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A ne pas croire qu’il y a un Bon Dieu !

A ne pas croire qu’il n’y a un Bon Dieu !

Saint- Maurice, le 15 juillet 1815

canti1 Nous voici enfin débarrassés de cet Ogre, qui a dévoré à lui seul deux générations de beaux jeunes gens. Je me souviens encore de lui, au cours de la campagne de France, en février 1814 : il passait en revue ses derniers régiments, à Brienne, pendant que les blessés de la veille, des gamins à moitié enterrés dans le sol gelé, râlaient à ses pieds. Allez !! Il pouvait bien écrire des ordres du jour enflammés et jouer à la compassion après les batailles en distribuant quelques Croix à des mourants. Mais ses soldats, il ne les aimait pas vraiment, sinon il ne les aurait pas tous fait tuer. Ce qu’il aimait, c’était sa propre Gloire. Mais moi, Catherine Charmant, ancienne vivandière du 6ème léger, je puis dire que je les ai vraiment aimés et que j’ai essayé de leur faire le plus de bien possible, à tous ces pauvres jeunes gens qu’Il emmenait se faire assassiner.

canti2 Ma carrière, si je puis dire, a commencé en janvier 1806. Comme beaucoup d’autres vivandières et cantinières, c’est l’amour qui m’a conduit vers l’Armée. Un amour tout à fait légitime d’ailleurs, puisque j’étais l’épouse de Pierre Lahogre, tambour-major au 6ème léger. un bien brave homme, qui jouait si bien les tangos andalous à la guitare, aimé des soldats et des filles qu’il faisait danser, le soir au bivouac… Nous étions à Vienne où je relevais des couches de ma 3ème fille, et nous ne roulions vraiment pas sur l’or. Un jour, l’adjudant-major du 2ème bataillon, qui connaissant bien mon mari, l’appela pour lui dire que qu’on avait besoin d’une nouvelle vivandière, la précédente titulaire venant d’être emportée par la dysenterie.

canti3 Etre vivandière, cela paraît bien simplet, mais dans la réalité c’est un métier difficile, surtout lorsque l’armée est en campagne. D’abord, il ne faut pas confondre avec cantinière : celle-ci s’occupe d’approvisionner les troupes en nourriture et prépare les repas des sous-officiers – quand du moins elle est en mesure de le faire – ; la vivandière est une commerçante qui vend aux soldats tous les menus produits et objets nécessaires à sa vie quotidienne. Or, ces objets sont innombrables : couteaux, rasoirs, papier à lettres, chemises et chausses, pommades et savon, eau-de-vie, bouteille de vin, plus quelques volailles permettant d’agrémenter l’ordinaire. Et tout cela est difficile à trouver, que ce soit pour cause d’hiver et de boue, de guérillas et de cosaques, ou tout simplement parce que le pays où l’on passe a déjà été presque totalement vidé par les régiments précédents et que le paysans du coin se sont empressés de cacher le peu qui leur restait.

canti4 Mais ces produits, il faut aussi les transporter. Pour prendre mon poste au régiment, je dus me procurer une petite charrette, tirée par un cheval, où j’entassais toutes les provisions nécessaires. Un investissement énorme pour nous, près de 10 Napoléons !! Heureusement que l’adjudant-major nous avança une grande partie de la somme. Et puis, en route vers l’Allemagne, sur des routes complètement défoncées. Et pour moi, jamais de répit : non seulement il fallait marcher avec la troupe pendant la journée, mais encore fallait-il le soir installer mon échoppe au bivouac – c’est-à-dire ouvrir le rideau arrière de ma carriole – et trouver aux alentours de quoi alimenter mon petit entrepôt. Heureusement que les soldats, y contribuaient eux aussi avec le produit de leur maraude, que je leur troquais contre autre chose ; car sinon, même avec l’aide de mon mari, je n’aurai pu suffire à la tâche.

