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Musette et tango : deux mondes aux fortes similitudes

salida34 musetteEditeur : La Salida, n°34, juin à septembre 2003

Auteur : Pierre Lehagre

Musette et tango : deux mondes aux fortes similitudes

Origine, lieux, rites, danse, musique : les liens entre la danse musette et le tango argentin sont nombreux. C’est ce que nous avons voulu montrer par cette enquête qui est aussi un plaidoyer pour la survie du « musette » en voir de disparition.

Origines

Le « vrai »musette parisien est très différent des danses populaires dites de « dancing » enseignées dans les écoles de danse. Il s’agit d’une danse à petits pas glissés. Il a toujours été pratiqué au sein d’un milieu très populaire, et si le tango argentin a parfois aujourd’hui un caractère élitiste, il s’agissait à l’origine d’une danse des bas-fonds. Le « folklore » du tango est exactement similaire à celui du musette des origines : le monde des prostituées et des souteneurs, l’ambiance du bal, la manière d’inviter les femmes à distance depuis l’autre bout de la salle en sifflant la fille. Selon Bruno Gourier, « Les danseurs s’étreignaient de la même façon, et l’on trouvait le même type de paroles dans le tango et dans les chansons dites réalistes parce que la misère était identique pour le petit peuple…. » Pour Roger Chenault, Les « apaches » voyous parisiens et figures typiques du milieu musette ne sont, au fond, que la version parisienne des guapos et autres malevos du tango…

Lieux

salida34 musette2Tango argentin et musette sont des danses de couple nécessitant des salles spacieuses et un sol de qualité. Les salles offrant ces ressources -souvent des lieux musette traditionnels – voient donc souvent alterner les soirées des deux catégories.: par exemple au Balajo, ou au Tango rue au maire, ou encore au Rétro République…. Dans certains de ces endroits, on n’hésite pas à cultiver les soirées à thème et à mélanger les danses et les publics…. par exemple au Chalet du Lac, à l’Evasion, à la salle des fêtes de Melun, à la ferme d’Arvigny, à Croissy Beaubourg, au Catalogue à Arpajon, chez Gégène ou au Petit Robinson à Joinville le Pont, ou encore au moulin de Sannoy…On voit dans ce lieux de plus en plus de danseurs musette danser le tango argentin lorsque les musiques s’y prêtent.

Isabelle Géronimi anime depuis deux ans avec José-Luis Lussini et Chantal XXX un bal tango dans la guinguette « Le Petit Robinson ». Un jour, Isabelle découvre ce lieu, et appelle tout de suite José-Luis, pour lui dire : « Je viens de flasher sur une guinguette qui ressemble énormément à nos milongas de Buenos-Aires, notamment au salon Canning…. ». « Il était important pour nous que ce soit une grande piste carrée sans poteau au milieu, avec des tables en dehors de la piste où l’on puisse consommer et se restaurer…. » poursuit Isabelle. Nous l’avons appelé « El Marne » parce que cette guinguette se situe au bord la Marne, et aussi en hommage au tango du même nom d’Eduardo Arolas. Il s’agit de la plus vieille guinguette de Paris en activité, puisqu’elle à plus de 100 ans. Quand le tango argentin est venu en France, au début du 20ème siècle, il est évident que les danseurs de l’époque dansaient déjà dans ces lieux des tangos tels que el choclo ou la cumparsita, comme encore aujourd’hui. On peut encore voir une photo d’époque de Carlos Gardel dans la première salle… »

Comportements et rites

Le musette et le tango on en commun un aspect de « rite social ». « A Buenos Aires, les gens se préparent longtemps à l’avance pour aller danser, particulièrement dans les milongas d’après-midi qui sont très similaires aux guinguettes », nous explique Isabelle. Il y a également un côté familial, toutes les générations se cotoyant. « Je sors souvent avec ma tante et ma mère. Nous choisissons avec soin les personnes qui vont partager notre table… Ma mère ne veut pas que des hommes viennent à notre table, sinon nous ne sommes pas invités, il ne faut pas non plus être à côté de gens qui ne dansent pas…. Le champagne est aussi une composante très importante de la fête. Il existe d’ailleurs un tango qui s’appelle « champagne tango ».

En tango comme en musette, la façon d’inviter a évolué au cours du temps. Très cavalière aux origines, elle s’est progressivement polissée, avec échanges de regards et signes de tête (le « cabeceo » argentin). Pour Roger : « C’est avant tout une question de tact, quand je m’avançais vers une femme, si elle me regardait, je faisais un signe de tête, et nous nous levions pour danser. Si je voyais qu’elle fuyait mon regard je continuais mon chemin en renonçant à l’inviter. C’était pour elle une manière discrète de refuser la danse. Parfois elle disait « je suis promise » et dans ce cas elle ne devait pas danser avec une autre personne. Mais ce temps est révolu. Aujourd’hui, une femme aussi peut inviter un homme s’il n’est pas accompagné… »… Comme dans le tango.

