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Le tango dans le monde

Le festival de tango à Kampen

ImageEditeur : La Salida n°36, décembre 2003-janvier 2004

Auteurs : Trond, Fred-Johans, Veronica Toumanova

Le festival de tango à Kampen

Le magazine trimestriel norvégien Tanfilen a été fondé par Anders Hovind il y sept ans. il maintenant animé par une équipe de rédaction de trois personnes. Il est édité à 250 exemplaires noir et blanc sur 16 pages en format A5. Chaque numéro est articulé autour d’un thème (humour, tango nouveau, etc.) avec un moins un interview à chaque fois, des reportages, des récits, une rubrique discographique, la présentation et la traduction d’un poème. Il existe des revues similaires dans les autres pays scandinaves : « Tango Tidene » au Danemark(h2a@get2net.dk), « Tango Nuevo » en Suède (Agneta Wallmon, Norrlandsgatan 38 d 75229 Uppsala). (remerciements à Marianne Rynning).

Souvenirs de Kampen

Kampen Tango, ça sonne bien. Unni Hermansen sait créer une atmosphère d’amitié avec ses gâteaux maison, la lumière douce et la chaleur des milongas du vendredi soir. Durant ces jours d’août, l’été s’était installée sur la ville d’Oslo, et l’on pouvait craindre que les gens ne préfèrent la plage. Mais les tangueros et tangueras sont venus de partout pour danser. nni nous salue, détendue. La chaleur écrase tout le monde et ralentit les gestes. On ne stresse pas quand il fait chaud, on ne stresse pas quand on danse le tango, ça s’annonce plutôt bien…

L’après-midi, Unni, Mike, Benni et Gertrudi organisent les cours avec juste assez de monde pour créer une atmosphère ouverte et sympathique. Le soir, Unni rajoute des orchidées et des nappes sur les tables. Cela renforce le sentiment d’intimité qui émane de cette salle joliment décorée avec des peintures inspirées du tango. Ces doux soirs du mois d’août, avec leurs spectacles et leurs bals, nous ont laissé bien des souvenirs… Trond, Veronica et Fred-Johans nous racontent, chacun à sa façon.

La brouette : un surprenant spectacle de Gertrudi et Benni d’Amsterdam

La musique commence. Il entre avec elle dans la brouette. On dirait qu’ils glissent sur le sol. Elle est assise ou plutôt moitié couchée avec les jambes pendant de chaque côté, tandis que ses bras dessinent une danse sensuelle. Ses yeux brillent, elle aime visiblement ce qu’elle fait. Lui fait des mouvements souples, musicaux, doux et lents. Leur jeu à deux séduit le public.

Il lui raconte une histoire : lorsqu’il était jeune, vivant à la ferme, il devait apprendre à se servir de la brouette. C’était difficile au début. Surtout l’équilibre. Mais après mille tentatives, il parvint à cet art difficile, et maintenant plus rien n’est impossible : il peut tout faire maintenant avec sa brouette.

Mais l’histoire se répète quand il veut apprendre le tango. L’élégance de la conduite en tango, cela a des ressemblances avec la manipulation adroite de la brouette. Doucement elle se laisse glisser de la brouette et se met à danser autour de lui. Il la regarde, pose la brouette, l’enlace et ils se mettent à danser ensemble autour de l’engin.

La musique s’arrête. Les gens applaudissent. Le spectacle a duré longtemps, mais cela nous a semblé trop court. Maintenant c’est à nous de créer des souvenirs…
Trond

