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Chanteurs tango

Aux sources uruguayennes du tango, interview de Lágrima Ríos

lagrima rios Editeur : La Salida n°32, février-mars 2003

Auteur : Fabrice Hatem

Aux sources uruguayennes du tango, interview de Lágrima Ríos

Née en Uruguay il y a 80 ans, la chanteuse Lágrima Ríos passa son enfance dans le quartier populaire de Barrio Súr à Montevideo. Sa carrière s’étale sur plus de 60 années et embrasse un large éventail de musique populaire : style folklorique, carnaval, candombe. Elle a tellement marqué ce dernier style, par ses interprétations à la fois calmes et puissantes, qu’elle est connue en Argentine comme « la Dama del candombe ». Après avoir fondé et animé un quatuor noir a Capella, « Brindis de Sala » (du nom d’un grand violoniste noir), elle participa au groupe de carnaval Morenada à partir de 1968. Elle effectua de nombreuses tournées internationales, obtenant plusieurs prix et distinctions. Son opposition à la dictature militaire uruguayenne la conduisit à s’exiler plusieurs années en Europe au début de la décennie 1980. Elle est, depuis 1995, présidente de Mundo Afro, une association dédiée à la reconnaissance de la culture et de l’identité noire en Amérique latine. Femme d’une élégance et d’une distinction exceptionnelle, elle était de passage à Paris en novembre dernier à l’occasion du festival Paris-Banlieue tango. La Salida l’a interviewée à cette occasion.

La Salida : quelle a été la contribution de l’Uruguay à la naissance du tango ?

Le tango n’est pas seulement argentin. A Montevideo, son ancêtre le Candombe fut d’abord dansé par les noirs, sur les bords du Rio de la Plata.

Les noirs aussi étaient descendus des navires, beaucoup plus tôt que les immigrants blancs de la fin du XIXème siècle. Mais c’était contre leur volonté : volés, réduits en esclavage, attachés comme des animaux, jetés à la mer quand ils étaient malades, parqués dans des constructions insalubres. Venus de différentes parties de l’Afrique, ils apportaient chacun leur dialecte. Il ne pouvaient parler entre eux et n’avaient comme langage commun que la percussion du tambour. D’où la naissance du Candombe. Avec le temps, les maîtres violant et exploitant sexuellement leurs esclaves noires, la population s’est progressivement métissée.

Dans les villes, les noirs n’étaient autorisés à jouer la musique de Candombe ouvertement que le jour des rois mages. Ce jour-là toutes les familles ayant des esclaves présentaient un couple pour danser. Le meilleur d’entre eux étaient surnommé Rey Congo et Reina Congo, et couverts de cadeaux.

Puis les immigrants blancs sont arrivés et se sont mélangés aux noirs. Les femmes blanches, victimes de la traite, ont commencé à « travailler » dans ces endroits, dans des lieux dissolus, mal famés comme de quartier de El Bajo et c’est ainsi que le tango a commencé.

Pourquoi le candombe n’a-t-il vraiment survécu qu’en Uruguay ?

En Argentine, les noirs ont disparus car ils ont été envoyés mourir dans les guerres du Paraguay au cours des années 1860. C’est pourquoi le candombe n’a vraiment survécu qu’en Uruguay.

Dans ma jeunesse, j’ai dansé, dans mon quartier de Barrio Súr, lors des fêtes de Candombé. Il y avait des joueurs de tambour dans les rues. Chaque quartier avait son groupe de Candombé, avec son style propre.

Le candombé uruguayen se joue en utilisant trois types de tambours différents : grande, joué avec le repique (bâton très long) ; grave, joué avec le chico (petit) ; et piano, joué avec le piano (gros). Ces trois types de tambours couvrent l’équivalent des registres de la voix humaine : basse, baryton et ténor.

Quelle est aujourd’hui la situation des noirs en Uruguay ?

L’oppression des Noirs parcourt toute l’histoire de l’Uruguay. Cependant l’un de nos héros nationaux, José Ortigas, joua pour eux un rôle émancipateur. Après avoir lutté contre les invasions étrangères au début du XIXème siècle, il fut chassé vers le Paraguay. Beaucoup de noirs le suivirent alors pour trouver la liberté. Il y créa une ville nommée Cambacua, ce qui veut dire en indien Guarani : lieu de noirs. .

Je suis aujourd’hui la seule chanteuse noire de tango en Uruguay et en Argentine. Quand on est une femme noire, dans mon pays, il est très difficile d’arriver à quelque chose. Par exemple, à la Chambre des Députés de Montevideo, il n’y a qu’un seul député noir. L’association Mundo Afro, que je préside, lutte pour la défense et la reconnaissance des noirs uruguayens.

Propos recueillis par Fabrice Hatem et Philippe Fassier

Discographie

La perla negra del tango, 33 tours, 1972 ; Luna y tamboriles, 33 tours, 1976 RCA ; Vamo al candombe, 33 tours, 1981, Orfeo ; Mama Isabel, Cassette, Orfeo, 1990 ; Cantando Sueños, CD, 1996, Ayuí.

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