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Historias minimas

Vive la Pologne libre !!

Paris, le 14 juillet 1836

Ma chère Zochia,

lanc1 Je t’écris pour t’annoncer une grande nouvelle : mon fils cadet Marc, ton neveu, vient de rentrer à l’école Polytechnique. C’est en France la meilleure école d’ingénieurs, où l’on est reçu, non pas, comme chez nous, parce que l’on appartient à une famille noble, mais uniquement en fonction de ses talents et de sa persévérance dans les études. C’est, comme tout ce qui s’est fait de bien dans ce pays depuis 40 ans, une invention du regretté empereur Napoléon 1er. C’est pour moi et pour ta sœur Elena, mon épouse, un très grand soulagement, car, comme tu le sais, notre installation en France, après la fin de l’Empire, a été plus que difficile. Enfin, grâce au roi Louis-Philippe, les anciens soldats polonais de l’Empereur, restés en France après la défaite, se sont enfin vus reconnaître la nationalité française, ainsi qu’à leurs enfants, dont les plus méritants, comme Marc, ont reçu une bourse pour étudier au lycée Louis-le-Grand.

lanc2 Tu étais trop petite à l’époque pour te rappeler de l’entrée de Napoléon à Varsovie, il y a 30 ans. Enfin, 20 ans après la défaite de Koscuiszko devant les russes et les prussiens, la Pologne était libérée !! Nous fûmes des centaines de cavaliers de la noblesse, à accompagner ce jour-là l’Empereur, dans notre plus belle tenue, Kurtka bleue turquoise, retroussis cramoisis, Czapka à cimier carré, dans les rues de la ville, au milieu d’une foule en délire… même les juifs du ghetto étaient venus acclamer l’Armée française. Il faut dire qu’à eux aussi, Napoléon a fait beaucoup de bien, en les émancipant.

lanc8 Alors, quand l’Empereur annonça, en mars de l’année suivante, la création d’un régiment de chevau-léger polonais dans sa Garde, je me précipitais, avec mon regretté ami Kozietutski, pour m’engager.

lanc9 Tu connais la suite : Somosiera, où nous prîmes d’assaut, avec un seul escadron, le col tenu par les 12 000 soldats du général San Juan ; Wagram, où nous arrachâmes leur lances aux uhlans autrichiens pour les retourner contre eux. C’est cette nouvelle arme, conquise sur le champ de bataille, qui fit de nous les fameux lanciers polonais. C’est là, aussi, que je fus nommé chef d’escadron, par l’Empereur lui-même, au soir de la bataille.

lanc10 Puis vinrent les revers, avec la terrible campagne de Russie et la mort de Poniatowski à Leipzig en 1813. A ce moment, nous aurions pu retourner en Pologne, car l’Empereur nous délia de notre serment. Mais nous fûmes tout un groupe de quelques centaines d’hommes à rester fidèles, dans l’adversité, à la fraternité d’armes avec l’armée française. Certains d’entre nous suivirent même l’Empereur à l’île d’Elbe…

lanc7 Après les derniers combats de Ligny, de Waterloo et Sèvres, puis la dissolution de notre dernier escadron, j’ai traversé des temps bien difficiles, aux limites de la misère, et c’est seulement l’amour et la foi de ta sœur qui m’a permis de ne pas sombrer dans le désespoir.

Et puis, les français nous aimaient bien et se souvenaient de nos exploits. Ils ont exaucé le vœu du regretté colonel Niegolewki : « que l’on n’oublie pas qu’il y eut un temps où les fils de la Pologne ont versé leur sang à côté des français dans toutes les parties du monde ». Quand j’entendais dans les rues le « Chant des lanciers polonais », une chanson composée en France à notre gloire, cela me faisait redresser la tête et affronter les difficultés de la vie avec plus de courage.

lanc11 Enfin, grâce à l’héritage de Papa, j’ai pu ouvrir un commerce de mercerie à Joinville et élever dignement nos deux fils. Et Elena, toute comtesse Krzyzanowska qu’elle était chez nous, a courageusement accepté cette humble existence sans une plainte ou un reproche. Puis Dieu a bien voulu nous donner Marc, qui s’est révélé si doué pour les mathématiques, et qui vient d’effacer, par son succès, nos 20 années de privations et l’amertume. Prions le créateur, ma petite Zochia chérie, pour qu’il donne aussi à notre pays, après des siècles d’oppression, la liberté qu’il mérite. Vive l’Empereur et vive la Pologne libre !

Ton frère aimant

Johan Piontkowski

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