d’une nouvelle catégorie de population d’origine africaine, mais de langue espagnole.

La Rumba, en effet, naît et se développe vers la seconde partie du XIXème siècle dans les quartiers pauvres suburbains. La population, essentiellement composée de Noirs récemment libérés de l’esclavage, s’y entassait dans des solares, taudis surpeuplées où chaque famille occupait une pièce avec une entrée commune. Cette population commença alors à pratiquer dans différents lieux de réunion, y compris dans la rue, une nouvelle forme de divertissement en collectivité : la Rumba, danse dérivée à la fois des traditions espagnoles et africaines.

Les instruments étaient au début très simples. Les gens tapaient avec des cuillères, des fourchettes, sur les bouteilles, sur les meubles ou sur des grandes caisses destinées à contenir des morues xrumba1 ou boîtes plus petites pour les bougies. Les mains du chanteur pouvaient aussi faire office d‘instrument de percussion. On utilisa plus tard les clave, les tambours (quinto et tumbadoras). Aujourd’hui, l’orchestre de Rumba est composé de trois chanteurs, de percussions (trois tambours, claves, etc.), auxquels s’ajoutent, parfois, des cordes (guitare).

Il existe différents styles ou variantes de la Rumba : Columbia, Yambú, Guaguancó.

Selon la version la plus communément admise, la Columbia serait née dans la région de Matanzas, dans un petit hameau appelé Columbia (certains évoquent également le nom d‘un autre village, Sabamilla). Pendant leur temps libre, les coupeurs de canne à sucre se réunissaient et pratiquaient cette danse. Celle-ci est exécutée par des hommes seuls, qui font des acrobaties compliquées sur le rythme du tambour aigu, appelé quinto, démontrant ainsi leurs capacités physiques.

La chorégraphie du Yambú est un peu plus simple et s‘effectue sur un rythme plus lent que la précédente. Il s’agit d’une danse de couple, où les danseurs mâles imitent – entre autres – la démarche et les mimiques d’hommes âgés tentant de séduire leur partenaire.

xrumba2 Le Guaguancó naît dans les faubourgs pauvres de la Havane et de Matanzas. Son rythme est plus dynamique, rapide, que celui du Yambú. Le chanteur fait un exposé parlant d’un thème, d’un événement, accompagné de trois tambours : Quinto, Salidor, Repicador. Le plus aigu est le quinto, le plus grave est le Salidor qui soutient le tempo avec les trois coups qui créent la base sonore. Le tambour medio ou Repicador établit un dialogue avec le Quinto. Le joueur de Quinto doit improviser chaque fois de manière différente, avec une exécution impliquant des changements de rythme et de tempo. Le danseur mâle tourne autour de la danseuse, en tenant de prendre symboliquement possession d’elle par des mouvements en direction de son pubis (vacunao).

On peut aussi mentionner dans cette rubrique l’existence des coros de claves, groupes de personnes qui chantaient dans la rue sur des rythmes de Rumba en s’accompagnant d’instruments de percussion. Il s’agit d’une pratique liée aux groupes de congas (danses collectives d’origne africaine), apparue au début du XIXème siècle.

Qu’est-ce que la Canción et la Trova ?

xsanchez La Canción cubaine est apparue dans les années 1840 sous forme de petits textes lents au registre mélodique et poétique très limité, accompagnés par la guitare et inspirés des chansonnettes espagnoles ou africaines. Ces textes pouvaient parler d’amour, dans une tonalité souvent triste et nostalgique, mais aussi évoquer des sentiments patriotiques. En effet le développement de la Canción Cubana est concomitant de celui du mouvement indépendantiste qui va nourrir ses thématiques. Beaucoup de chansons anciennes, comme La Bayamese ou Pobre Cuba, parlent de l’oppression espagnole, de la lutte pour l’indépendance. Ces chansons ont également été intégrées dans des Saynètes, des Zarzuelas, de petites pièces de théâtre ou d‘opéra.

