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Tangueros et tangueras

« Le tango : une danse pour la vie »

Editeur : La Salida, n°33, avril-mai 2003

Auteur : Pierre Lehagre

« Le tango : une danse pour la vie »

Quel est aujourd’hui le regard des jeunes « aficionados »sur le tango ? Pour le savoir, la Salida a interviewé cinq couples de danseurs, âgés de de 23 à 27 ans, certains encore étudiants, d’autres rentrés récemment dans la vie professionnelle. Leur vision, associant intérêt pour les innovations contemporaines et respect des traditions, est très encourageante pour l’avenir. Pas d’inquiétude, le tango n’est pas mort et la relève semble bien assurée !

Beauté de la danse, attirance pour l’Amérique latine. Les motivations des jeunes tangueros sont très proches, par beaucoup d’aspects, de celles de leurs anciens. Il y a bien sûr la beauté de la danse. Ainsi, Thomas a été attiré « par la sensualité de cette danse, son côté esthétique et technique, plus exigeant et moins commun que la salsa». Aude : « J’ai toujours rêvé de danser le tango que je connaissais par la télé et les films, et par la musique ». La passion pour l’Amérique latine est également évoquée, comme dans le cas de Benoît : « je suis passionné d’Argentine et j’ai l’ambition d’aller travailler un jour là-bas ».

Beaucoup de danseurs sont venus au tango à partir de la pratique d’autres danses, comme Benoît : « Nous sommes amateurs de danses latines et nous avons commencé par la salsa. Un de nos amis nous a dit que la pratique du tango l’avait beaucoup aidé dans la salsa pour le guidage, la tenue et la musicalité … ça nous a incité à nous lancer. ». Helen : « Je pratiquais les danses de salon et j’ai voulu connaître le tango ». Beaucoup ont été frappés par la plus grande liberté offerte par cette danse, comme Jeanne : « j’ai assisté à des bals. Je trouvais cela très sensuel et j’avais l’impression d’une plus grande liberté que dans d’autres danses comme le rock ou la salsa. En salsa, il y a un pas de base et on construit dessus, tandis que dans le tango, les couples créaient des mouvements incroyablement compliqués et extraordinaires »

Le rôle de la musique contemporaine. Mais, fait intéressant, beaucoup sont venus à la danse par l’écoute de la musique contemporaine, comme Safia : « J’écoutais la musique d’Astor Piazzola, et je suis allée dans des milongas pour voir. J’ai découvert une danse très belle avec beaucoup de complicité entre partenaires.». Emmanuelle et Mathieu quant à eux ont « craqué » pour « Epoca » de Gotan Project : « On veut ouvrir le bal de notre mariage avec cette chanson, je pense que nos parents vont être épatés car ils ne s’y attendent pas. Ils ne nous ont jamais vus danser auparavant… C’est plus original que la traditionnelle valse….».

C’est pourquoi ces jeunes tangueros sont dans l’ensemble, attirés par les sonorités nouvelles, comme Benjamin : « Gotan Project se danse très bien. Cette musique s’écoute plus facilement qu’un tango traditionnel, qui est moins accessible ». Ils sont également ouverts au mélange des genres, comme Safia : «on peut danser même sur de la salsa, on peut s’amuser, adapter le tango, le rendre plus souple. J’aime bien détourner la danse et l’ouvrir vers d’autres rythmes. ». Certains reconnaissent cependant que certaines musiques contemporaines sont moins adaptées à la danse, comme François : « Piazzola et les musiques modernes sont destinées davantage à l’écoute qu’à la danse, avec une rythmique très difficile à interpréter. En bal ce n‘est pas évident à danser mais très agréable à écouter. Pour l’instant pour moi, il y a un tango à écouter et un tango à danser. ».

Entre innovation et tradition. Ringard, le tango ? Pas du tout, si l’on en croît nos jeunes aficionados, comme Benoît : « quand on danse le tango devant nos amis, ils apprécient… En plus avec des musiques comme Gotan Project, c’est vraiment moderne. C’est ce genre de musique qui permettra un renouveau du tango. Dans notre génération, les jeunes ne trouvent pas ça ringards, nos parents (40-50ans) trouveraient peut-être ça démodé mais nous, pas du tout. On voit de plus en plus de jeunes pratiquer le tango…. »

Cette démarche novatrice ne les empêche pas de respecter la tradition et de cohabiter avec les anciens, comme Benjamin et François : « Danser avec des personnes plus âgées ne nous dérange pas. En tant que débutants, ce sont souvent des danseuses expérimentées qu’on hésite à inviter, mais il s’agit plus d’une question de niveau que d’âge. Cela nous laisse entrevoir de belles années de danse devant nous.». Safia insiste sur de côté familial de cette cohabitation : « souvent les danseurs âgés ont un bon niveau, c’est agréable et extrêmement convivial. Ma mère s’est aussi mise au tango. Quand je vais la voir nous sortons ensemble, le tango peut aussi être familial et c’est très bien… Il y a ainsi une complicité inter-génération ». Quant à Emmanuelle, le tango lui rappelle des souvenirs d’enfance : « Quand j’étais petite, les Noëls où mes parents dansaient le tango à Noël. C’est bien de moderniser ce coté rétro ».

Même équilibre entre modernité détendue et respect de la tradition en ce qui concerne les codes vestimentaires. Pour Jeanne : « L’habillement peut évoluer suivant le contexte. Il faut pouvoir changer. Je me souviens d’un danseur en tennis et jogging. C’était malgré tout assez réussi. » François : « il faut être à l’aise, on se s’habille pas de la même façon pour une pratique ou un grand bal. ». Safia est un peu plus traditionaliste : « même si c’est cool, je n’aime pas trop le style « tennis » pour la femme qui donne une impression de ressort. Je préfère l’élégance des danseuses portant des talons. J’ai l’impression que pour certains le tango n’est concevable qu’en baskets et je trouve ça dommage, car cela pourrait être encore plus joli…. »

Une danse expressive et exclusive. La subtilité et l’expressivité de la danse, par opposition à d’autres danses de salon, est fréquemment évoquée. Pour Benoît, « le tango est plus subtil, la salsa est plus rapide. Les mouvements du corps viennent naturellement avec la vitesse du mouvement, c’est plus dynamique, alors qu’il vaut vraiment être attentif pour donner un style, un mouvement tango. ». Pour Benjamin : « l’aspect technique rend le tango plus élégant. Il y a un maintien du corps contrairement à la salsa où c’est trop souple. ». La diversité des possibilités d’interprétation, la fusion entre danse et musique sont également appréciées. Safia : « Les différents orchestres permettent d’être plus expressifs dans le style, dans les mouvements, alors que dans la salsa c’est répétitif. » Mathieu : « en tango on fusionne davantage la musique et la danse, plus qu’en valse où les mouvements sont répétitifs. En tango on improvise ce qui rend les pas plus variés ». François : « Dans le tango, on n’est pas limité à un seul type d’expression. La salsa est sensuelle aussi mais c’est avant tout sportif, plus rapide, plus fatiguant ».

Comme pour leurs anciens, la passion est là, dévorante et exclusive, comme pour Safia et François : « Au début on dansait la salsa mais maintenant on ne danse plus que le tango. Le tango est très exclusif… Benjamin : « Nous avons a eu la chance de commencer le tango jeunes, et quand nous aurons l’âge des personnes avec lesquelles nous dansons parfois, nous serons bien contents d’avoir commencé tôt. Le tango c’est une danse pour la vie… »

Propos recueillis par Pierre Lehagre

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