canti5 Ces soldats, Napoléon avait beau chercher à leur tourner la tête à coup de glorieuses proclamations ; moi je n’ai jamais vu, à part quelques fous, que de braves gens à qui l’on avait fait quitter leur champ et leur famille pour aller se faire crever la panse à cinq cents lieues de chez eux. Bien sur, il y avait quelques bravaches et d’autres à la main un peu leste… Ils manquaient de femmes, aussi, ces pauvres hommes… Mais ceux-là, je savais les remettre à leur place sans traîner, et ils devenaient ensuite bien respectueux, comme tous les autres. Et puis, jamais un vol dans la carriole, jamais un mot de travers, même quand ils n’avaient pas d’argent pour payer et que j’étais obligée, à la fin, de leur refuser le crédit, n’ayant moi-même plus rien dans la caisse pour acheter la marchandise.

canti6 Et les jours de bataille, quelle calamité ! Voir étendus, avec des blessures affreuses, tous ces beaux gars à qui j’avais servi la veille l’eau-de-vie au bivouac. Et l’Autre qui faisait le malin avec son bicorne sur la tête, en allant soi-disant les secourir après la fin des combats, une croix par ci, une belle parole par là ! Du théâtre pour la galerie, tout ca, pour se donner un genre !

Quant aux infirmiers, à part les musiciens comme mon mari, qui faisaient ce qu’ils pouvaient, quels gredins !! Ils s’occupaient autant de faire les poches aux déjà morts que de secourir les encore vivants ! Celles qui les aidaient vraiment, les blessés, c’étaient les femmes comme moi, vivandières et cantinières, et même parfois les filles et les catins des carrioles de l’arrière, qui avaient un bien meilleur cœur que la plupart des généraux.

canti8 Bien sur, on ne pouvait pas faire grand-chose devant un pauvre garçon avec deux jambes emportées par un boulet. Mais on pouvait lui tenir la main, l’entendre parler une dernière fois de sa mère ou de sa Fanchette, lui promettre d’aller les voir au pays. Parfois, on les pansait un peu, pour au moins que le sang arrête de couler, avec le bout de charpie qui nous restait. C’est que j’en ai ainsi gâché, des chemises presque neuves à 2 francs, pour soulager un mourant qui m’avait acheté la veille pour deux sous d’eau-de-vie, et à crédit encore. Vous imaginez qu’avec de telles pratiques, je n’ai pas fait fortune : juste de quoi nourrir mes filles et ma vieille mère, là-bas, à Saint-Maurice.

canti7 Le pire, ça a été les campagnes d’Allemagne et de France, en 1813 et 1814. Grâce à une grossesse providentielle, je n’avais pu participer à la campagne de Russie, ce qui nous évita, avec mon époux, de mourir gelés quelque part entre Smolensk et Vilna. Mais tous les anciens étaient morts là-bas, et c’étaient des enfants qu’Il envoyait maintenant se faire tuer. Certains n’avaient même pas de poil au menton, d’autres mourraient en appelant leur maman, sans avoir même jamais connu une femme. Moi qui ai été mère quatre fois, je l’aurais bien étranglé de mes mains, ce buveur de sang, pour qu’il arrête d’envoyer nos gosses se faire casser la tête. Le sommet de l’horreur, cela a été à Brienne, comme je vous l’ai déjà dit : faire la revue en piétinant des gamins bleus de froid, tout prisonniers de la terre gelée… Mais c’était le Diable, cet homme-la !

Alors, quant nous avons appris, avec mon mari, que Marmont et les autres maréchaux avaient enfin décidé de mettre fin à ce carnage, nous avons applaudi des deux mains. Et dire qu’un an après, il y a encore eu des dizaines de milliers de soldats pour suivre ce démon à son retour de l’Île d’Elbe !! C’est vraiment à ne pas croire qu’il y a un Bon Dieu !!!

 

 

 

 

 

 

 

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