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Ces traîtres d’autres chiens

balum59 Ils n’ont vraiment aucun respect pour les lois de la guerre, ces autres chiens !!! Essayer de nous tromper en se faisant passer pour des alliés bavarois !! Saint-Hilaire a bien failli s’y laisser prendre !!! Heureusement que nos chefs de brigade, Morand et Thiebault, ont rapidement éventé la ruse : et alors, avec nos pièces de 4 et de 12, on leur a servi un sacré feu d’artifices, aux kayserlicks. Nos boulets et notre mitraille ont fait de tels trous dans leurs rangs qu’on pouvait voir, au travers, jusqu’au village d’Austerlitz !!! Mais n’anticipons pas…

balum51 Nous autres, au 10ème léger, nous n’avions pas beaucoup dormi au cours de la nuit précédente. Dès 2 heures du matin, Soult avait commencé à faire manœuvrer nos troupes, ceux du 4ème corps, pour les avancer sur le ravin en bas du plateau de Pratzen, devant le village de Puntowitz. Nous étions là quatre régiments, en position sur deux lignes. Je ne vous dis pas le bain de pieds glacé qu’on s’est pris en traversant le Goldbach. Ca, à Austerlitz, on peut dire qu’on y était : sans avoir presque dormi, dans des ténèbres d’encre, avec le bas des jambes et les pieds mouillés par l’eau froide, à rester immobiles, gelés pendant plusieurs heures dans le brouillard et la pluie. Pas moyen de s’asseoir sur ce sol détrempé. Et bien sur, pas de feu, donc par de bouilli ; interdiction de parler pour ne pas attirer l’attention des russes, à un quart de lieue de nous, sur les hauteurs. C’est bien simple : le lendemain de la bataille, la moitié de ceux qui n’étaient pas morts au combat avaient attrapé la fièvre, avec un mal de gorge ou de poitrine : ce n’était plus un régiment, mais un hospice de catarrheux.

balum55 Dans ces conditions, il nous était d’autant plus impossible de dormir qu’à partir de 5 heures du matin, nous avons commencé à entendre la canonnade sur notre droite : c’étaient les autrichiens et les russes qui attaquaient, en colonnes serrées, les braves de Davout. Vers 8 heures, le Général Morand et le colonel Pouzet circulent dans nos rangs pour nous préparer à l’attaque du plateau, 300 toises à monter en pente raide. Nous prenons un dernier coup d’eau-de-vie, nettoyons une dernière fois nos baïonnettes, chargeons nos fusils, et en route par colonnes, de manière à pouvoir former rapidement le carré si la cavalerie ennemie nous attaque. Et silence absolu !!!

balum127 Nous n’avions pas grimpé depuis un quart d’heure, au milieu d’une prairie parsemée de bosquets d’arbres, que nous voyons, sur notre gauche, l’arrière des colonnes de Przybyszewski et de Kolowrat qui descendent du plateau, même pas protégés de notre assaut par une ligne de tirailleurs. Comme nous étions cachés par le brouillard et qu’ils ne nous attendaient pas sur ce côté, alors que c’était bien eux que nous cherchions, nous gagnons quelques précieux instants à nous approcher d’eux en nous déployant tranquillement, sans un bruit, pour nous mettre en position d’attaque. Eux, par contre n’ont absolument pas le temps de se mettre en défense. Cela nous épargne le moment le plus difficile pour une ligne d’assaut, cela où, sur le point d’aborder l’ennemi, on prend en pleine poitrine le feu de leur mitraille et de leur ligne de fusils.

balum122 Bientôt, nous pouvons nous précipiter sur eux, en les assaillant de flanc en plein mouvement, pratiquement par surprise. Jugez vous-mêmes de la disproportion des positions : d’un côté, 4 régiments – le 10ème léger, le 14ème, le 36ème et 86ème, complètement parés pour l’attaque ; de l’autre, des colonnes prises en enfilade, sans aucune préparation, et rapidement transformées en cohues impossibles à manoeuvrer. Le résultat, ce fut pour eux une belle débandade, après qu’en 10 minutes moins en ayons mis près d’un millier par terre à coups de fourchettes, surtout des russes, avec quelques autrichiens en prime.

