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Musique et musiciens d'hier

« Pugliese impressions… », Conversations avec Nélida Rouchetto

pugliese3 Editeur : La Salida n°43, avril-mai 2005

Auteur : Susana Blaszko

« Pugliese impressions… », Conversations avec Nélida Rouchetto

Chaque fois que je retourne à Buenos Aires, je revois avec plaisir mon amie Nélida Rouchetto, journaliste, écrivain, directrice de la Casa del Tango à Buenos Aires, et l’une des plus grandes théoriciennes actuelles du tango.

La dernière fois, j’ai interrogé Nélida sur ce qu’elle avait écrit il y a plus de 20 ans sur le compositeur et pianiste argentin Osvaldo Pugliese (1905-1995) et sur son apport fondamental au tango. « Je n’ai pas changé d’avis, a-t-elle indiqué, tout en insistant « sur son extraordinaire capacité à saisir les sentiments intimes de l’être humain et à les projeter dans le domaine du populaire ».C’est la force des grands créateurs de la musique universelle »..

Interrogée sur tous ceux qui -jeunes ou moins jeunes- essaient de prolonger le « style » Pugliese, Nélida se montre quelque peu réservée : « A mon avis les deux seules formations qui sont proches de l’identité et de l’esthétique « pugliesiana » sont celle de sa fille Beba Pugliese et à ses débuts la Orquesta Tipica Fernandez Branca. Pour les autres, plutôt que de prolonger le « cycle » commencé en 1943 j’ai l’impression qu’ils le referment… ».

Pugliese et la danse…. Voici un thème cher aux milongueros du monde entier, qui aux toutes premières notes de la « Yumba » ne peuvent plus tenir sur place…. Le maître a toujours souligné que jouer pour les danseurs ne réduit pas la qualité artistique d’un compositeur ou d’un interprète. « Il a même repêché de l’indifférence le style de Di Caro », estime à ce sujet Nélida.

Essentiellement modeste, – « Probablement j’ai eu tendance a me faire oublier derrière mon piano et à ne pas briller en tant qu’interprète » a-t-il admis-, Pugliese est également un musicien sans concessions, qui lutte contre le superficiel. Il ne trompe pas son public avec des lieux communs.

Pugliese ne conçoit pas de ne jouer que des solos de piano au sein de son Orquesta Tipica. Pour lui cet instrument doit être au service de la formation et notamment de la composition. En tant que « régulateur », le piano met en valeur chaque instrument. . « Jamais l’unité de forme et de contenu ne se dilue, c’est un véritable exemple de grandeur et de modestie », indique notre amie.

Figure menue, flexible comme un jonc, avec une démarche ondoyante, de la tendresse et de la « picardia « dans les yeux;…C’est ainsi que Nélida se souvient de Osvaldo Pugliese qui fonda en 1967 la Casa del Tango à Buenos Aires avec d’autres personnalités du tango, parmi lesquelles notre interlocutrice. Fondation qui avait pour but de promouvoir et de défendre le tango en tant que « patrimoine national » dans une période où il était assailli de partout…

Pugliese possédait l’autorité naturelle de homme intègre et de l’artiste épanoui. Il ne s’inquiétait pas seulement de ses propres possibilités d’expression en matière de tango. Il était ému par les injustices, par le manque de travail de ses collègues, par la confusion des nouvelles formes structurelles du tango au détriment du contenu, indiquait déjà Nélida dans son livre de 1979 Il regrettait également que Horacio Salgan n’ait pas un bon orchestre et il était profondément touché par la mort de Carlos Di Sarli et par les hauts et les bas de Anibal Troilo. L’égoïsme de beaucoup de ses collègues, leur vanité, leur ambition démesurée, leur recherche d’une gloire éphémère le mortifiaient aussi. Une de ses grandes préoccupations fut le manque de communication des artistes avec leur public. Il a toujours cherché et proposé des solutions …

Cependant il est bon de finir ces impressions sur Pugliese en rappelant les déclarations de Quique Lannoo, qui fut son violoncelliste, et que notre amie aime rappeler. Un témoignage qui jette une lumière intéressante et peu connue sur cet orchestre, où, à l’image du compositeur de « La Beba » et de « Recuerdo », la rigueur et le sérieux primaient…

"Il n’est pas facile de s’adapter à l’orchestre de Pugliese… Il ne s’agit pas de jouer ce qui est écrit mais de suivre l’intention de chaque secteur d’instruments, de saisir l’intention de chaque musicien. On ne sait jamais si le premier violon va a attaquer exactement à la note indiquée et c’est pareil pour les bandonéons… A un moment donné, j’ai décidé de ne plus penser à tout cela et de « plonger » dans la musique…J’ai compris alors que jouer « a lo Pugliese » (le style Pugliese) signifie qu’il faut d’abord être dans le contenu et seulement après dans la forme », indiquait Lannoo.

« Tous les musicien étaient de véritables personnages ; quelquefois ils ne se parlaient même pas. J’avais du mal à saisir comment ils jouaient dans ce climat et comment ils comprenaient ce que leur voisin faisait, poursuivait Lannoo cité par Nélida Rouchetto. J’avais l’impression d’être dans un film de science fiction, avec des personnages sortis de l’imaginaire de Borges et je me demandais : agissent-ils ainsi parce qu’ils jouent dans l’orchestre de Pugliese, ou bien forment-ils partie de cet orchestre car ils sont ainsi… ? »

Susana Blaszko

Pour en savoir plus sur Pugliese : /2006/04/28/le-musicien-osvaldo-pugliese/

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