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La cavalerie impériale meurt à Waterloo

cavm1 Ca y est, nous allons attaquer. L’Empereur, avec son Etat-Major, s’est mis à la tête de sa Garde à pied. Quelle impression de puissance donnent ces quatre colonnes de grenadiers et de chasseurs, 3000 grands gaillards moustachus, aux visages burinés, marchant au pas cadencé, baïonnette au canon, entraînés par leurs officiers !!! Cela fait bien longtemps qu’on n’avait pas vu la vieille Garde se mettre ainsi en ligne presque toute entière, prête à enfoncer l’ennemi, précédée de ses aigles, de ses drapeaux et de sa musique.

cavm2 Mais, à mesure que nous avançons vers les lignes anglaises, à 1000 mètres de nous, nous voyons le résultat des charges de Ney qui a tenté pendant tout l’après-midi, sans succès, d’écraser les carrés ennemis : des milliers de cavaliers et de chevaux gisant dans la boue, morts, blessés, couverts de sang, les flancs ouverts pas la mitraille et les boulets. Certains tendent leurs mains vers nous pour implorer du secours. D’autres gémissent ou hurlent dans les douleurs de l’agonie. Mais beaucoup sont déjà figés dans l’immobilité de la mort.

cavm3 Pendant près de trois heures, ils ont chargé sans relâche. On aurait dit que toute notre cavalerie s’était donné rendez-vous pour cette danse macabre.

Les cuirassiers de Milhaud ont attaqué les premiers, en échelons de colonnes d’escadrons, vers 16 heures. Ils étaient superbes, ces 4000 cavaliers, dans leurs armures d’acier, étincelantes sous le soleil, avec leurs sabres levés vers le ciel, au milieu des champs de seigle !!!

cavm22 Mais la terre gorgée de boue et la raideur de la pente les ont empêchés de se lancer au galop. Les chevaux, s’enfonçant parfois jusqu’aux genoux dans la fange, ne pouvaient avancer que lentement.

Les godams ont alors eu tout le temps de les massacrer à distance avec leurs boites à mitrailles, puis de les fusiller à bout portant lorsqu’ils se sont approchés des carrés à moins de trente pas, dépassant la ligne des batteries abandonnées par leurs servants. Le bruit des balles sur leurs cuirasses ressemblait à celui de la grêle sur un toit d’ardoise. En bout de course, c’est une charge expirante et désordonnée qui est venue se briser sans succès sur les lignes ennemies.

cavme16 Il faut dire qu’ils se sont bien tenus, ces carrés anglais et écossais !!! Alignés impeccablement sur trois rangs – le premier genou à terre, la crosse du fusil appuyée sur le sol, la baïonnette pointée vers le ciel ; le deuxième debout, tirant ; le troisième rechargeant les fusils – ils ont accueillis nos cavaliers en silence, sans bouger d’un pouce, leurs blessés tombant sans une plainte. Ils tiraient et rechargeaient en exécutant, comme des automates, les ordres de leurs chefs. Nos cavaliers, ne pouvant forcer leurs rangs, étaient réduits à chevaucher au milieu du labyrinthe mortel des carrés disposés en damiers pour essayer d’y trouver une brèche. Mais ils ne faisaient ainsi que s’exposer sans protection aux feux croisés des lignes anglaises. A la fin, ils durent rompre et rebrousser chemin, gênant mutuellement leur retraite dans une cohue désordonnée, se battant même à coups de pommeaux de sabre pour pouvoir d’éloigner plus vite des lignes anglaises d’où la mort continuait à pleuvoir dans leur dos !!!

cavme22 Tandis qu’ils cherchaient à se regrouper, en bas de la pente de Mont-Saint Jean, pour tenter un nouvel assaut, Wellington à lancé sur eux ses Life Guards, accompagnés de dragons hollandais.

Les gros frères se sont alors réfugiés derrière la cavalerie légère de la Garde, commandée par Lefebvre-Desnouette, qui à son tour a chargé pour les dégager.

cavm8 Il a d’abord lancé contre les anglais les chasseurs à cheval, avec leur pelisse rouge, leur dolman vert bouteille et leur colback de fourrure.

Si l’Empereur acceptait d’envoyer ainsi, en première ligne, ces cavaliers chargés de sa garde rapprochée, c’est que l’heure était vraiment grave !!

cavm9 A côté d’eux, se tenaient lanciers hollandais, qu’on appelait aussi les lanciers rouges, à cause de la couleur de leur uniforme, d’un orange vif.

Leur régiment avait été l’un des premiers à se rallier à Napoléon, avec son colonel Etienne de Colbert, après le retour de l’île d’Elbe. Et les voila qui chargeaient maintenant les Life Guards avec leurs lances de six pieds.

cavm10 Au milieu d’eux, on pouvait distinguer le dernier escadron des lanciers polonais avec leur gilet cramoisi, leur habit bleu sombre et leur chazpska noire. Combien, parmi eux, avaient fait partie la garde d’honneur qui avait entouré Napoléon lors de sa triomphale entrée à Varsovie en 1807 ? Depuis lors, ils avaient donné ses plus belles lettres de gloire à l’armée impériale, participant à tous les combats : Sommosiera, Wagram, la Moskowa, Leipzig où leur chef, le prince Poniatowski, avait trouvé une fin glorieuse. Fidèles jusqu’au bout, ils avaient suivi l’Empereur lors de son exil à l’île d’Elbe. Mais ils avaient aussi semé leur morts sur toutes les routes d’Europe, au point qu’ils n’étaient plus, aujourd’hui, qu’une poignée à venir se jetter sur les baïonnettes anglaises.