Puis on rentre, vers la fin du siècle, dans l’époque de la chanson trovadoresque, c’est-à-dire – étymologiquement du moins – interprétée par des chanteurs itinérants accompagnés de leur guitare. Dans ses formes plus évoluées et/ou tardives, elle prend la forme d’un duo de chanteur (le premier, à la voix plus aigue, le second à la voix plus grave), s’accompagnant de leurs guitares respectives, avec éventuellement ajout de quelques percussions (claves, bongo). Le répertoire de la Trova est composé essentiellement de Boléros, de Sons, de Puntos, de Guarachas, de Habaneras et de Guajiras[3].

Dans les années 1840, on trouvait déjà à Santiago de Cuba des trovadores dans le quartier français de Tivoli et autour de la place de Marte. A Tivoli, se trouvait un café appelé « Café concert », ainsi qu’un théâtre-bouffe du côté de la rue San Tomas. Les habitants d’origine française y allaient écouter les chanteurs trovadores.

xsaquito Juan Emil Pandero est le premier trovadore cubain sur lequel on possède des informations. Il aurait vécu dans la seconde moitié du XIXème siècle. Il était aussi boulanger. Il s’accompagnait avec une guitare ou pandereta (petit instrument de percussion). La légende dit qu’il fut envoyé en prison pour avoir tué en duel un mari dont il avait séduit la femme, et que, condamné à mort, il dut fuir le pays pour échapper au dernier moment à l’exécution.

Mais c’est au cours des années 1880 que ce style prend véritablement son essor, avec la création en 1883 du premier Boléro, Tristezas, par Pepe Sánchez (voir photo ci-dessus, en début de section). Celui-ci a été un précurseur de la Trova cubana. Il a, comme le métis Ivonnet, un autre grand Trovadore de la même époque, lutté pour l’indépendance et a été proche d’Antonio Maceo. Ses autres œuvres marquantes incluent notamment Rosa n°1, Rosa n°2 et Rosa n°3.

Parmi les autres grands noms de la Vieja Trova, on peut citer : Ramón Ivonnet, Alberto Villalón Morales, Manuel Corona, Rosendo Ruiz, José Chicho Ibáñez, et bien sur Sindo Garay. Celui-ci, élève de Pepe Sánchez, a écrit des thèmes célèbres comme Perlas marinas ou Las amargas verdades, ainsi que des chansons patriotiques.

xcompay Les années 1920 à 1940 peuvent être considérées comme une période de grand épanouissement de la Trova et du Boléro, avec des compositeurs et interprètes comme Salvador Adams Cisneros, José Pepe Banderas, Emiliano Blez, Rafael Cueto, Joseito Fernandez (auteur de la Guarija Guantanamera), Ñico Saquito (auteur de Estoy hecho tierra, voir photo ci-dessus), Isolina Carrillo (auteur du célèbre Boléro Dos Gardénias). Pedro Junco (Nosotros), Adolfo Guzmán, Orlando de la Rosa, Francisco Repilado (plus connu sous le nom de Compay Segundo, voir photo ci-contre) et Miguel Matamoros (créateur du fameux trio Matamoros, voir photo ci-dessous, en début de section suivante). Beaucoup de ces musiciens sont nés dans la région de Santiago de Cuba, puis sont ensuite allés travailler à la Havane.

A la fin des années 1940 apparaît un nouveau style de Boléro, le feeling, créé par des compositeurs comme César Portillo de la Luz, José Antonio Mendez ou Marta Valdès. Fortement inspiré par la musique nord-américaine (jazz, crooneers,..), il s’appuie sur une structure harmonique plus complexe que celle du boléro traditionnel. Son atmosphère sonore rappelle parfois celle du Blues.

Qu’est-ce que le Son ?

Il s’agit de l’une des traditions musicales populaires les plus importantes de Cuba. Il est né à la fin du XIXème siècle dans les régions rurales de l’est de Cuba. C’est un mélange de romance espagnole et de rythmes africains, sur un rythme à quatre temps, avec une grande présence des instruments à cordes pincées et des percussions.

