Catégories
Tangueros et tangueras

L’évolution du pouvoir féminin dans le tango

ImageEditeur : La Salida n°28, avril mai 2002

Auteurs : Pierre Lehagre et Fabrice Hatem

L’évolution du pouvoir féminin dans le tango : attention messieurs danger !!!

On observe depuis quelques temps dans les bals et les cours de tango, un nombre croissant de femmes dansant entre elles. S’agit-il de l’expression d’un féminisme exacerbé (‘’Finalement on peut très bien se passer des hommes ») ou seulement d’une revendication moins radicale : (« Nous ne voulons plus seulement suivre, nous revendiquons notre droit à conduire nous aussi ? »). Dans la mesure où l’égalité entre les sexes dans la vie sociale, politique et professionnelle est de plus en plus présente et même légalisée, pourquoi le tango resterait-il en dehors de ce phénomène social ? Pourquoi les femmes n’auraient elles pas le droit de prendre l’initiative d’inviter ou bien de danser entre elles ? Un danseur bien connu des milongas parisiennes commente d’une façon personnelle cette situation par une apostrophe particulièrement distinguée : « Hé dis donc, t’as les couilles qui dépassent de ta jupe….. « 

Quelques machos invétérés disent : « je décline toute invitation d’une femme m’invitant à danser et je n’invite plus jamais une femme que je vois danser en homme », l’excuse invoquée étant : « elles ne savent plus se laisser guider après, et de toute façon, puisque l’homme conduit c’est à lui seul d’inviter… ». S’agit-il d’une raison avérée ou plutôt d’un alibi pour sanctionner une situation où la gent masculine constate avec impuissance et rage que son pouvoir d’invitation voire de séduction lui échappe….? Lors d’une conférence sur le tango à Stanford, un professeur argentin de l’ancienne génération avait apporté ce commentaire concernant l’opportunité pour les femmes d’apprendre à danser en homme : « ça n’apporte rien au jockey d’apprendre à jouer le rôle du cheval, car on n’a jamais vu un jockey sauter les obstacles avec un cheval sur le dos »…

En réalité, sous couvert de considérations techniques (‘’Il ne faut pas échanger les rôles car il y a confusion dans l’apprentissage engendrant un risque d’incapacité de jouer sa propre partition »), n’y a-t-il pas là l’expression d’un conflit entre les traditionalistes, partisans d’une frontière étanche et infranchissable entre les attributions sociales de chaque sexe, et les modernistes, dont l’attitude est beaucoup moins tranchée ?.Et l’apprentissage du guidage par de nombreuses femmes ne résulte-t-il pas tout simplement d’une adaptation contrainte et forcée à la pénurie de danseurs ? Et d’ici à ce que les femmes préfèrent ces nouveaux cavaliers aux manières moins cavalières…… Attention messieurs, danger !

Pierre Lehagre

Annexe : Les hommes aussi

J’ai personnellement expérimenté depuis quelques temps le plaisir de danser en « femme » ou plutôt en guidé. Je peux vous assurer, messieurs, que le jeu en vaut la chandelle, c’est tout un monde de sensations nouvelles qui s’est ouvert à moi : le rêve, le calme, la sérénité, le plaisir de ne pas avoir à penser, d’être pris en charge, la recherche du mouvement bien fait, du détail, l’écoute..

Accessoirement, cela m’a ouvert de nouvelles occasions de rencontre, par exemple avec des géantes nord-européennes du type walkyries, vis-à-vis desquelles mes chances de séduction étaient auparavant proches de zéro. Elles guident souvent très bien, sont beaucoup plus marrantes qu’on ne pense, et sont toutes prêtes ensuite à échanger les rôles (cette alternance étant en elle-même une source de renouvellement de la danse). Ou encore, avec des femmes peu attractives sexuellement, avec lesquelles je n’aurais pas souhaité danser en homme pour cette raison, mais, qui, une fois éliminé l’enjeu narcissique de la conquête et de la possession, se révèlent d’excellents guideurs. Ou tout simplement avec des hommes, car la sensualité de la relation physique dans la danse est une chose distincte de l’attirance sexuelle (il y a parfois aussi dans ce cas un côté « combat de mâles » qui, loin d’effacer les identités sexuelles, les alimente et les aiguise…).

Finalement, à partir du moment où l’on arrête de se crisper sur les attributs supposés de son sexe, on ne détruit pas nécessairement son identité : on peut au contraire étendre son registre d’expressions et d’émotions, et devenir plus « homme » (et accessoirement meilleur guideur) parce que l’on a (un peu) expérimenté les sensations de l’autre sexe.

Fabrice Hatem

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.