cavm6 Tous ces braves, après avoir dispersé la cavalerie anglaise, avaient à nouveau chargé les lignes de Wellington aux côtés des cuirassiers survivants. Avec leurs lances, ils essayaient de percer la muraille humaine qui de dressait devant eux. Mais les goodams, de leur côté, les mitraillaient à bout portant : et chevaux et cavaliers s’effondraient en hurlant dans la boue, tandis que les soldats britanniques refermaient les brèches en resserrant leurs rangs.

cavm12 Au bout de deux heures, la moitié de la cavalerie française avait ainsi été mise par terre. Ney, hors de lui, ordonna alors à la dernière réserve – le corps de Kellermann, constitué pour l’essentiel de dragons, de chevau-légers et de cuirassiers – de tenter un dernier effort pour enfoncer la ligne anglaise. 4000 hommes se ruèrent alors en avant derrière lui.

cavm18 Ils attaquèrent la ligne anglaise sur la gauche de la ferme de la Haie Sainte, à l’endroit même où les charges précédentes à l’avaient quelque peu affaiblie.

Cette fois, ils faillirent bien leur passer sur le ventre. Les dragons à l’uniforme vert bouteille se précipitèrent en hurlant, sabre au clair, clouant les artilleurs sur leurs pièces, pulvérisant les troupes de Hanovre, bousculant plusieurs carrés des meilleures troupes anglaises.

cavm14 Les chevau-légers, reconnaissables à leur casque à chenille plantèrent leurs lances vibrantes dans les poitrines des Foot Guard, embrochant parfois deux soldats en même temps.

cavm15 Les cuirassiers, de leur côté, essayaient tout simplement d’écraser les lignes ennemies de leur énorme poids. Cabrant les chevaux, ils s’abattaient ensuite sur les fantassins en les transperçant de leur épée.

Mais les autres les embrochaient alors avec leurs baïonnettes, éventrant les chevaux et égorgeant ensuite les cavaliers qui tombaient à terre, cloués au sol par le poids de leur armure et englués dans la boue. Certains escadrons de cuirassiers chargèrent ainsi plus de dix fois, mais de manière de plus en plus désordonnée à mesure que les officiers tombaient et que l’épuisement gagnait hommes et chevaux.

cavm16 La cavalerie lourde de la Garde, commandée par Guyot, accompagna le corps de Kellermann. Les grenadiers à cheval, avec leurs superbes chevaux noirs et leur bonnets d’oursons, plus imposants encore quel ceux de la Garde à pied, chargèrent les premiers. Je n’oublierai jamais comment, en se précipitant sur les carrés anglais, ils crièrent d’une seule voix un « Vive l’empereur » à faire frémir tous nos ennemis, depuis Londres jusqu’à Berlin.

cavm13 A leurs cotés se trouvaient les dragons de l’Impératrice, dont nous vîmes certaines cherchèrent à sauter d’un énorme bond, par-dessus la tête des fantassins, vers l’intérieur des carrés anglais – dont la plupart de ces héros ne ressortirent jamais vivants.

Tous ces splendides cavaliers, compressés dans l’étroit espace qui séparait la ferme de Goumont de celle de la Haie-Sainte – 1000 mètres de large tout au plus – se gênaient mutuellement, rendant les charges de plus en plus confuses et inefficaces : 10 000 hommes s’agitaient en tous sens dans une sorte de cuvette boueuse, à portée des tirs ennemis. Les escadrons se mélangeaient et gênaient mutuellement leurs mouvements. cavm11 Les cavaliers, avec leurs chevaux enfoncés dans la boue, constituait autant de cibles faciles pour les tirailleurs anglais dont les balles portaient à chaque coup. Les cuirassiers démontés n’avaient même plus la force de courir vers la sécurité de nos lignes. Ils mourraient ainsi en masses, hachés par la mitraille, sans même avoir la possibilité de répliquer. C’était pitié de voir toute cette superbe cavalerie, nos frères d’armes, se faire ainsi massacrer sans résultats.

cavm5 Car pas un des carrés de bataillons anglais, sur la trentaine qui avaient été formés, ne put finalement être enfoncée par notre cavalerie. Vers six heures du soir, nos morts étaient si nombreux que les anglais pouvaient en certains points, s’abriter derrière l’entassement de leurs cadavres – hommes et chevaux mélangés – qui formaient ainsi une sorte de rempart contre les dernières charges des nôtres.

cavm20 A la fin, voyant que tous ses efforts étaient restés vains, Ney, fou de colère, s’est tourné vers la dernière réserve disponible, soigneusement préservée jusque là par Kellermann : le 2ème régiment de carabiniers, reconnaissable de loin à ses cuirasses d’or et aux chenilles rouges de leurs casques. Au commandement du Brave des braves, eux aussi se sont rués dans une dernière charge de folie et mort… pour se faire fusilier, 1000 mètres de loin, à la fois de face et de flanc. Pas plus que les autres, ils n’ont réussi à trouver une faille dans la ligne des habits rouges. Et quand trop d’entre eux furent morts ou hors de combat, Ney a du se résigner à ramener, il y a une demi heure, les survivants épuisés vers l’arrière.

cavm21 Mais les anglais, eux aussi, ont été ébranlé par ces charges magnifiques. Et nous voila en route maintenant, nous les invincibles de la Garde, pour parachever le travail de notre cavalerie en enfonçant définitivement les lignes anglaises. Encore un effort, et la bataille est gagnée !!!

Source principale : Revue "Napoléon 1er", hors série Waterloo, n°7, juin 2007, pages 48 à 53

(à suivre dans : « La dernière pensée d’un grenadier à pied »)

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