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Tangueros et tangueras

Anecdotes et surnoms

ImageEditeur : La Salida n°28, Avril-mai 2002

Auteur : Fabrice Hatem

Une pensée triste qui se danse … en s’amusant

Le tango est peut-être triste, mais les milongueros sont de joyeux lurons.. du moins si l’on en juge par la quantité d’anecdotes et de jeux de mots qui se colportent d’une milonga à l’autre, ou encore par l’incroyable inventivité des tangueros portègnes pour s’affubler mutuellement de surnoms pas toujours bienveillants. Nous vous livrons ici un florilège de cette culture du rire.

Quelques surnoms d’hier

El lampazo (La serpillière) : parce qu’il disait, très prétentieux : « moi, je balaye les autres danseurs d’un coup de serpillière ».

Tio Rogelio (Oncle Rogelio) : parce qu’il disait à tous les jeunes : « mon p’tit neveu ».

Jorobado Victor (Victor le bossu) : pour son défaut physique qui ne l’empêchait d’ailleurs pas d’être un grand milonguero.

La biblia (La bible) : Pour sa connaissance illimitée des figures.

Lechuga (La laitue) : Peut-être en référence à une chevelure abondante.

Milonguita (Milonguita) : surnom d’un danseur, peut-être un des meilleurs de tous les temps, qui n’était pas une allusion injurieuse à une déviance sexuelle, mais un compliment.

El Negro Cagada (Caca noir) : l’origine de ce surnom est inconnue.

Turco José (le turc José) : pour ses ascendances turques.

Gallego Villarraso (Villaraso le galicien) : pour ses ascendances espagnoles.

Carlitos el Elegante (Carlitos l’élégant) : pour son charisme de danseur.

Negro Luis (Louis le noir) : pour la couleur de sa peau, très noire.

Finito (le fin)/

Petroleo (pétrole) : Pour sa flamboyante vitalité. Selon certains, le créateur du tour dans le tango.

Frasquito (Flacon) : l’origine du surnom est inconnue.

Pepito Avellanada (Pepito de Avellaneda) : grand danseur de milonga, originaire du quartier de Avellaneda.

Quelques surnoms d’aujourd’hui

El Fierrazzo (Tige rouillée). On peut rencontrer dans les milongas d’une grande ville d’Argentine un très vieux danseur encore très vert. Quant elles dansent avec lui, les femmes sentent souvent (surtout lorsqu’elles sont jeunes et jolies) la présence, au niveau du bas-ventre, d’un objet oblong et dur. Réaction physiologique naturelle témoignant d’une longévité exceptionnelle ? Objet extérieur introduit dans le seul but de faire croire à une vitalité disparue ? Dans le doute, certaines milongueras l’ont surnommé « tige rouillée »….

Terminator. On rencontre souvent un Buenos-Aires un danseur qui se déplace auteur des tables des milongas, avec une démarche ressemblant un peu à celle du crabe, à la recherche d’une partenaire ou plutôt d’une proie. Celle-ci, presque toujours une étrangère de passage, est d’abord ravie de l’invitation, parfois la première de son séjour. Mais les milongueros avertis peuvent alors observer, avec une méchanceté amusée, l’évolution de ses expressions pendant que son ‘’partenaire » lui fait subir toutes sortes d’outrages chorégraphiques : du bonheur à l’amusement (« Tiens ! ! c’est original, la façon de danser des argentins »), de l’amusement à la surprise («J’ai du rater un pas »), de la surprise à l’inquiétude (« Mais il fait n’importe quoi »), de l’inquiétude à la souffrance (« Aie ! Il me fait mal »), de la souffrance à la terreur (« Mais c’est horrible ! ! »), de la terreur à la révolte («10000 kilomètres et 10000 dollars pour ça »), de la révolte à la résignation (« Plus que trois danses »). Enfin, la malheureuse, brisée, humiliée, détruite, parvient à se traîner jusqu’à sa chaise où elle s’assoit lourdement pendant que ‘Terminator » repart à la recherche d’une nouvelle victime…

Nostalgias. Il existe à Buenos Aires une danseur assez bonne, mais qui respire trop fort, a très mauvaise haleine et parfois éclate d’un rire brutal, bruyant et pour tout dire strident et très désagréable. Les danseurs l’ont surnommé « Nostalgias » en référence au poème de Cadicamo : « Nostalgie / D’écouter ton rire fou / de sentir près ma bouche / comme un feu ta respiration … ».

Une anecdote

Un jour, un responsable d’association de tango reçoit l’appel d’une femme qui demande des renseignements : « – Mais surtout ne m’envoyez rien chez moi » . » – Mais pourquoi ? – Mon mari me veut pas ! -Bon, alors, je vous appelerai par téléphone ! – D’accord, mais dites que vous venez pour le bridge…

L’éducation sentimentale d’un français à Buenos Aires : petite histoire en quatre tableaux

J’ai eu beaucoup de mal au début avec les invitations par le regard : d’abord, en arrivant à Buenos Aires, j’étais si timide que quand une femme me regardait avec un peu d’insistance, cela me gênait tellement que je me plongeais immédiatement dans la lecture de B.A. Tango pour pouvoir baisser les yeux. Inutile de vous dire qu’au début, j’ai eu beaucoup de temps pour lire durant les bals ! !

Ensuite, je me suis enhardi, mais je maîtrisais mal la direction de mon regard. Un jour, j’étais assis dans un angle de la Confiteria Ideal et j’avais devant les yeux, en enfilade, toute une rangée de femmes. L’une d’elle me regarde un peu fixement, je lui fais signe, elle acquiesce, je me lève pour l’inviter, et je vois trois femmes (celle que je voulais inviter, celle devant et celle de derrière), se lever en même temps pour danser avec moi. Inutile de vous expliquer ma gène ! ! Enfin, j’ai arrangé le coup en m’excusant auprès de chacune, et j’ai dansé successivement avec les trois. Mon carnet de bal a été ainsi rempli pour une heure en une seule fois !

J’ai même été chien d’aveugle. Un jour, ma copine Pilar s’aperçoit, en rentrant un bal, qu’elle avait oublié ses lunettes. Catastrophe ! ! Elle avait peur de ne pas pouvoir danser de la soirée ! ! ! Alors, je me suis placé juste derrière elle et j’ai observé les hommes qui la regardaient. Quant l’un lui faisait signe, et qu’il me semblait acceptable, je la prévenais discrètement en lui montrant la direction et elle faisait un signe d’acceptation. Elle a été tellement reconnaissante que j’ai trouvé le lendemain un petit cadeau sur mon lit : une paire de lunettes de soleil et une canne blanche en sucre d’orge ! ! ! Mes premiers pas de Cafishio, en quelque sorte….

Enfin, messieurs, un truc si vous voulez avoir pour vous tout seul les meilleures danseuses de Buenos Aires : consultez les horaires des matches de football et arrivez dans une milonga au début du match : vous aurez toutes les femmes pour vous pendant 90 minutes au moins (plus les prolongations éventuelles).

Fabrice Hatem

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