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La montée des multinationales du Sud

Editeur : Le nouvel économiste, n°1366, 16 novembre 2006

Auteur : Fabrice Hatem

nouvelecocom Titre : la montée des multinationales du sud

Rachat d’Arcelor par l’indien Mittal, de Marionaud par le hong-kongais AS Watson, des silicones de Rhodia par le chinois Blue Star… Les firmes des pays émergents s’internationalisent et commencent même depuis 5 ans à s’implanter en Europe. Un mouvement encore à ses débuts, mais qui pourrait avoir, à terme, un impact majeur sur l’économie mondiale.

Des firmes indiennes, chinoises, russes, mexicaines aux premières places mondiales dans leurs secteurs d’activités : qui l’eut prédit il y a 25 ans ? Et pourtant, la poussée est massive. Un quart des firmes multinationales sont aujourd’hui originaires des pays en développement et en transition, dont 47 dans le « Top 500 » du magazine Fortune. Et ces firmes représentent désormais une fraction non négligeable de l’investissement international : plus de 15 % en 2005, selon le World Investment Report 2006, publié la semaine dernière par la Cnuced. En tête de liste : les firmes asiatiques, et surtout les chinoises – dont 7000 ont déjà investi à l’étranger.

Et ces sociétés font bien autre chose que de la confection ou des jouets en plastique. On y trouve des géants des matières premières ou des industries de base – souvent d’anciens monopoles publics comme le chinois Cnool ou le russe Gazprom ; des spécialistes des services de réseaux – des télécommunications à la gestion portuaire -, comme le Hong-Kongais Hutchinson, propriété du fameux Tycoon Lee-Ka-Shin ; des sociétés actives dans les biens de consommation (comme les chinois Haier ou Galanz), l’automobile (comme Saic, basé à Shangai) ou la pharmacie (comme l’entreprise familiale indienne Ranbaxy) ; enfin des entreprises engagées dans les technologies de l’information ou les logiciels (comme les chinois Lenovo, ZTE, Huawei ou le fabricant de logiciels indien TCS), qui ont souvent bénéficié des compétences apportés par des anciens de la Silicon Valley de retour au pays.

Pour la plupart de ces firmes, l’internationalisation est devenue une nécessité. Pour développer leur chiffre d’affaire, alors que la compétition s’accentue sur leur marché intérieur ; pour accéder aux technologies et aux savoir-faire occidentaux ; enfin, pour conforter les leurs approvisionnements en matières premières.

Elles investissent pour cela volontiers dans les autres pays du sud de la planète : près de la moitié de leur flux d’IDE en 2004, soit beaucoup plus que leurs homologues occidentales. A cela, deux raisons : tout d’abord, ces firmes, dont la plupart sont au début de leur processus d’internationalisation, cherchent d’abord à s’implanter dans les pays proches, comme les entreprises singapouriennes en Asie, les russes en Europe de l’est, les brésiliennes dans le reste de l’Amérique latine. Mais ces investissements peuvent également s’inscrire dans des stratégies plus globales : de nombreuses firmes chinoises, à la recherche de sources de matières premières, se sont par exemple implantées en Amérique latine (Brésil notamment), dans des secteurs comme les mines, le pétrole (Sinopec), la métallurgie (Baostell, Aluminium corp.) ou encore les infrastructures de transport. Des opérations qui représentent d’ores et déjà une source majeure d’entrée de capitaux pour les pays du sud (près de la moitié de leurs stocks d’IDE entrants en 2004) – tout particulièrement pour des régions délaissées par les investisseurs occidentaux, comme l’Afrique ou l’Asie centrale.

Mais ces firmes des pays émergents sont également de plus en plus nombreuses à s’intéresser aux économies développées, pour leurs marchés et leurs technologies. Si les Etats-Unis sont en tête de liste des destinations, un mouvement d’implantation se dessine aussi depuis 5 ans vers l’Europe de l’ouest -, avec des priorités différentes selon les pays d’origine : russes dans l’immobilier et les industries de base, indiens dans les logiciels et la pharmacie, chinois dans l’industrie manufacturière….

Les acquisitions en constituent la manifestation la plus spectaculaire – et, pour certains, la plus inquiétante : rachat de MG Rover par le chinois Saic, de l’allemand Dornier par D-Long (depuis mis en faillite), du britannique RMC par le mexicain Cemex (devenu à la suite de cette opération le 2ème cimentier mondial derrière Lafarge), annonce récente de l’achat de l’aciériste Corus par l’indien Tata… Mais le mouvement prend également la forme de création de sites nouveaux : depuis 2002, les entreprises des BRICs (Brésil, Russie, Inde, Chine) ont été à l’origine, selon l’AFII (Agence française des investissements internationaux), de près de 100 projets par an en Europe de l’ouest. Des investissements certes encore très limités, puisque les firmes des pays émergents que représentent, selon les mêmes données, que moins 5 % des projets et des emplois créés par les multinationales étrangères en Europe… mais dont l’ampleur s’accroît rapidement.

