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Editoriaux de la Salida

La Salida n°32 : Tambours tango

Editeur : La Salida n°32, Février-Mars 2003

Auteur : Fabrice Hatem

Tambours tango

salida32 Pourquoi donc exhumer les vieilles lunes des origines noires du tango ? Celui-ci n’est-il pas, selon toute évidence, une musique européenne par ses harmonies, ses instruments, ses mélodies, sa poésie, ses interprètes ? Et même si une légère influence africaine peut encore être décelée dans son rythme, qu’importent au fond les racines originelles, puisque le tango s’en est progressivement détaché, acquérant à travers son histoire une esthétique propre et une puissante identité personnelle ?

Mais ce voyage vers les origines du tango, auquel nous vous invitons, n’est pas une simple corvée d’érudition. C’est une plongée vertigineuse dans l’histoire tragique de l’Argentine. En 1800, il s’agit encore d’un pays métissé, peuplé en grande partie de Noirs et d’Indiens. En 1900, sa population, complètement transformée, est essentiellement d’origine sud-européenne. Entre ces deux dates, un siècle de sang et de folie, où le tango naît au milieu des guerres, des violences et de la misère.

L’amnésie collective face aux horreurs du passé semble un phénomène récurrent dans l’histoire argentine, un peu comme un être humain qui refoule dans son inconscient les souvenirs trop douloureux. Mais cette mémoire reste présente, même si elle s’exprime sous une forme détournée, à travers un labyrinthe de rêves et de symboles. Et le tango n’est-il pas comme un fil d’Ariane, un Codex révélant à qui saura le déchiffrer les merveilleux et terribles secrets de l’âme argentine, Dans la sensualité de la danse, ne retrouve-t-on pas l’image lointaine des lieux de débauche où se côtoyaient le plaisir et la déchéance ? Dans la tristesse de sa poésie, le murmure déformé de tous ceux qui ont été bafoués, trahis, massacrés pendant que se construisait l’Argentine moderne ? Et dans son rythme à la fois scandé et syncopé, l’écho affaibli des tambours noirs du quartier de Montserrat ?

Rappeler l’origine noire du tango, c’est un peu psychanalyser l’Argentine pour renouer les fils de son histoire occultée. Et l’on ne peut pas parler du tango sans faire sortir de l’ombre le long cortège des immigrants parqués dans les conventillos insalubres, des femmes polonaises victimes de la traite des blanches, des indiens de la Pampa exterminés, des Gauchos envoyés se faire tuer devant les canons paraguayens, des esclaves noirs parqués et enchaînés.

Et lorsque – avec l’aide de Michel Plisson, Lagrimas Rios et Juan Carlos Caceres -nous serons parvenus, au terme de ce voyage dans le temps, jusqu’aux scènes originelles gommées de la mémoire collective, nous nous retrouverons au milieu d’un peuple créole aujourd’hui disparu, avec ses fêtes Candombe et ses rois de Carnaval, ses Gauchos et ses payadores, ses pulperias et ses perigundines, ses grosses mamas noires et ses tambours. Un monde bien différent du nôtre et dont la connaissance vous offrira, nous l’espérons, de nouvelles clés d’écoute, de compréhension et d’interprétation de la culture portègne.

Fabrice Hatem

Pour consulter le sommaire complet de ce numéro, cliquez sur : www.lasalida.info

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