Si le Son trouve ses principales racines et son rayonnement majeur à Cuba, il est également présent sous d’autres formes dans le reste des Caraïbes. Le Tamborito de Panama, le Porro Colombien, xmatamoros le Meringue de Haiti et de Saint Domingue, la Pléna de Porto-Rico, sont des musiques très proches du Son cubain. L’importance du commerce maritime dans la région favorisait les influences croisées entre ces différents foyers musicaux, ainsi que l’arrivée de nouveaux instruments en provenance de toutes les parties du monde. Mais chaque style a connu une évolution différente, en fonction des dynamiques socio-culturelles locales, comme en témoigne, entre autres, la diversité des instruments à cordes utilisés : guitarrón (guitare basse) au Mexique ; cuatro (guitare à 4 rangées de cordes), cuatro y media et cinquo (5 rangées de cordes) au Vénézuela ; cuatro, requinto (petite guitare à 6 cordes), tiple (petite guitare à 4 cordes) et bandura (instrument à 7 rangées de cordes) à Porto Rico.

Les chansons du Son sont constituées par un dialogue entre chanteur soliste et choeur, structurés par une alternance de couplets de strophes. Dans la première partie, le chanteur décrit une situation. Puis le chœur tire les enseignements de celle-ci dans un petit refrain répétitif qui contient souvent le titre – et l’âme – de la chanson, tandis que le soliste intercale des couplets, avec une part de plus en plus large laissée à l’improvisation, le tout étant ponctué d’intermèdes instrumentaux. Les thèmes abordés sont très larges : amour et sentiments, bien sur, mais aussi satire sociale, description d’un personnage ou d’un événement de la vie quotidienne (avec une prédilection marquée pour la fête, la danse, les plaisirs de la table et de la chair). Les climats psychologiques peuvent être très variés : triste ou gai, romantique ou passionné, élégiaque ou amer, emplis d’espoir ou de nostalgie, etc. (par opposition notamment aux chansons de tango, où le thème de la nostalgie amoureuse est largement dominant).

xignaciopieiro Au point de vue instrumental, le Son incorpore deux instruments cubains par excellence : d’une part le Tres, guitare composée de trois groupes de deux cordes métalliques ; et, d’autre part, le Bongo, né à Cuba, mais dérivé des instruments de percussion africains (l’ancêtre du Bongo était sans doute un petit tambour africain que l’on fixait sous le bras, et dont on retrouve la trace dans des documents datant du XVIIIème siècle). Puis ont été incorporées les maracas et les clave, qui ont aussi des antécédents africains, mais ont été créés à Cuba, de même que les campanas (cloches).

Certains instruments de percussion, comme la marimbula et la botija, étaient plus particulièrement utilisés dans le Changüí, une forme archaïque du Son davantage marqué par l’influence africaine. La botija est une sorte de calebasse en argile, dans lequel on souffle, avec les doigts orientant l’air pour produire le son. La marimbula est une caisse creuse munie de trois petits clapet actionnée par le musicien, qui est assis sur la caisse. Ces deux instruments assuraient la partie rythmique, pendant que les chanteurs et les cordes tenaient la partie mélodique. Plus tard, ils furent remplacés par la contrebasse.

Une petite anecdote : vers la fin des années 1920, un compositeur, Carlos Borgolla, apprit à Paris la manipulation des orgues de Barbarie. Il apporta ces instruments à Santiago et commença à en construire. Ces orgues peuvent encore être écoutée, interprétant des musiques de Son dans les rues de Santiago, accompagnées par des percussions : timbales, guïro….

Le Son est né entre 1870 et 1890 dans les villages reculés de l’est de Cuba ou Oriente (d’où son nom de Son Montuno et dans une de ses variantes, de Son Guajira : Son des montagnes, Son Paysan..). Il était alors joué par un trio de musiciens-chanteurs : un guitariste (tres) et deux percussionnistes xgloria (bongo, marimbula…). A partir des années 1920, il va descendre de ses montagnes pour conquérir les cabarets de La Havane. Il se transforme alors en Son urbain. Son rythme s’accélère et il incorpore de nouveaux instruments empruntés au Jazz alors à l’apogée de son influence – tout particulièrement la trompette et le piano. De ce fait, le nombre de musiciens passe bientôt à six (sextetos) puis à sept (septetos avec trompette). De cette époque date la création de très fameux septets de Son – comme le Septeto Nacional Ignacio Piñiero (photo ci-dessus), le Septeto Havana ou la Sonora Matancera ou la Gloria Matancera – dont certains ont poursuivi, à travers plusieurs générations d’artistes, leur activité jusqu’à aujourd’hui (voir photo ci-contre : la Gloria Matancera à la Havane en Août 2010).