balum129 C’est de ce moment que date le premier des mes quatre faits d’armes au cours de cette journée, qui me valurent d’être proposé pour la croix et le grade de sergent par le général Morand lui-même. Alors que notre capitaine, Monsieur Leloup, que sa hardiesse avait trop engagé à l’intérieur des rangs ennemis, avait été acculé le dos à un muret de pierre par une dizaine de fantassins russes, qui s’apprêtaient à l’envoyer ad patres, je surgis sur les derrières avec deux camarades, en assommais deux à coups de crosse, en perçais deux autres avec ma baïonnette, mettais les autres en fuite et dégageais notre officier, déjà blessé à la tête et à la cuisse. Comme je m’appelle Lelièvre, ce ne fut tout à coup qu’un cri dans toute la compagnie : « Le lièvre a sauvé le loup !!! Le lièvre a sauvé le loup !!! »

balum121 Ce cri, repris en cœur par une centaine de mes fiers camarades, eu plus d’effet sur nous que 10 rasades d’eau-de-vie, et effraya davantage l’ennemi que le tonnerre de 100 bouches à feu. Pensez que nous étions transis de froid, de sommeil et de faim depuis 12 heures, et que soudain, nous nous voyons en train de culbuter, à nous seuls plusieurs milliers d’ennemis. De leur côté, ils voient surgir de nulle part des centaines de gaillards tous prêts à les étriper, alors qu’ils pensaient en finir à peu de frais avec ceux d’en bas, à Telnitz !!! C’est le moment que saisit notre brave colonel Pouzet, avec ses officiers d’ordonnance, pour nous pousser vers l’avant, nous encourageant aux cris de : « En avant, ceux du 10ème léger ! Pour la France !! Vive l’Empereur !! »

balum136 C’est alors que nous avons fait le plus grand carnage de russes … Il faut dire qu’à ce moment-là, ils étaient presque paralysés de peur par notre attaque, nos longues baïonnettes pointées sur leurs ventres. Et, puis, c’était une telle confusion dans leurs rangs qu’on n’entendait même plus les ordres de leurs officiers. Bref, ils s’enfuient en désordre ; comme ils n’avaient pas leurs sac sur le dos et étaient plus frais que nous, et surtout craignant pour leur vie, nous n’eûmes pas la force de les poursuivre ; mais si nous avions eu ne serait-ce qu’un escadron de chasseurs à cheval avec nous pour les sabrer, nous aurions pu en faire un massacre bien plus grand encore.

balum108 C’est à ce moment que j’accomplis le deuxième de mes exploits du jour. A 50 toises derrière la colonne que nous venions de disperser, nous apercevons une batterie d’artillerie russe qui s’était mise en position pour bombarder nos lignes. Echappant à la panique générale qui s’était mise dans les rangs de leur infanterie, ils commencent à pointer leurs pièces vers nous, tandis que quelques fantassins se regroupent autour d’elles pour nous canarder. Cela rendait notre position fort dangereuse, car il eut suffit à ce moment que quelques officiers ennemis parviennent à contenir la fuite de leurs troupes et à s’appuyer sur ce môle pour constituer un point de résistance qui aurait pu briser notre assaut, et peut-être même nous rejeter vers le Goldbach.

balum125 J’étais, de toute ma compagnie, l’un des plus proches de ces canons, en terrain découvert. Le capitaine Leloup me crie de me mettre à l’abri, 20 toises en arrière, pour éviter leur premier feu de mitraille. Au lieu de cela, je crie à mes camarades les plus proches : « En avant, les gars !! On va leur percer le flanc !!! Et je m’élance vers les canonniers. Nous essuyons quelques coups de fusils qui blessent un des nôtres, mais leur mitraille ne vient pas, et nous parvenons sains et sauf sur la première pièce, où nous clouons véritablement les canonniers. Voyant cela, le capitaine Leloup lance en avant le reste de la compagnie et s’empare de toute la batterie en un clin d’œil. Je dois reconnaître que ces canonniers russes se firent très honorablement tuer jusqu’au dernier plutôt que d’abandonner leurs pièces.

balum146 Comme le reste des russes s’était enfui, nous eûmes alors à un quart d’heure de précieux repos. Enfin, si l’on peut dire…. Alors que nous rassemblions la centaine de prisonniers que nous avions faite, plusieurs d’entre eux cherchèrent à récupérer des armes et à se jeter sur les nôtres pour reprendre le combat. Une telle action, contraire à toutes les lois de la guerre, nous obligea à des mesures extrêmes : quelques minutes après avoir désarmé et tué les plus excités, nous reçûmes du général Morand l’ordre de nous débarrasser de tous les prisonniers. Et nous n’en laissâmes pas un seul vivant derrière nous, malgré leurs supplications. C’est qu’isolés en avant de nos lignes, au milieu de milliers d’ennemis qui pouvaient se ruer sur nous à tout instant, nous ne pouvions nous payer le luxe de garder au cœur de nos rangs des centaines de russes tout prêts à nous sauter à la gorge !!! La suite immédiate des événements nous donna raison.