Et dans les deux cas, gare aux mauvais danseurs ! Un vieux danseur de musette raconte qu’à l’époque de la Libération – il avait alors 15 ans et ne maîtrisait pas bien la valse – il n’était pas rare qu’il se fasse « sortir » car il n’avançait pas assez vite et gênait les autres couples. « J’ai su que je savais bien danser la valse quand on m’a laissé terminer ma danse et que l’on ne m’a plus expulsé de la piste… ». Cela rappelle certaines milongas de Buenos-Aires, où l’on n’hésite pas à rappeler à l’ordre les danseurs qui ne respectent pas la norme…..

Danse

Le musette est une danse intériorisée, peu spectaculaire, centrée sur le plaisir un couple. Le nombre de figures est limité, et l’intérêt de la danse réside dans la qualité d’exécution et la musicalité des danseurs. La position des danseurs de musette est par ailleurs très proche de l’abrazo des milongueros. Selon Roger, « il existe une analogie énorme dans cette danse où l’on danse serrés joue contre joue, la main de la femme sur la nuque du garçon, par contre on n’a jamais de position pyramidale. La femme qui adore danser se sent beaucoup plus en harmonie avec son partenaire par exemple pour faire une toupie, si elle est bien enlacée, bien tenue. Il ne faut pas hésiter à avoir un certain contact comme en tango argentin. » On retrouve aussi des figures communes, comme par exemple les huit, simples ou doublés, appelés « serpentine » en musette.

De même qu’il existe des façons de danser le tango spécifiques aux différents quartiers de Buenos-Aires, certaines régions françaises ont leur style particulier de musette. C’est par exemple le cas du Racatti marseillais (du nom d’un quartier populaire de la ville), au style plus lent que le musette parisien.

Musique

Il s’agit dans les deux cas de musiques métissées nées de l’apport de populations immigrées. Originellement, la musette était un instrument de musique traditionnel joué par les auvergnats venus travailler à Paris (appelée aussi Cabrette). L’accordéon, instrument très joué par les ouvriers italiens, a fini par supplanter la cabrette, comme le bandonéon a supplanté la flûte dans les orchestres argentins des origines.

Les échanges entre les deux styles ont été nombreux. On retrouve de l’accordéon dans un certain nombre d’orchestres argentins (Edgardo Donato…), tandis que les orchestres musettes de l’époque jouaient également du bandonéon. De nombreux orchestres argentins ont séjourné à Paris (Bachicha, Canaro…). De nombreux titres argentins ont été intégrés au répertoire musette (El choclo, la Cumparsita, Felicia, Jalousie….)

Mode de transmission

Dans les milieux populaires de Paris ou de Buenos-Aires, il n’existait pas d’école pour apprendre le musette ou le tango argentin. Dans les deux cas, l’apprentissage se faisait dans le bal. Bruno raconte ainsi son apprentissage du musette : « j’ai appris à danser avec des femmes plus âgées qui m’ont collé contre elles et m’ont transmis leur savoir quasiment par transfusion de corps à corps ! En m’imposant le mouvement ». Ce mode de transmission entre génération se retrouve aussi dans le tango argentin des milieux populaires.

Et l’avenir ? le tango argentin connaît un renouveau évident alors que le musette est en train de s’éteindre lentement…. Il est important d’assurer la survie de ce qui constitue une partie de notre patrimoine culturel. Profitez du travail de sauvegarde qu’a fait Roger et allez suivre les stages réguliers de Bruno et Sylvie (le prochain le 7-8-9 juin à Bézier).

Pour en savoir plus

salida34 musette3 Roger Chenault a écrit un roman sur le monde du musette, intitullé « Les amoureux du bal », ainsi qu’une méthode d’enseignement de la danse musette et une méthode de tango argentin. (site www.rogerchenault.fr),

Bruno Gourier et Sylvie Biancarelli donnent régulièrement des stages de musette parisien, qui se compose des danses suivantes : valse musette appelée aussi toupie, samba, boléro et tango (site www.musette.info).

Pierre Lehagre (pierre@letempsdutango.com)

Le Racatti, équivalent marseillais du Musette

Le Racatti est un style danse à petits pas, pratiqué dans les balletis (bals populaires de Marseille), et dans doute apparenté au folklore piémontais. Son nom vient d’un quartier de Marseille situé entre la butte Saint-Charles (à l’emplacement de la gare actuelle) et le quartier de Saint Lazare. D’abord dansée par les immigrants italiens, sur des rythmes de polka, de mazurka ou de valse, elle était pratiquée dans un milieu très populaire : « cacous » ou mauvais garçons, et « cagoles », filles vulgaires aux mœurs douteuses. On invitait les filles en sifflant et les « bourgeois » cravatés n’étaient pas les bienvenus. Elle a été immortalisé par la « valse Racatti » de Vincent Scotto. Ce type de valse se danse à petits pas très rapides, donnant un mouvement tournant de toupie.

A lire : si Marseille m’était dansé, de Vincent Fayola. Remerciements à Henri Adalid

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