Le succès de cette musique – amplifié par le développement de la radiodiffusion et du disque – fut immense. Une nouvelle danse – appelée, bien sûr, Son – triomphe dans les cabarets de la Havane et du reste de l’île. On la danse chez les Blancs, chez les Mûlatres et chez les Noirs, chez les riches et chez les pauvres. Le Son inspire même les auteurs « cultivés » : œuvres pour orchestres symphoniques de Amadeo Roldán et Alejandro Caturla , poèmes de Nicolás Guillén…

Comment évolue la musique cubaine au cours de la première moitié du XXème siécle ?

De 1900 à 1950, se produisent de nombreuses transformations qui vont stimuler son dynamisme et sa créativité, conduisant à l’âge d’or des années 1950.

xtropicana La première de ces transformations est liée à l’apparition d’un large marché. Dans les villes en expansion rapide, comme la Havane, se crée un large public solvable : touristes étrangers, bourgeoisie et classe moyenne cubaine, clientèle populaire aux moyens plus limités, mais nombreuse. Celle-ci commence à pratiquer des danses autrefois bourgeoises, mais qui se démocratisent, comme le Danzón. L’apparition de nouveaux modes de diffusion – cinéma et radio, puis disque, enfin télévision à partir des années 1950 – offre une audience élargie aux artistes cubains et suscite l’engouement d’un public de masse. De nombreux cabarets, clubs et dancings ouvrent leurs portes. Conséquence : dans les années 1940 et 1950 tout le monde à Cuba danse dans toutes sortes d’endroits, hiérarchisés en fonction des classes sociales et de la couleur de la peau.

Par exemple, à Santiago, autour de la place Cespedes, on trouvait à cette époque différents salons de danse destinés respectivement aux Noirs, aux Mûlatres et aux Blancs. Le Club La Luz de Oriente, tout près de l’actuelle Casa de la Trova, était réservé aux mûlatres. Près de ce qui est aujourd’hui l’hôtel Casa Grande, on trouvait le Club San Carlos, réservé aux Blancs. Un peu plus loin, on trouvait le Club Aponte, fréquenté par les Noirs. Dans chacun de ces lieux, on pratiquait un style de danse différent. Quant à la musique, on pouvait aller la jouer et l’écouter, autour d’un verre de rhum et en compagnie de filles pas trop farouches, dans plein de lieux inattendus : petits commerces souvent tenus par des chinois, Casa de la Trova de Virgilio Palais, cafés minuscules, maisons de prostitution, coiffeurs. De nombreux orchestres se créent à cette époque, comme le fameux Chepín Chóven, fondé par deux amis, Chepín (violoniste) et Chóven (pianiste) en 1932.

xbennymore A la Havane, le phénomène était encore plus massif. On y trouvait des centaines de clubs et de cabarets, parfois de taille gigantesque, comme le Tropicana (photo ci-dessus). De grands et prestigieux orchestres, comme ceux de Benny Moré (photo ci-contre), Felix Chapottín ou Arsenio Rodríguez (photo ci-dessous) animaient les nuits de la capitale, interprétant Son, Guajiras, Guarachas et Boléros pour faire danser la bourgeoisie blanche et les touristes américains. Les mêmes soirs, un public plus populaire et de peau plus foncée se pressait dans d’autres lieux, comme Los Jardines de la Tropical, pour écouter la Charanga Aragon ou l’orchestre Arcañio y su Maravillas.

La seconde évolution majeure est liée à l’ouverture de la musique cubaine à de nouvelles influences étrangère. Après l’indépendance, en 1898, la transformation de Cuba en néo-colonie des Etats-Unis a pour corollaire une montée en puissance de l’influence U.S., notamment sur le plan musical. Le jazz, en particulier, va jouer un rôle majeur dans l’évolution de la musique cubaine à partir des années 1920. De nombreux orchestres de jazz se produisaient alors dans les cabarets de des grandes villes cubaines. De plus, les musiciens cubains qui allaient jouer à l’étranger et enregistrer avec des maisons de disques américaines ou mexicaines revenaient imprégnés de sonorités et de styles étrangers.

