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Tombé devant Baumersdorff

ba6 Baumersdorff, le 7 juillet 1809

A madame Veuve Thierry

Garges-les-Gonesses

Chère madame,

C’est avec une profonde tristesse que je dois vous apprendre la mort glorieuse de votre époux, le capitaine Michel Thierry, tombé au champ d’honneur lors de la Bataille de Wagram, le 6 juillet dernier.

ba7 Si ces quelques éloges peuvent vous apporter une consolation dans votre immense peine, je vous dirai que le comportement de votre époux au cours de ces journées a été digne en tous points de la réputation de notre régiment, surnommé « le Terrible 57ème que rien n’arrête» par l’Empereur lui-même.

ba71 Dès le début de la campagne, le capitaine Thierry s’était illustré par son intrépidité et son souci de la vie de ses soldats. Lors du combat de Thann, auquel notre régiment a participé sous les ordres du Maréchal Davout le 19 avril dernier, le capitaine a défendu, accompagné d’une seule section de grenadiers, une position de batterie légère contre les assauts répétés d’un bataillon d’infanterie autrichienne, parvenant ainsi, non seulement à sauver les pièces, mais également à causer à l’ennemi des pertes considérables.

ba5 Au cours de la difficile bataille d’Essling, votre époux participa au matin du 22 mai à l’attaque lancée par la division Saint-Hilaire (corps du regretté maréchal Lannes) contre les régiments du corps Hohenzollern. En dépit d’un feu d’artillerie ennemi d’une rare violence, il réussit avec sa compagnie à atteindre les rangs autrichiens, à les disperser et à s’emparer de plusieurs pièces d’artillerie. Il résista ensuite courageusement aux contre-attaques des grenadiers hongrois commandées par l’archiduc Charles en personne. Lorsque vint l’ordre de repli, il réussit à reculer lentement, en contenant l’ennemi, après avoir encloué les pièces et en emmenant avec lui les blessés de sa compagnie.

baum2 Son comportement lors de la bataille de Wagram ne fut pas moins digne d’éloges. Avec son régiment, à la tête du corps du général Oudinot, il fut l’un des premiers de toute l’armée à prendre pied sur la rive gauche du Danube. Pendant toute la longue marche à travers la plaine du Marchfield vers Grosshofen, il contribua par son allant et – oserai-je vous le dire – par sa bonne humeur à maintenir un moral élevé au sein de sa compagnie et de son bataillon, tout en veillant à un strict respect de la discipline de marche.

ba33 Lors du combat de Baumensdorff, mené dans la soirée du 5 juillet, votre mari fit preuve de remarquables qualités de meneur d’hommes, se plaçant en première ligne lors de l’attaque du village par son régiment et contribuant ainsi à la prise de cette position stratégique. Il fit prisonniers à cette occasion plusieurs officiers subalternes ennemis, risquant sa vie pour sauver la leur : alors qu’ils demandaient grâce, il bondit devant les fusils de ses hommes en leur criant : « ne tirez plus !!! Ils se rendent !!! ». Lorsque nos troupes durent, un peu plus tard, se retirer du village, sous peine d’être submergées par des autrichiens très supérieurs en nombre, il réussit à maintenir la cohésion de sa compagnie, ramenant vers l’arrière plus de la moitié de ses effectifs.

ba42 Pendant toute la journée du 6 juillet, jusqu’au funeste mais glorieux accomplissement de sa destinée, le capitaine Thierry se signala par maints faits d’armes au cours des assauts furieux qui conduisirent finalement à la prise définitive du village de Baumensdorff par les vaillants grenadiers d’Oudinot et par le 57ème de ligne. Il sauva notamment d’une mort certaine le général Lorencez, notre chef de brigade, en le dégageant avec quelques hommes alors qu’il était menacé par une charge de cuirassiers autrichiens.

ba40 C’est vers 15 heures, alors que l’issue heureuse de la bataille ne faisait plus guère de doutes, que votre mari tomba au champ d’honneur dans des circonstances particulièrement héroïques. Alors que notre régiment entamait la poursuite des autrichiens du corps de Bellegarde, définitivement rejetés du village de Baumesdorff, sa compagnie fut exposée à un retour offensif de plusieurs centaines de grenadiers hongrois. Ayant plusieurs jeunes recrues blessés à ses côtés, et se doutant du sort funeste qui leur serait réservé s’il les abandonnait aux mains de ces enragés, votre époux me répondit, alors que je lui criais, à 100 toises en arrière de lui, de se replier : « J’y suis, j’y reste !!! Je ne vais pas laisser ces gamins se faire égorger, tout de même !!! ».

ba36 Je le vis alors subitement entouré de toutes parts, résistant vaillamment aux assauts de plusieurs dizaines d’ennemis. Je commandais alors un retour offensif du régiment, qui se fraya à la baïonnette un chemin sanglant au milieu des autrichiens. Ceci permit de sauver la vie de nos jeunes conscrits. Mais nous découvrîmes également alors le corps sans vie de votre époux, percé de plus de 20 coups de baïonnettes.

ba37 Chère madame, sachez que je compatis d’autant plus à votre immense perte que le capitaine Thierry était pour moi plus qu’un officier de valeur. C’était aussi un peu un fils, dans lequel je retrouvais la bravoure et la noblesse de cœur de mon petit Jacques, décapité il y a deux ans par un boulet à Friedland. Il me parlait souvent de vous et de vos deux enfants avec une grande tendresse, en me montrant le médaillon qu’il portait toujours à son cou et embrassait au début de chaque bataille.

ba30 J’ai demandé que le capitaine Michel Thierry soit cité à l’ordre de la division pour sa vaillance au cours de ces journées. J’ai également proposé son nom pour une promotion posthume au grade de chef de bataillon. Dès que la campagne sera achevée et que j’en aurai la possibilité, je viendrai vous présenter en personne mes condoléances et évoquer avec vous la mémoire du cher disparu. Sachez également que je serai toujours à votre disposition si le besoin s’en faisait sentir ; et que je ne faillirai pas plus à ce serment que le capitaine Thierry n’a failli à celui qu’il avait fait de servir son pays, son Empereur et son régiment avec honneur et fidélité.

Votre bien dévoué,

Colonel Jean-Louis Charrierre

Commandant le 57 ème régiment de ligne

 

 

 

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