balum138 En effet, les russes de Kamenski, en tout près de 5000 gaillards, étaient en train de se regrouper pour essayer de contre-attaquer et de submerger notre régiment. Ils étaient appuyés, à leur gauche, par les quatre régiments austro-russes de Kollowarth. Ceux-ci attaquaient la brigade Thiebault, qui, à notre droite venait de prendre d’assaut le village de Pratzen. C’est eux qui essayèrent, par une ruse indigne et inutile, de se faire prendre par les nôtres pour des bavarois. Mais ayant éventé cette grossière tromperie, Morand et Thiebault nous disposèrent pour leur souhaiter le bonjour d’une manière inoubliable.

balum63 Ils intercalèrent en effet dans les rangs de nos deux régiments placés côte à côte, nous le 10ème léger avec à sa droite le 36ème, une batterie d’artillerie divisionnaire, plus 6 pièces de 12 placées de chaque côté du 36ème . Ils firent ensuite charger les pièces à mitraille et à boulets. Pour accroître l’effet de surprise, ils placèrent un rideau d’hommes devant les canons. Quand les autres furent arrivés à vingt toises de nos lignes, nous nous retirâmes derrière les canons qui commencèrent un feu d’enfer, semant la mort dans les lignes adverses. Nous n’eûmes même pas à le combattre à baïonnette, car les survivants s’enfuirent d’épouvante avant même d’avoir atteint nos lignes.

balum147 Mon troisième fait d’armes date de ce moment : en me précipitant avec mes camarades aux trousses de la brigade Kowalski en déroute, je réussis à m’emparer d’un de leurs drapeaux, que j’arrachais à son officier porte-drapeau après lui avoir fait sauter la cervelle d’un coup de crucifix à ressorts. C’est surtout ce troisième fait d’armes, sans doute le moins méritoire tant il ne sembla facile dans le désordre où nous avions mis l’ennemi, qui me valut ma croix et ma promotion, car je fus convié le soir même à présenter le drapeau à l’Empereur en personne.

balum130 Mais le plus dur était encore devant nous, car les brigades russes étaient en train de se reformer. Nous vîmes alors arriver en face de nous trois ou quatre fois plus de russes que nous n’étions de combattants. En outre, sur notre droite en contrebas, nous voyions se rapprocher une marée de troupes ennemies, ceux-la mêmes, russes et autrichiens mélangés, qui avaient été envoyés pour déloger Davout de Telnitz, et qui voyant le danger où nous les mettions sur le centre, revenaient vers nous pour nous déloger. Pendant un heure, nous dûmes affronter, complètement isolés du reste de l’armée, les assauts répétés de ces braves, qui se précipitaient vers nous en hurlant, nous pressant de toutes part, au point que nous fûmes bien prêts de reculer et d’abandonner le plateau. Notre situation était d’autant moins tenable qu’à l’infanterie ennemie s’ajoutaient plusieurs milliers de cavaliers, tandis que nos rangs s’éclaircissaient un peu plus à chaque minute. Mais, par un prodige de vaillance, soutenus par de braves officiers comme de colonel de Girardin, aide de camp de Berthier, qui venu aux nouvelles, restât avec nous pour partager le danger et la gloire, nos quelques bataillons surent tenir le choc de ces enragés.

balum148 Enfin, par une attaque décisive qui rompit les rangs de l’ennemi, nous pûmes rester maîtres du plateau. Après un repos d’une demi-heure, notre régiment commença à descendre les pentes du Pratzen pour partir à l’assaut des russes retranchés dans le château de Sokolnitz. Ceux-ci nous opposèrent une résistance absolument acharnée, dans chaque recoin du château, montrant un héroïsme digne de tous les éloges. C’est en pénétrant dans l’écurie que je blessais à la cuisse un colonel d’un de leur régiment, après avoir tué son ordonnance. Une fois à terre, ma baïonnette sur la gorge, il me remit son épée, à moi, un simple caporal de la légère !!!

balum145 Le soir, je fus cité à l’ordre de la division pour mes quatre faits d’armes. On m’envoya même présenter à l’Empereur, avec des camarades d’autres régiments qui avaient partagé ma chance, le drapeau pris à l’ennemi le matin même ; et Napoléon, après m’avoir demandé ses états de services et sur la recommandation du général Morand lui-même, m’accorda à la fois et le Croix et le grade de sergent. Lorsque je retournai au bivouac du 10ème léger, la croix accrochée sur le cœur, je fus fêté par toute compagnie, réunie pour m’ovationner, capitaine en tête. Mais je ne fus pas très long à participer à la fête : après le seconde rasade d’eau-de-vie, je m’enfonçais d’un coup dans un sommeil profond, épuisé par les événements de la journée.

Source principale : « Nous étions à Austerlitz », Edition établie par Jacques Jourquin, Ed. Tallandier, 2005, pages 103-116 et 236-252

 

 

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