The marin et la fille des rues : Un spectacle de Unni et Mike à Kampen Tango

Il n’est pas fréquent qu’un spectacle de tango raconte une histoire plutôt que de proposer une simple succession de performances acrobatiques. C’est ce que fait « Le marin et la fille des rues ». Il s’agit d’une pièce de théâtre miniature en deux actes avec un intermède en forme de pantomime. Au début, on entend une célèbre valse de Jacques Brel, qui commence lentement mais s’accélère sans cesse jusqu’à atteindre une vitesse vertigineuse. Nous voyons un homme rencontrer une femme. Il porte un béret français. Elle est habillée d’un long manteau élégant et d’un chapeau noir orné de roses rouges. C’est une allusion à la France du début du siècle dernier, deux jolis clichés venant du monde du cinéma et de l’art. Avec précaution et pudeur, ils s’engagent dans la valse, d’abord lente, ici et là comiquement affolée par leur proximité soudaine, puis rendue de plus en plus aérienne par l’accélération sans répit de la musique. Un amour romantique naît entre eux à mesure qu’ils répètent les mêmes pas de valse, encore et encore, plus vite à chaque fois. Mais la danse finit brutalement à son point culminant – comme le fait la romance. Nous voyons le couple se séparer, l’homme s’en allant, le femme restant en arrière. Est-il allé à la guerre ? Ont-ils perdu trace l’un de l’autre ?

Dans la pantomime suivante, nous voyons que la fille autrefois décente est devenue. Elle enlève son chapeau et son manteau, découvrant une courte guépière de soie dont la fonction ne laisse aucune doute. D’un attaché-case noir, elle sort les autres attributs de sa nouvelle profession. Peu sûre d’elle, inexpérimentée, nous la voyons errer sur la scène, lançant des regard aguicheurs aux hommes de l’audience, jusqu’à ce que l’un d’eux lui réponde. Il est saoûl et plein d’entrain. Cela me prend quelques secondes après le choc initial avant que je ne réalise que sa marche hésitante fait partie du spectacle. Il pelote et poursuit la fille, qui est effrayée. A un moment, le public retient sa respiration, tandis qu’il la serre contre un pilier, en fouaillant sous sa robe. Et c’est à ce moment, sur un tango de Piazzolla, que le sauveur fait son entrée. Il ne porte plus de béret. L’homme, qui est allé à la guerre, est devenu marin. Il lui suffit d’un regard pour faire fuir l’agresseur. Il réalise ensuite qu’il a déjà rencontré la fille auparavant.

Elle s’en rend compte aussi, elle est trop blessée, trop effrayée, trop malheureuse pour se laisser aller à ses sentiments. C’est la partie la plus dramatique et émouvante du spectacle. Les deux protagonistes réalisent la triste réalité de leur seconde rencontre, avec aussi de doux souvenirs, de l’intimité, de l’affection, et le regret du temps passé qui ne reviendra plus. Tout cela est dit sans mot, dans le dialogue gracieux et tranquille de la danse, tandis que les deux protagonistes se retrouvent. Autrefois stéréotypés, presque caricaturaux, ils sont maintenant devenus de véritables êtres humains. S’agit-il d’un happy end ? Qui peut le dire ? Mais c’est cette concentration sur l’histoire, cet équilibre entre humour et gravité, qui fait du « Marin et la fille des rues » l’un des spectacles de tango les plus touchant auxquels j’ai jamais assisté.

Veronica Toumanova
Un tango pour 3

C’est le dernier soir. Mes jambes n’étaient pas habitue a danser autant et j’étais un peu fatigué. Je me suis laissé aller dans un fauteuil profond en croissant les bras, signalant ainsi que non, maintenant je ne voulais plus danser.

Mais la femme qui s’avançait vers moi n’a rien voulu voir tout cela. Je n’avais jamais dansé avec elle. Je ne la connaissais pas. Voyant qu’elle était enceinte et sentant mes jambes douloureuses, j’ai eu envie de refuser, mais elle m’a fait un si joli sourire, alors que je m’étais renfermé dans un coin sombre de la salle, que je n’ai pas pu lui dire non. Comment a-t-elle fait pour me trouver, en ignorant mon attitude plutôt renfermée ?

Je m’aperçois, en dansant, qu’elle veut s’amuser, jouer avec moi. Parfois, l’on sait dès le premier pas qu’on est sur la même longueur d’ondes avec son partenaire, que l’autre va tout comprendre, qu’il semble entendre la musique exactement comme on l’entend soi-même. Et j’avais tout cela, maintenant. Avant qu’elle vienne me chercher, je ne savais pas que cela allait arriver. Mais elle le savait. C’était fantastique. Ma douleur, ma fatigue étaient oubliées. Merci à toutes les deux – car elles étaient bien deux -. Vous m’avez donné un souvenir inoubliable de ce festival de Kampen un soir d’août a Oslo.

Fred Johans

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