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Poésie et littérature

Tendances récentes de la poésie tanguera : entretien avec Héctor Negro

negro La Salida n° 27, Février-mars 2002

Auteur : Fabrice Hatem (Entretien avec Héctor Negro)

Tendances récentes de la poésie tanguera

Héctor Negro est l’un des principaux représentants, avec Eladia Blasquez et Horacio Ferrer, de la génération poétique des années 1970. Il a publié de nombreux recueils, parmi lesquels : Bandoneon de papel, Para cantarle a mi gente, De tango, de futbol, Y de lunfardo. Parmi ses tangos les plus connus, on peut citer Esta cuitad, Un lobo mas, Para cantarle a mi gente de Buenos Aires morena, Siga cantado nomas, Milonga de andar con alas, Tiempo de tranvias, Bien de abajo, Viejo Tortoni, Mi ciudad y mi gente, Hoy te encontre Buenos Aires, Desde el Tablon. Il a collaboré avec de nombreux musiciens de son époque, comme Raul Garello, Carmen Guzmàn, Osvaldo Avena, Arturo Penòn, Eladia Blasquez… Sa poésie porte sur les thèmes du Buenos Aires actuel, la révolte et l’espoir populaires face aux problèmes sociaux et ç la représentation politique. Il a accepté de parler à La Salida de son expérience de créateur ainsi que des tendances actuelles de la poésie tanguera.

Que pensez-vous des tendances actuelles de la poésie du tango ?

Les années récentes ont vu naître beaucoup d’œuvres de grande valeur. C’est prometteur. A certains concours de littérature tanguera que j’ai présidés, j’ai vu plus de 400 œuvres en compétition, d’auteurs souvent inconnus, mais en général de grande qualité. On peut citer par exemple Roberto Diaz, Acho Estol, Marìa del Mar Estrella, Miguel Jubany, Gloria Marcò, Ernesto Pierro, Julio César Pàez, Hugo Salerno, Roberto Selles, Alejandro Szwarcman, Héctor Reinato, Raimundo Rosales… La relève de la génération des années 1970 – qui continue par ailleurs à produire – est donc assurée. Nous publions beaucoup de ces poèmes dans notre revue Buenos Aires, Tango y los demas. Mais c’est aussi très important qu’ils soient mis en musique. Reynaldo Martin et Saùl Cosentino ont récemment gravé des CDs avec des auteurs nouveaux, qui ont ainsi pu être révélés au public.

Pourquoi les thèmes politiques, la révolte ont-ils été finalement assez absents de la chanson tanguera ?

Le thème de l’injustice est présent dans un grand nombre de tangos. Mais seuls quelques auteurs en ont fait un thème majeur de leurs créations. On parle plutôt du souvenir et du faubourg. Par exemple, Manzi était un homme de grande conscience politique, et défenseur de la cause populaire. Mais il s’est surtout dédié dans sa poésie à la nostalgie, aux faubourgs, aux thèmes sentimentaux, sans qu’il y ait contradiction entre sa pensée et son œuvre poétique.

D’autres auteurs, comme Flores ou Marambio Cantàn, étaient davantage sensibles à la thématique sociale. Mais il s’agit plutôt d’une littérature de témoignage, d’un cri de révolte face à la réalité que d’une œuvre politiquement engagée. Parfois, au détour d’une chanson, un vers ou une petite phrase évoquent la réalité sociale : dans Acquaforte de Marambio Cantàn, un « bacan » (un « rupin ») boit avec une fille l’argent qu’il a refusé à son ouvrier, pendant qu’une fillette mendie du pain à la sortie de la milonga.

Cependant, dans les années 1930, beaucoup d’auteurs, parfois d’inspiration anarchiste, ont donné un écho important aux thèmes de la misère et de l’injustice, comme Antonio Podestà, ou Mario Battistella, qui raconte dans Al pie de la Sana Cruz l’histoire d’un ouvrier expulsé pour avoir organisé une grève. Agustin Magaldi a aussi chanté des tangos comme ceux d’Arquimenes Arci, qui parlaient des injustices sociales.

Comment définiriez-vous la poésie du tango ?

Les vers destinés à la chanson tango doivent avoir une structure, une forme spéciale, que l’auteur doit dominer. On a, par exemple, une alternance couplet-refrain-couplet qui est fondamentale. De plus, la prosodie des vers faits pour être chantés est particulière. Il faut que la forme oit chantable avec naturel. Beaucoup de bons tangos ont, par exemple, été écrits sur une mélodie déjà préexistante, comme par exemple, les poèmes de Garcià Gimenez sur les musiques de Anselmo Aieta, ou ceux d’Homero Expòsito sur les musiques de son frère Virgilio ou de Atilio Stampone. C’était vrai aussi pour Manzi ou Càtula Castillo. Ce dernier, avant d’être poète, a été musicien et il avait la mélodie dans la tête en écrivant ses vers.

Comment se déroule votre propre collaboration avec les musiciens ?

Cela dépend des cas. Parfois, c’est le poème quoi s’adapte à une musique préexistante, parfois c’est l’inverse. Osvaldo Avena m’a souvent donné d’abord une mélodie, sur laquelle j’ai écrit des vers, et il a ensuite corrigé de nouveau sa musique. Il s’agit là d’un travail simultané. J’ai aussi beaucoup travaillé sur des mélodies originales de Carmen Osvaldo. Mes premières chansons ont été écrites pour le carnaval, et j’ai travaillé sur des mélodies existantes, pour y mettre des vers….

Propos recueillis par Fabrice Hatem

Annexe : « Tango et littérature », bibliographie commentée

Cien tangos fundamentales, par Oscar del Priore et Irene Amuchastegui, Editions Aguilar, Buenos Aires 1998 : la petite histoire de la naissance des tangos les plus souvent interprétés.

Les chemins du tango, Jean-Luc Thomas, Editions Atlantica, 1998 : pour d’intéressantes présentations des acteurs du tango contemporain, dont notamment les poètes.

Le Tango, Horacio Salas, Editions Actes sud, 1989 : ouvrage de référence sur l’histoire du tango, avec un important volet littéraire.

Homero Manzi y su tiempo, Horacio Salas, Editions Vergara, 2001 : une excellente biographie du poète.

Sentir el tango, Encyclopedia del tango, Editions Altaya, 1998 à 1999 : série très complète de 72 fascicules, avec une très riche documentation iconographique.

http://agentina.informatik.uni-muenchen.de/tangos/: plus de 7000 textes sur le tango.

Evaristo Carriego, Jorge Luis Borges, Editions La Pléiade, 1955 : avec un chapitre consacré au tango.

El libro del tango, Horacio Ferrer, 3 volumes Editions Galerna, 1977: une histoire monumentale du tango, dont une bonne partie sur la littérature.

Las letras del tango, Eduardo Romano, Editions Fundacion Ross, 1995 : textes commentés de 500 tangos parmi les plus connus.

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