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Autour d'un tango : poème commenté

Malena

manzi1 Editeur : La Salida n°13, avril-mai 1999

Auteur : Fabrice Hatem

Malena, de Homero Manzi

Azucena Maizani ? Nelly Omar ? En fait, l’inspiratrice du célèbre poème fut la chanteuse argentine d’origine espagnole Elena Tortolero de Salinas, que Manzi écouta au Brésil en 1942. Mis en musique par Lucio Demare, Malena a fait l’objet de nombreuses interprétations parmi lesquelles (Orchestre/chanteur) : Maizani (1942), Troilo/Fiorento (1942), Demare/Miranda (1942), Troilo/Beron(1952), Canaro/Rolon (1955), Federico/Ayala (1965), Stampone/Fabian (1966), Rivero/De Marco (1966), Orquesta tipica portena/Goyeneche (1968), Cuacci/Rinaldi (1971) , Molina/Ocampo (1977).

Sommet de l’art d’Homero Manzi, Malena constitue également une bonne illustration de son style, caractérisé notamment par quatre éléments : l’utilisation de la métaphore, la présence du fantastique, la nostalgie et le lyrisme.

Manzi fut l’un des premiers écrivains tangueros à utiliser la métaphore, figure dont il fait d’ailleurs un usage intensif, dans des successions torrentielles dont Fuimos ou encore Che Bandoneon donnent de bons exemples. Quant à Malena, c’est le poème tout entier qui peut-être considéré comme une grande métaphore. La voix de la chanteuse est en effet présentée comme une émanation du faubourg, dont elle exhale le parfum et dont elle a pris le « ton obscur » Elle apparaît ainsi comme l’âme du tango errant sur le lieu de ses origines, et dont elle exprime les sentiments : l’alcool qui rend triste, la douleur et la peine qui fleurissent… Manzi utilise une image similaire dans El ùltimo organito : « le dernier organito disparaîtra dans le néant et l’âme du quartier restera sans voix ».

La dimension fantastique est également présente dans Malena. La poésie de Manzi abolit souvent les distinctions entre les objets et les êtres, les vivants et les morts, le passé et le présent. Dans Viejo Ciego, on ne sait pas très bien si le vieux musicien aveugle qui erre dans le quartier est encore un être vivant ou, déjà, un fantôme. Dans le faubourg de Malena, on entend hurler « les fantômes de la chanson », pendant que le corps de la chanteuse, entrant dans une transe mediumnique, devient l’incarnation du tango, dont il porte les stigmates : le sang et la douleur du bandonéon, les yeux noirs de l’oubli, la voix obscure et brisée.

L’évocation nostalgique des paysages perdus de l’enfance se retrouve dans de nombreux textes de Manzi, comme Sur ou Barrio de tango. L’écrivain vécut sa jeunesse dans le quartier de Boedo, qui constituait alors un faubourg semi-rural, et fut englouti par l’expansion rapide de Buenos-Aires au début du siècle. Le climat de ces quartiers disparus est fréquemment restitué par l’énumération des lieux, des objets, des odeurs : la boue, la pampa, le terre-plein, l’inondation, l’atelier du forgeron dans Sur ; les ruelles et l’herbe des faubourgs dans Malena. Et le deuil de cette disparition est présent en permanence : « tristesse des faubourgs qui ont changé (…) Tout est mort, je le sais » (Sur).

Enfin, le lyrisme, qui n’est pas propre à Manzi puisqu’il constitue une constante de la littérature tanguera, est bien illustré par le refrain de Malena : le poète y exprime l’émotion, bien proche du sentiment amoureux, que lui inspire la chanteuse (« au son de tes tangos, Malena, je te sens meilleure ») Et comme le tango, l’amour est toujours malheureux, même avant d’exister, la chanson amère de Malena a déjà « la froideur de la dernière rencontre »…

Fabrice Hatem

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