xarsero Un public large et varié, une modes de diffusion de plus en plus massifs, de nombreux lieux de danse et de musique vivante, une grande diversités de styles musicaux, une grande vitalité artistique autochtone dont témoigne, entre autres, le nombre élevé d’académies privées d’enseignement musicale : pour toutes ces raisons, les années 1940 et 1950 peuvent être considérées comme un âge d’or de la musique populaire cubaine. Un métissage culturel intense et un bouillonnement créatif permanents ouvrent alors la voie à la création de nouveaux styles de danse et de musique : Son urbain, puis Feeling, Pachanga, Boolagoo, Mambo, Cha-cha-cha, Pilon, Mozambique ou Tumbantonio…

La Révolution de 1959 a introduit de profonds changements dans le monde musical cubain. Les clubs et les cabarets privés ont été fermés. De nombreux artistes s’exilérent, comme Arsenio Rodriguez, ou Celia Cruz. D’autres, comme Ignacio Villa, Elena Burke, Omara Portuondo ou Celina Gonzalez, restèrent à Cuba.

L’éducation musicale, relevant autrefois de l’initiative privée, a été prise en charge par l’Etat, avec la création de très nombreuses institutions d’enseignement, comme l’Ecole Nationale des Arts ou, l’Ecole Cubaine de Ballet fondée par Alicia Alonzo. Le rapprochement avec les pays du bloc soviétique a favorisé les échanges artistiques, et de nombreux musiciens cubains sont allés se former en URSS. A la fin des années 1960, apparaît également à Cuba un courant musical novateur : la Nueva Trova.

Qu’est-ce que la Nueva Trova ?

xsilviorodiguez Ce courant musical, apparu à Cuba à la fin des années 1960 est influencé par le Protest Song nord-américain et la Nueva Cancion Sud-américaine. Il associe des paroles politiquement engagées à des formes musicales souvent issues de la tradition populaire cubaine. il fait également des emprunts au Jazz, au rock, à la pop music, etc.

Dès le début des années 1960, apparaît en Amérique du Sud le mouvement dit de la « nouvelle chanson latino-américaine ». Au Chili tout d’abord, avec Violetta Parra (« Gracias a la vida »), puis Victor Jara, qui fut assassiné en 1973 par les fascistes ; puis au Brésil, avec Gilberto Gil. Caetano Veloso, Geraldo Buarque ; en Argentine, avec Mercedes Sosa, Atahualpa Yupanqui, Cesar Isella ; en Uruguay, avec Daniel Viglietti, Alfredo Citarrosa…

A Cuba, un festival de « Cancion de protesta » s‘était déjà tenu à la Casa de Americas de La Havane en 1967.Cela avait permis aux auteurs cubains de découvrir ce qui se passait dans le reste de l’Amérique latine. Ceux-ci, jusque là relativement isolés, se regroupent alors autour de ces thématiques socio-politiques, encouragés en cela par des initiatives de l’union des Jeunesses Communistes (UJC).

xmilanese Les deux principaux initiateurs du mouvement furent Pablo Milanés et Silvio Rodríguez. L’apport de Pablo Milanés est essentiellement musical. Il a chanté dans les années 1950 dans un groupe vocal, Los Bucaneros, puis a commence à composer. Silvio Rodriguez vaut davantage par son apport poétique. Parmi les autres fondateurs de la Nueva Trova, on peut citer les noms de Noel Nicola, Eduardo Ramos, Vicente Feliú et Martin Rojas.

Se forme également à la même époque à l’ICAIC (Institut Cubain du Cinéma), sous la direction du cinéaste Léo Brouwer, un groupe d’expérimentation sonore, qui produit des documentaires de cinéma, des musiques de films, et va jouer dans les universités, les écoles secondaires, les camps de travail agricole volontaires où sont envoyés à l’époque les étudiants cubains.

La Nueva Trova ne repose pas sur un style musical précis et reste éclectique dans ses références esthétiques. Le seul point commun à toutes les œuvres est qu’il s’agit de chansons à texte accompagnées par la guitare. Cependant, le matériau stylistique de la tradition musicale populaire latino-américaine est fréquemment utilisé. Par exemple des groupes comme Moncada, Mangaurae, Mayohuacan, Pedro Luis Ferrer ont créé des compositions sur des rythmes de Chacareras, de Vidalas, de Zambas ou de Sambas, avec notamment une forte influence de la musique brésilienne. On trouve aussi des emprunts au jazz, au Rock, et à la pop music, voire à musique classique européenn (style appelé « néo-baroque » ).