En France aussi, « elles » arrivent. Et d’abord les chinoises, qui rachètent nos firmes, comme Cabanon (concentré de tomate) par Chalkis, Adisseo (aliments pour animaux) et Rhodia-silicones par Blue Star, Thomson-TV par TCL, l’usine Grundig de Creutzwald par Xoceco. Mais qui implantent aussi des centres de recherche (comme ZTE sur le site du Futuroscope de Poitiers), des bureaux de représentation (Urstartcom, Wenzhou Yuehua Locks, Brilliance Group), des quartiers généraux européens (Catic, Hisense, BBCVA, ZTE) et même… des usines (écrans plats d’Hisense en Lorrain et de Prisma à Orléans). Ensuite les indiennes, plus attirés par la Grande-Bretagne, mais qui ont tout de même réalisé en France quelques beaux projets dans logiciels, comme Wipro en 2003. Sans oublier les israéliens – très actifs dans l’équipement électronique -, les turcs, les sud-africains…

Avec quelles conséquences pour l’économie nationale ? Les avis, comme toujours, sont partagés entre l’espoir de nouvelles créations d’emplois et la crainte du pillage technologique et de l’invasion des importations. Ce qui est certain, c’est que le phénomène va s’amplifier. Car, même si ces firmes souffrent encore de quelques handicaps (faible pratique du monde des affaires, taille encore parfois insuffisante, manque d’effort de recherche et d’innovation produit), même si des crises d’ajustement de type coréen ne sont pas à exclure, il y a fort à parier que la génération montante de leurs jeunes dirigeants, souvent issus des meilleurs universités américaines sauront y remédier et transformer certains de ces groupes en leaders mondiaux à horizon de 10 ou 15 ans.

Alors, mieux vaut s’y préparer dès maintenant. Pour notre pays, cela passe par un effort accru de promotion vis-à-vis de ces entreprises en jouant sur nos atouts : notre image d’ouverture auprès de firmes chinoises rebutés par plusieurs tentatives ratées d’acquisitions dans les pays anglo-saxons (échec du rachat de Marconi par Huawei en Grande -Bretagne, de Noranda par Minmetals au Canada, d’Unocal par Cnooc aux Etats-Unis) ; notre bonne position géographique et la qualité de notre logistique aussi, qui peut aider à positionner la France comme un « hub » pour l’activité des entreprises chinoises en Europe. Mais sans être tout de même, trop naïfs…

Fabrice Hatem

Entretien avec Christian Milelli, chercheur à l’université de Paris X-Nanterre, spécialiste des firmes multinationales.

Comment sont financés les investissement chinois et indiens à l’étranger ?

Essentiellement par fonds propres. Les firmes chinoises, qui sont pour une part importante des firmes publiques (70%), ont directement accès aux réserves de change provenant des excédents commerciaux chinois, dans le cadre de la politique zou chu qu (go outside) lancée en 1985 et réactivée durant les 5 dernières années. Les entreprises indiennes, en majorité privés, disposent de fonds propres substantiels résultant du boom des profits consécutif à la libéralisation de l’économie indienne en 1991. Ceci n’exclut pas dans certains cas, notamment lors d’opérations de fusions-acquisitions importantes, l’appel aux marchés financiers internationaux.

Faut-il craindre leur implantation en Europe ?

La réponse est mitigée. Les investissements menés par les entreprises chinoises et indiennes sauvegardent et/ou créent des postes de travail en Europe, sont facteurs d’innovation et de concurrence. Mais de nombreuses entreprises chinoises transfèrent vers leur pays d’origine les équipements et savoir-faire obtenus lors d’opérations d’acquisition en Europe. Quant aux indiennes, Tata Consulting Services ou Ranberys, elles étoffent leurs réseaux de distribution en Europe, mais les approvisionnent largement par des productions réalisées chez elles. L’impact sur notre balance commerciale est donc plutôt négative.

Sont-elles gérées comme les firmes occidentales ?

Dans le cas des grands groupes, qu’ils soient publics, comme souvent dans le cas chinois, ou privés (cas indien : TCS, Infosys ou Dr Rebbys , …) les maisons mères et leurs filiales sont dirigés par des managers professionnels, ce qui les rapproche de leurs concurrents occidentaux. Par contre, dans le cas de filiales d’entreprises moyennes, la dimension familiale est plus prononcée, ce qui se traduit par les caractéristiques suivantes : fermeture du capital, postes de direction détenus par les membres de la famille ou des alliés, gestion paternaliste.

A paraître : D. Hochraich, M. MacCartney et C. Milelli (dir.), The Indian economy in the era of financial globalisation, 2007.

Pour quelques données actualisées enfin 2007 sur les investissements en provenance des pays du sud, cliquez sur le lien suivant : BRIC (pdf)

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