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Danse et danseurs

Itinéraire de Jorge Rodriguez

Editeur : La Salida n°48, avril-mai 2006

Auteur : Francine Piget

Un grand danseur, un homme de coeur : Jorge Rodriguez

Le Temps du Tango a tissé depuis longtemps des liens d’estime et d’amitié avec Jorge. C’est lui qui a animé le premier stage à Prayssac, il y a de cela dix ans. Nous avons voulu en savoir plus sur le parcours de cet éternel jeune homme, qui a accepté de nous parler à coeur ouvert.

« Je suis né à Rio Tercero près de Cordoba au nord de Buenos Aires où j’ai fait toutes mes études. Très jeune, j’étais déjà attiré par la danse mais mes parents n’avaient pas les moyens de me payer des cours. Une troupe de théâtre amateur s’était installée dans le ciné-théâtre de la ville et, par ce biais, j’ai pu suivre des cours de théâtre et mon oncle « Polo » m’a payé ma première école de danse. À 17 ans, j’ai obtenu le diplôme de professeur supérieur de danse et j’ai été engagé dans la troupe « Le Grand Ballet Argentin de Cordoba », ce qui m’a permis de tourner en Amérique Latine et en Europe.

La troupe est aussi passée en France. Un jour de relâche, j’ai laissé mes camarades et je suis resté toute la journée dans un jardin en face de Notre-Dame. C’est là que j’ai décidé de vivre à Paris et de ne pas rentrer en Argentine avec la troupe à la fin de la tournée. J’avais 23 ans.

En revenant d’Allemagne vers la France, j’ai été contrôlé dans le train à la frontière. Je ne m’étais pas aperçu que mon visa était périmé depuis deux jours. Je fus donc prié de descendre du train, à Saarbrücken. Il me fallait absolument renouveler mon visa. J’ai attendu l’ouverture du Consulat et j’ai demandé à être reçu par le Consul qui se révéla être Madame le Consul. Cette dame, au vu de mes papiers prouvant que j’étais danseur dans une troupe, accepta de renouveler mon visa. N’ayant pas été payé par le producteur à la fin de ma tournée, je n’avais que cinq dollars en poche. Alors j’ai supplié Mme le Consul qui finit par accepter de me faire un renouvellement pour deux jours. Ne sachant pas quoi faire pour la remercier, je me suis mis à danser rien que pour elle dans son bureau. C’est une belle histoire. Je suis arrivé à Paris avec la danseuse Rosa Hakimian et nous avons été reçus par un couple d’amis danseurs « Goyo y Cristina ». Bien sûr, ma première visite fut pour la Préfecture de Police qui régularisa ma situation.

Je fus engagé dans la troupe Karumenta grâce à un ami danseur, Carlitos Tieppo, et j’ai participé à des animations pour des retraités où l’on était payés 50 francs par jour… pas de quoi payer un loyer. Puis, j’ai rencontré le guitariste Leonardo Sanchez qui venait aussi de Cordoba, et nous avons travaillé dans le spectacle Libert’ango (1984) au Theâtre de Plaisance à Paris.

Ce fut ensuite ma rencontre avec la danseuse Gisela Graef-Marino qui venait de la danse-jazz. Mon aventure dans le tango à Paris commença avec elle. Après le succès de Libertango, Leonardo, Gisela et moi créâmes la troupe « Gomina » et les spectacles « Como un tango » (1985), « Aguantango » (1988) que nous jouâmes aux Trottoirs de Buenos Aires à Paris et notamment en Allemagne.

J’ai dansé avec Gisela pendant six ans, ensuite avec la danseuse Silvia Bidegain pendant deux ans. À l’époque, nous dansions avec des chorégraphies très structurées. Aujourd’hui, c’est plus improvisé, je définis des codes, j’installe des rendez-vous chorégraphiques.

Pour moi, cette approche est « plus vraie ». Danser le tango, c’est le souffrir dans l’instant même. Il y a une grande communion entre les deux partenaires. La relation de couple est une question d’intensité.

En 1993, j’ai commencé à danser avec Teresa Cunha qui venait de la danse contemporaine, danseuse de Maguy Marin. Nous avons dansé une très belle histoire pendant cinq ans, notam-ment la création du spectacle Fatal Tango avec la chanteuse Sandra Rumolino sous la direction musicale du pianiste Gustavo Beytelmann. Après, j’ai dansé avec Bibiana Guilhamet pendant quatre ans et aujourd’hui je travaille avec Maria Filali.

Puis j’ai été rattrapé par le théâtre, d’abord la rencontre avec la metteur en scène Camilla Saraceni avec qui nous avons créé Pas à Deux ; Charbons Ardents et Tangos verduras y otras yerbas.

En 2001, Jorge Lavelli m’a appelé pour jouer dans L’ombre de Venceslav de Copi et Alfredo Arias dans María de Buenos Aires d’Horacio Ferrer et Astor Piazzolla.

Mon épouse Sandra fut mise sur ma route un jour où il manquait une chanteuse dans la troupe Gomina. Nous avons travaillé ensemble pendant une année… et puis, un jour, en tournée, il nous est apparu évident que nous nous aimions. Rentrés à Paris, nous avons commencé à vivre ensemble. Notre premier achat en commun fut un piano. Quand nous avons décidé de nous marier, nous avons fait la fête aux Trottoirs de Buenos Aires. Depuis, nous faisons ensemble des spectacles, des stages, l’ouverture de la Milonga de l’Ermitage avec la généreuse complicité de Geneviève Thermoz qui nous a toujours accompagnés, notre engagement avec l’Association « Mirando al Sur – Regard au Sud » en solidarité avec les enfants de La Matanza (un des quartiers les plus défavorisés de Buenos Aires). Mais notre plus belle réussite, ce sont nos trois enfants Facundo Mateo et Rafael, bien que ce ne soit pas toujours facile de mener de front une vie d’artiste et une vie familiale ».

Merci, Jorge de nous avoir laissé pénétrer dans ton intimité.

Propos recueillis par Francine Piget

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