Parmi les autres protagonistes importants de la Nueva Trova cubaine, on peut citer Sara González, Augusto Blanco, Alejandro García Virulo, Amaury Perez Vidal, Mike Porcel, Enrique Núñez. Ces précurseurs ont été suivis par Eduardo Alfonso, Raúl Torres, Franck Delgado, Lubia María Herbia. Polito Ibáñez. Parmi les jeunes trovadores d’aujourd’hui, on peut citer Rubén Léster, William Vivanco, Yaima Orozco, etc.

Et la Salsa, la Timba ?

xcelia La Salsa est une musique métisse, qui a incorporé différents genres musicaux des Caraïbes, en particulier ceux venus de Cuba. Son apparition répond à la nécessité d’une grande communauté grande communauté latino-américaine, composée de millions de personnes, de créer une expression culturelle propre. Elle se crée simultanément dans les années 1960, non seulement à New York, mais aussi en République Dominicaine, à Porto Rico… Plusieurs grands artistes cubains exilés, comme Celia Cruz ou La Luppe, ont joué un rôle décisif dans ce mouvement.

xfania Comme le Son, la Salsa se structure sur une alternance refrains-couplet, après exposition d’un thème introductif par le chanteur. Mais elle s’en distingue par les éléments suivants : la place importante faite au chanteur soliste, auquel sont réservées d’assez longues moments largement improvisés ; le recours à une gamme d’instruments plus large (claviers, instruments électroniques) et la présence très marquée des cuivres ; le tempo rapide et invariable des percussions ; une plus grande complexité harmonique ; tout cela crée une explosion d’énergie musicale extrêmement entraînante pour la danse.

Quant à la Timba, elle n’a pas de définition exacte. Elle n’a pas été créée par un artiste précis. C’est un mouvement populaire spontané, qui apparaît à Cuba à la fin des années 1980. xmichael Elle peut être considérée comme une sorte de demi-soeur de la Salsa, qui se développait simultanément sur le continent Américain, dont elle est très proche sur le plan rythmique et instrumental. Mais elle est caractérisée par des percussions plus agressives, des paroles plus crues ou plus violentes, une référence plus marquée à la tradition afro-cubaine, une montée progressive de la tension musicale de conduisant à un moment paroxystique (aussi appelé Bomba), où les danseurs peuvent donner libre cours à leur liberté corporelle. Elle est associée au nom de groupes célèbres tels que les Van Van, NG La banda, Irakere, et plus récemment, Michael Blanco (photo ci-jointe) ou la Charanga Habanera.

Propos recueillis et mis en forme par Fabrice Hatem

 

 

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[1] Le contenu de ces entretiens, qui quoique de grande qualité, ne donne qu’une vision partielle, superficielle et subjective sur l’immense sujet que constitue la musique populaire cubaine. Le lecteur intéressé pourra poursuivre sa démarche en consultant d’autres textes complémentaires publiés sur mon site :

/2010/08/27/une-trop-breve-histoire-de-la-musique-cubaine/ pour une histoire générale de la musique cubaine.

/2010/08/27/comment-est-nee-la-salsa-cubaine-le-role-de-la-rueda-de-casino/ pour une histoire de la Rueda de Casino et des origines de la salsa.

/2010/01/15/petit-lexique-des-musiques-et-danses-d-origine-cubaine-et-afro-cubaine/ pour un lexique commenté des principales formes de musique cubaine.

/2010/01/15/quelques-instruments-specifiques-a-la-musique-afro-cubaine/ Pour une description des instruments spécifiquement cubains.

[2] Ce genre n’a finalement pas été abordé dans nos entretiens.

[3] Il recoupe donc assez largement certaines des autres catégories évoquées dans ces entretiens, sa spécificité tenant essentiellement au rôle prééminent joué dans ce style par le(s) chanteur(s) accompagné(s) de leur guitare(s).

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