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Danse et danseurs

Interview de Ricardo et Marisa

ricardo calvo Editeur : La Salida n°28, avril-mai 2002

Auteur : Martine Peyrot

Nous glisser dans des personnages comme le feraient des acteurs

Danseurs argentins originaires de Rosario, Ricardo Calvo et Marisa Talamoni sont bien connus du public français pour leurs chorégraphies originales et amusantes, tout particulièrement en milonga. Mais quelle maestria ne faut-il pas pour parvenir à « gommer » le sentiment de la difficulté technique au profit du rire !! Nous avons interrogé sur le pourquoi et le comment de l’expression comique dans la danse.

Pourquoi faites-vous des chorégraphies comiques ?

Quand on danse, quand on bouge, on exprime spontanément ce que l’on sent. C’est pour cela qu’il nous paraît important de créer une histoire et de nous glisser dans des personnages comme le feraient des acteurs. Quant au comique, nous voulons monter une autre façon de voir le tango. N’oublions pas que le tango était au début très drôle. Les titres des chansons étaient souvent obscènes, comme « El choclo », (« L’épis de maïs ») où l’allusion au penis est transparente. Ces titres ont ensuite été changés lorsque le tango est devenu « décent ». Par exemple, la chorégraphie que nous préparons actuellement utilise le thème ‘’La cara de la luna » (« La tête de la Lune »), dont le nom originel était « La concha de la lora » qui signifie ‘’La chatte de la pute ».

Comment les construisez-vous ?

Nous réalisons d’abord une chorégraphie de base sur la musique en laissant des espaces pour l’expression gestuelle. Une fois que notre corps a mémorisé les mouvements, nous les transformons pour exprimer le personnage. Pour cela nous utilisons différents éléments, comme le vêtement, les gestes, etc., en respectant bien entendu la musique et la danse. C’est très amusant, comme un véritable jeu. Nous cherchons aussi à intégrer le public comme complice de notre histoire pour mieux lui transmettre ce que nous sentons.

Où puisez-vous votre inspiration ?

Parfois, nous prenons des personnages réels du passé, et parfois nous les inventons. Nous nous divertissons aussi beaucoup à observer les particularités amusantes des gens.

Il y a un nombre infini d’anecdote dont on peut s’inspirer. En voici une que racontait le père de Ricardo : il eut l’occasion dans les années 1940 de rencontrer une femme, excellente danseuse et fameuse pour sa poitrine volumineuse, qu’elle exhibait généreusement. Il entreprit une relation amoureuse avec elle, et oh surprise, découvrit alors son intime secret : elle remplissait son corsage avec des chaussettes pour simuler ce qu’elle n’avait pas (en ce temps-là, les filles ne mettaient pas de silicone). Sa désillusion passée, mon père ne put résister à la tentation de tout raconter à ses amis qui immédiatement se mirent à la surnommer « Teta de trapo » (seins en chaussettes). C’est avec ce surnom qu’elle rentra dans l’histoire des danseuses de tango, mais elle ne le sut jamais.

Notre travail actuel porte sur un phénomène très similaire que l’on peut observer actuellement en Argentine et dans le monde : les femmes se mettent du silicone et autres « trompe-l’œil » sur tout le corps.

Votre comique se nourrit-il parfois de situations vécues ?

Oui, bien sûr. A Sitges, en 1996, nous présentions un nouveau numéro comique. Nous n’avions pas eu beaucoup de temps pour nous préparer, et la perruque de Marisa ne tenait pas bien. Au milieu du spectacle, elle se détache. Marisa la rattrape en l’air d’un mouvement rapide et gracieux et se la remet sans cesser de danser. Le public a beaucoup apprécié. Cela nous a amené à introduire cet incident dans la chorégraphie. Mais il a fallu beaucoup de travail pour retrouver la spontanéité originelle.

Dans le cas du spectacle Tango Metropolis, où nous mimons l’agression d’une vieille dame par un voyou sur un air de milonga, nous avons commencé à travailler la chorégraphie un après-midi d’été, où il faisait très chaud. Mais nous ne parvenions à rien de concluant et nous étions perplexes et désorientés. A ce moment-la, ma mère, sans savoir ce que nous faisions, rentre très excitée dans la salle de danse pour nous raconter qu’un jeune avait essayé de lui voler son sac. Elle avait résisté et la voyou avait dû s’enfuir, à moitié assommé. Elle nous raconte tout cela avec plein de détail, en nous montrant le sac qu’ensuite elle oublie dans la salle en partant. Nous nous regardons alors stupéfaits, Marisa et moi, en réalisant que nous avions maintenant le scénario : la lutte pour le sac entre le voleur et la vieille dame. Il suffisant de chorégraphier ce que ma mère nous avait raconté Le plus drôle fut nous n’avons pas réussi à acheter le sac approprié pour faire le numéro, qui nécessitait une forme de poignée très particulière : alors, j’ai dû voler le sac à ma mère pour pouvoir l’utiliser dans le spectacle…

Propos recueillis par Martine Peyrot

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